Canti della guerra latina/Ode pour la rèsurrection latine

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Ode pour la rèsurrection latine

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ODE POUR

LA RÉSURRECTION LATINE

[MCMXIV]




[p. 8 modifica]Le Figaro est heureux, au moment où l’Italie vient d’affirmer avec éclat ses sympathies françaises, d’offrir à ses lecteurs cette ode enflammée de l’illustre poète, Gabriele d’Annunzio. L’admirable talent de l’auteur de L’Intrus et de La Gioconda y éclate dans toute sa force et dans toute sa puissance. Nous sommes certains que notre grande sæur latine accueillera avec une admiration profonde ce cri d’héroïsme fraternel poussé en l’honneur de la France, par son plus glorieux écrivain.

LE FIGARO, JEUDI 13 AOÛT 1914.



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ODE

POUR LA RÉSURRECTION LATINE


I

 
Quelle horreur et quelle mort
et quelles beautés nouvelles
sont partout éparses dans la nuit?
Quel vent prodigieux excite
5toutes les flammes en travail
dans le firmament latin?
Le jour est proche! Le jour est proche!
O mes odes, filles rapides
de la fureur et du feu,
10quel dieu, quel héros, quel homme
exalterons-nous au jour certain?
Je ne suis plus en terre d’exil,
je ne suis plus l’étranger à la face blême,
je ne suis plus le banni sans arme ni laurier.
15Un prodige soudain me transfigure,
une vertu maternelle
me soulève et me porte.
Je suis une offrande d’amour,
je suis un cri vers l’aurore,
20je suis un clairon de rescousse
aux lèvres de la race élue.

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II


Voyez, je tremble. Voyez, je chancelle,
je suis ivre d’amour et d’épouvante.
Il vient, Il vient le Seigneur invoqué.
25Il enflamme la nuit; et l’on n’entend pas,
dans le vertige du sang,
le battement de sa force.
Or, Il dit: «Qui donc enverrai-je,
ô annonciateur de choses saintes?
30Qui donc ira pour nous?»
Je dis: «Me voici. Envoyez-moi, Seigneur.
Avec quel signe? pour quel pacte?»
Je connais le signe, je sais le pacte.
J’obéis à son commandement
35et j’accomplis le vœu de mon âme.
Je n’ai plus de chair ni d’os
autour de mon âme haletante
pour franchir les fleuves et les monts.
Déjà sur la borne milliaire,
40à la clarté des Pléiades,
je lis le nom ineffable.
Et j’entends les chevaux des Dioscures hennir.

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III


J’entends sur l’antique basalte,
dans la mine d’Ostie,
45résonner le pas de Celle qui seule
rompt l’incertitude du combat.
Vient elle du bois de Laurente?
Va-t-elle vers la route des Tombeaux?
Elle marche le long des môles noyés,
50elle passe entre les deux pierres droites
qui désignent la Porte Marine.
N’écoute-t-elle pas si la Nef
chargée de la fortune de Rome
fend de nouveau la vase
55du fleuve blond? Les lauriers,
autour de ses tempes, se hérissent
et brillent comme les fers des javelots;
car elle sait de quelle herbe,
bien plus âpre que la verveine,
60faudra-t-il couronner la proue aiguë,
et de quel sang, bien plus noir
que l’égorgement de la génisse sans tache,
faudra-t-il teindre la poupe carrée.

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IV


O victoire, sauvage comme la cavale
65qui paît l’asphodèle dans le désert romain,
jeune comme Rome alors que la sombre aurore
fut traversée par le vol des douze vautours,
toi que je vis sur l’aridité sublime
bondir du roc d’Ardée
70et dans le bond resplendir toute au soleil
blanche comme la poitrine du héron,
ô Désirable, si jamais seul et anxieux
j’interrogeai tes vestiges
loin du peuple vêtu d’ignominie et de paix;
75si jamais à tes autels j’apportai mon offrande
tandis que sur tes palmes,
comme sur une litière pourrie,
l’astuce et la peur, vaches baveuses,
ruminaient le mensonge;
80si jamais en ton nom je reprochai son opprobre
à la Reine des Royaumes
corrompue et polluée par les mains des vieillards;
si jamals je fus ivre de ton regard changeant,
ô Vierge, accompagne mon message, affermis ma voix!

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V


 
85Car, ô Mâle, tel le fécial criait
les noms des villes sœurs et jurées
en brandissant le javelot vermeil,
tel à grande voix je crie,
par-dessus les sépulcres,
90où les os de nos morts s’émeuvent
comme les racines au printemps,
je crie et j’invoque les deux noms divins,
les plus hauts de la terre,
jusqu’à ce que le ciel entier s’enflamme
95de la double ardeur
et que toutes les sources taries
rejaillissent et se mêlent
en un seul torrent indomptable,
je crie et j’invoque: «O Italie! O France!»
100Et j’entends, par-dessus les sépulcres fendus
et par-dessus tes lauriers hérissés
Victoire, le tonnerre des aigles
qui se précipitent vers l’Est
et de toutes leurs serres déchirent la nuit.
105Le jour est proche! Voici le jour!

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VI


Voici ton jour, voici ton heure,
Italie; et, pour cette heure
des années merveilleuses,
la plénitude de tes allégresses!
110L’ai-je annoncée avec les bûchers et avec les hymnes?
l’ai-je appelée dans la vigile et dans l’attente?
l’ai-je hâtée par la rancune et par l’amour?
Les pieds graves du Destin
se transmuent en ailes soudaines;
115et sur son front marmoréen
s’allume la flamme à deux cornes
que portait le Libérateur
au-devant du champ couvert de rosée.
C’est le signe! c’est le signe!
120Choisis d’être souveraine ou serve,
choisis de monter ou descendre,
choisis de vivre ou périr.
Je te montre le signe.
Malheur à toi si tu doutes,
125malheur à toi si tu hésites,
malheur à toi si tu n’oses jeter le dé.

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VII


Vae victis! Les quatre vents du monde
soufflent la bataille,
sur la mer où les phares s’éteignent,
130sur le continent qui s’éclaire
au fond des villes embrasées.
Vae victis! La force barbare nous appelle
au combat sans merci.
Comme la horde traînait
135dans ses chariots couverts de peaux fraiches
les concubines innombrables
pour les rassasier de carnage
et les enivrer d’hydromel,
ainsi elle amène toutes les hontes
140derrière ses hommes comptés en bétail à deux pieds,
pour qu’ils couchent avec toutes dans leur sang épais
qui est le rouge frère de la boue,
tandis que le vautour à deux têtes,
le maître puant au double cou dénudé,
145pousse son cri lugubre et rejette
la charogne mal digérée.
Vae victis! Souviens-toi de Mantoue.

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VIII


N’oublie pas les potences chargées de tes martyrs,
et cette corde inusable
150dont le Pendeur décrépit
ceignit ses reins, pieux
cordelier du Gibet.
N’oublie pas les mains lourdes de bagues
que l’Autrichien fuyard coupait en hâte
155aux poignets de tes femmes hurlantes.
Qu’elles giflent l’Oint du Spielberg,
chaque nuit, dans ses rêves mornes,
sur l’oreiller taché,
jusqu’à l’heure du trépas!
160Qu’elles se dressent contre sa prière,
chaque matin, dans la maison de Dieu,
quand il fléchit ses vieux genoux, qui craquent
comme le bois des fourches,
pour recevoir l’hostie pure
165sur sa langue empâtée!
Souviens-toi. Je veux peser ma haine
dans ta balance. Je veux brûler ton cœur, sans trêve,
avec des mots pour brandons.

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IX


Je te le dis, je ne te donnerai pas de trêve
170jusqu’à tant que mon souffle
soit chaud entre mes dents.
Mon dieu m’a fait un front plus dur que leurs fronts.
Les strophes vengeresses, forgées pour l’infamie
comme pour le fer qu’on chauffe au rouge
175pour flétrir la joue et l’épaule
du traître et du larron
tu les laissas mutiler, en silence,
par la main vile du châtreur;
et je bus en silence mes larmes,
180qui armèrent mon âme secrète
d’une amertume immortelle.
Or, je te jure, par tes sources et tes fleuves,
par tes trois mers et tes cinq rivages,
par tes enfants non conçus encore,
185par tes ancêtres non encore vengés,
je te jure que tu sculpteras
avec l’acier froid chaque syllabe
dans la pierre de Pola romaine
sur l’Adriatique reconquise au Lion.

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X


190Ton jour est proche! Voici ton jour doré!
Ta sœur se tient debout dans le soleil.
Elle a vêtu sa robe guerrière de pourpre.
Elle a mis de doubles ailes à ses pieds nus.
Lavée dans ses pleurs ardents,
195lavée dans son sang amer,
fleur sublime de la discorde,
elle ne fut jamais si belle,
aux jours mêmes de ses royautés.
De toutes ses plaies qui gouttent
200elle fait une rosée merveilleuse;
avec la multitude de ses maux
elle rallume l’étoile de son matin!
Sa volonté de vaincre, dans ses yeux clairs
luit comme la hache à deux tranchants.
205Elle est prête à chanter, comme l’alouette,
sur tous les sommets de la mort.
Rassise, de ses mains infatigables,
elle tissera la toile du monde nouveau.
Qui est contre elle, sinon le barbare?
210Et qui sera près d’elle, sinon toi?

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XI


Nous sommes les nobles, nous sommes les élus;
et nous écraserons la horde hideuse.
Nous combattrons, la face à la lumière.
Nous sourirons quand il faudra mourir.
215Car, pour les Latins, c’est l’heure sainte
de la moisson et du combat. O femmes,
prenez les faucilles et moissonnez!
Apprêtez le pain nouveau
à la faim nouvelle! Vos hommes
220frapperont fort, serrés comme les épis,
dans la bataille, rang contre rang,
comme les blés drus sous le vent d’est.
O Victoire, moissonneuse farouche,
je sens sur mon front, dans l’attente,
225la fraicheur du matin.
Comme le prêtre de Mars aux enfants de Lanuve,
je dis: «Vous avez entendu ce qui plait au dieu.
Hâtez votre heure, obéissez, partez.
Vous êtes la semence d’un nouveau monde.
230Et les aurores les plus belles
ne sont pas encor nées.»