Pagina:Baretti - Prefazioni e polemiche.djvu/236

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connues, puisqu’une nation telle que l’anglaise s’obstine á l’admirer depuis environ deux siècles et á le mettre de plusieurs degrés plus haut que tout autre de ses poètes dramatiques. Il aurait compris, á l’aíde d’un peu de sens commun, étre chose impossible, du dernier impossible, que tous les savants, de mème que tous les ignorants d’un pays aussi étendu que la Grande Bretagne, se liguent á admirer unanimement, et durant tant de temps, un auteur destitué du pouvoir de plaire á tout le monde. L’on ne capti ve jamais toute sorte de gens pendant plusieurs générations, quand on n’a que quelques beautés par-ci par-Iá, quelque coup de théátre de temps en temps, quelque situation heureuse quand il plaít au sort. L’on n’éblouit point siècle après siècle, quand on n’est qu’«un extravagant» qu’«un sauvage ivre», qu’«un gille de village», qu’«un histrion barbare» (J). L’on ne conserve jamais longtemps une réputation dérobée une fois par surprise, malgré ces incessantes vicissitudes qui font prendre á chaque pas des cours différents aux moeurs, aux usages, á la manière de penser des nations.

Tout frangais raisonnable doit sentir et sent, j’en suis sur, que toutes ces choses-lá ne sont pas possibles, ne peuvent aucunement étre possibles, ne le furent jamais et jamais ne le seront. Monsieur de Voltaire a été autrefois dans ces sentiments luimème. Il nous a dit autrefois que quand il commenda á apprendre l’anglais, il ne pouvait comprendre comment une nation aussi éclairée que l’anglaise pút admirer un auteur aussi extravagant que Shakespeare; mais que dès qu’il eut une plus grande connaissance de la langue, il s’apergut que les anglais avaient raison, et qu’il était impossible que toute une nation se trompa en fait de sentiment et ait tort d’avoir du plaisir.

Voilá un trait de bon sens qui lui échappa il y a bien des années. Mais n’aurait-il pas dú sentir que «les anglais avaient raison», méme avant qu’il sút leur langue, puisque lors qu’il

(i) Ce sont-lá les jolis titres que monsieur de Voltaire donne á Shakespeare dans la fameuse Lettre á VAcadèmie francaise et dans plusieurs autres deses ouvrages.