Pagina:Vivanti - Naja Tripudians, Firenze, Bemporad, 1921.djvu/232

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Le Journal (Ernest La Jeunesse).

....Le hasard d'une conversation a jeté Annie Vivanti, romancier frémissant, poète profond, sur le nom de la prisonnière, sur l'acte, sur le secret de cette histoire. Un ami lui apporte un manuscrit de la condamnée, un cahier de classe haché d'une écriture régulière, élégante, indifferente, un carnet de bal — de quelle sarabande! — sur papier rugueux. Elle se passionne et son génie divinatoire, fraternel dans la peine, évocateur, transfigure ces pages mornes et qui n'ont que la scéau du malheur. Elle obtient de voir — avec quelles difficultés! — la reclusionnaire dans sa maison de force.

Quelle révélation! Elle discerne, dévoile, retrouve une petite fille, une éternelle enfant vagabonde dans ses pensées et dans ses voyages, étonnée de se marier de n'être pas aimée de sa beauté étonnée de devenir femme, de devenir mère, étonnée de sa beauté qu'elle ne découvre, qu'on ne découvre que tard. Et tout se précipite dans ses étonnements. C'est avec stupeur qu'elle apprend de lui le désir et le dégoût, qu'elle se donne, au plus beau lancier du monde, quelle le voit mourir dans ses bras, longuement, tué par l'époux soudainement jaloux — pourquoi? C'est une surprise pour elle de trouver au chevet d'une amie d'enfance qui l'a appelée pour mourir celui qu'elle doit faire mourir, le mari de l'agonisante Emilie Kamarowska....

Mais je ne veux pas déflorer l'oeuvre inoubliable d'Annie Vivanti. C'est un lucide et incessant tourbillon d'action, de rêve, d'incoscient, de fatalité. C'est harmonieux et terrible, c'est la vérité et c'est l'art.

Les paradis artificiels chantés par Thomas de Quincey et Charles Baudelaire flottent autour de plus lourdes ivresses et apportent leur relief inconsistant à des paysages d'âme dignes de Dostoîewski. Le mélodrame se purifie en élégie, sans perdre rien de son intensité, de sa fureur, de sa furie. La plus rare, la plus universelle émotion fait palpiter ces pages de fièvre, cette reconstitution idéale et forcenée.... Et sur cette beauté éparse et condensée, au dessus du sang apaisé et la fange bue par le soleil, les grandes ailes de la pitié apportent tout le ciel et tout le rêve....