Rivista di Scienza - Vol. I/Problemi della scienza

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Pierre Boutroux

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Les antagonismes économiques La psychologie des individus et des sociétés selon Taine

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Federigo Enriques - Problemi della Scienza. Bologna, Zanichelli 1906.

Sous ce titre modeste: «Problemi della Scienza», M. Enriques ne nous donne rien moins qu’une théorie complète de la connaissance. Ces six cents pages, d’une forme pleine et concise, sont riches de tant d’idées, touchent à tant de questions, et soulèvent tant de problèmes, qu’il ne faut pas songer à les résumer. Aucune analyse ne saurait dispenser de le lecture du livre de M. Enriques: tout au plus pouvons-nous tenter d’en dégager l’esprit et les tendances.

M. Enriques nous apporte un système nouveau, destiné à faire échec au criticisme Kantien, au positivisme et à ce que M. Enriques appelle le «néo-nominalisme français».

Ce système, son auteur ne craint pas de le dire, est un système de philosophie. Sous l’influence du positivisme, — et aussi, peut-être, parce que les philosophes ont souvent fait fausse route — , les savants du dernier siècle étaient portés à faire fi de la métaphysique. D’où, chez eux, une fâcheuse pusillanimité aboutissant à l’agnosticisme. M. Enriques veut mettre fin à ce renoncement que est préjudiciable aux progrès de la science. Il n’y a pas, dit-il, de problèmes insolubles. «Il n’y a que des problèmes qui n’ont pas encore été énoncés en termes convenables». C’est ainsi que les questions les moins solubles en apparence, quadrature du cercle, mouvement perpétuel, n’on plus rien de mystérieux aujourd’hui (pp. 10-12). M. Enriques ne veut pas admettre l’existence d’un monde qui doive nécessairement échapper à notre connaisance; la réalité consiste, selon lui, en une série d’objets également accessibles à nos recherches; seulement, comme cette série est infinie, notre soif de savoir ne pourra jamais être entièrement [p. 339 modifica]assouvie. «Heureuse circonstance, conclut M. Enriques, pour la société des hommes, devant qui s’ouvre une perspective indéfinie de progrès!» (p. 32).

M. Enriques débute par une critique de l’absolu et de l’objectivité (pp. 17-44). Il ne faut pas, dit-il, opposer radicalement l’absolu au relatif. De même que l’infini mathématique ne doit pas ètre entendu en un sens actuel, mais seulement en un sens potentiel ou génétique, de même l’absolu n’est qu’une limite que nous poursuivons sans jamais l’atteindre. Pareillement, l’élément subjectif et l’élément objectif de la connaissance ne sont pas irréductibles l’un à l’autre. «Ce sont plutôt deux aspects différents de la connaissance, qui proviennent de la confrontation de celle-ci avec d’autres connaissances, appartenant soit à une même personne, soit à des personnes différents, et se rapportant à un même objet, ou à des objets différents» (p. 17). Ainsi la représentation subjective est, pour la connaissance, une condition de progrès. La science vise à une objectivité de plus en plus complète; mais elle se développe en construisant des systèmes d’images, des modèles, qui provoquent dans notre esprit de nouvelles associations et deviennent ainsi un instrument de découverte (p. 49).

L’analyse critique que nous venons d’esquisser infirme à la fois, dans la pensée de M. Enriques, le Kantisme et le Positivisme.

En effet, le Kantisme commet l’erreur d’attribuer un sens transcendant à la distinction (toute relative) du sujet et de l’objet (pp. 32-34).

Quant au Positivisme, il traite la Métaphysique de science vaine parce que, dit-il, elle a pour objet l’absolu, et que l’absolu est inconnaissable. Mais, répond M. Enriques, — en premier lieu, l’absolu est un symbole dépourvu de sens: donc le positiviste concède trop à la métaphysique lorsqu’il accorde l’existence de son objet (encore qu’il le tienne pour inaccessible). Et, d’autre part, il fait fausse route lorsqu’il refuse de reconnaître l’intérêt que présentent les systèmes métaphysiques (ontologiques) regardés comme des représentations psychologiques (pp. 48 et sqq.).

Pour M. Enriques, au contraire, ces représentations offrent un intérêt capital, et c’est pourquoi sa théorie de la science (Gnoséologie positive) consiste principalement en une étude de la genèse psychologique des différents concepts scientifiques. C’est d’ailleurs ce même point de vue psychologique que M. Enriques (dans son chapitre IV sur la Géométrie) oppose à son troisième adversaire, le «néo-nominaliste français». Pour ce dernier (pp. 266 et sqq.), la science serait un système de conventions arbitraires: à quoi M. Enriques répond (p. 300): «Nonostante l’arbitrarietà che rimane alla costruzione geometrica, sta in fatto che l’intuizione [p. 340 modifica], quale si trova in ogni mente formata, opera una scelta, costruendo la rappresentazione di uno spazio psicologicamente definito».

La Gnoséologie de M. Enriques débute par une critique de la notion de fait. Elle poursuit en étudiant la portée et les limites de la Logique (pure et appliquée), les principes de la Géométrie, et enfin les principes de la Mécanique, considérée en elle-même et dans ses applications à la Physique et aux sciences biologiques.

L’idée de fait est ingénieusement rapprochée par M. Enriques de la notion mathématique d’invariant (p. 100). Aux sensations qui nous sont données nous pouvons, par l’effet de notre volonté, faire correspondre des sensations nouvelles: si dans toutes les correspondances ainsi effectuées (réellement ou hypothétiquement) quelque chose reste invariable, ce quelque chose est le réel.

Entre le fait brut et le fait scientifique, il n’y a pas de différence de nature (p. 101); l’un est seulement plus conditionné que l’autre. De même la connaissance scientifique n’est qu’une connaissance vulgaire perfectionnée; toutefois elle élabore les données sensibles au moyen de l’abstration, qui lui permet de simplifier ces données et de les transformer en concepts (p. 124). La science comprend alors les quatre opérations suivantes: observation préliminaire, formation des concepts, déduction et vérification (p. 129).

Abordant les problèmes de la logique, M. Enriques distingue la logique pure de la logique appliquée; mais il nous prévient qu’il n’est pas dans son intention d’opposer les méthodes de ces deux logiques en regardant la première comme déductive et la seconde comme inductive: l’induction, en effet, intervient déjà dans la Logique pure; la Logique appliquée se réduit à une confrontation entre la Logique pure et la réalité.

La Logique pure peut être regardée comme une partie de la psychologie (p. 164). On en déterminera la portée et les règles en étudiant le processus de la pensée dans l’acquisition de la connaissance scientifique. (M. Enriques consacre une section de son chapitre III à une étude sur «l’Aspect physiologique de la Logique»).

La possibilité de la Logique formelle est d’ailleurs, en même temps, une conséquence du développement des Mathématiques. Ainsi la Géométrie a pu construire des théories abstraites (géométries à plusieurs dimensions, géométries non-euclidiennes, non archimédiennes) qui ont une existence analytique (en tant qu’édifices logiques), quoiqu’elles ne se rapportent à aucun objet réel (p. 165).

La Logique suppose donnés: 1° des objets; 2° des rapports [p. 341 modifica]logiques entre ces objets. Son développement consiste alors: 1° en définitions (de nom) donnant naissance à de nouveaux objets; 2° en déductions grâce auxquelles aux rapports donnés viennent s’ajouter de nouveaux rapports reliant entre eux les objets donnés et les objets construits (p. 182). — Les objets initiaux sont fournis par des définitions réelles (psychologiques) ou par des définitions implicites (ils sont alors le support hypothétique d’un ensemble donné de postulats. Cf. p. 175). — Quant aux principes logiques (principes d’identité, de contradiction, de milieu exclus), ce ne sont pas des propositions; ces principes sont l’expression des conditions sous lesquelles un objet ou un rapport phénoménal peut être transformé en concept logique (pp. 195 et 217).

La Logique étant ainsi définie a priori, quelle utilité, quelle valeur objective a-t-elle? Là est le point essentiel de la thèse de M. Enriques. La représentation conceptuelle, nous a-t-il dit, est une abstraction par laquelle nous isolons les objets donnés des circonstances (facteurs de variation) qui les compliquent; le logicien fixe volontairement dans la réalité certains invariants sur lesquels il fait porter ses déductions. Dès lors il faut, pour que la Logique soit susceptible d’applications, que la nature nous offre effectivement des invariants. Or, d’après M. Enriques, la légitimité de ce postulat est prouvée par l’analyse psychologique de la connaissance (comparez l’analyse de la notion de fait, rapportée plus haut). Il y a dans la nature des invariants relatifs, et la Logique a dès lors une valeur, approchée sans doute, mais de plus en plus approchée.

Telle est la doctrine qui permet à M. Enriques d’affirmer l’objectivité de la science abstraite. Dans la seconde partie de son livre (relative à la Géométrie et à la Mécanique) il confirme ces vues par une analyse approfondie des principes et des axiomes de notre science. Nous ne pouvons le suivre dans le détail de cette étude, mais nous devons signaler les efforts qu’il fait pour expliquer par la psychologie physiologique la formation des concepts géométriques et mécaniques. On jugera peut-être que cette psychologie est trop imparfaite encore pour donner lieu à des résultats définitifs. C’est bien elle, cependant, qui sera appelée à juger de la doctrine de M. Enriques. L’empirisme, battu en brèche par les Kantiens, peut-il revivre en se fondant sur une analyse psychologique perfectionnée jointe à une connaissance exacte de la logique où les lois de la pensée trouvent leur expression? Là est la question, à laquelle maint lecteur du livre de M. Enriques sera peut-être tenté de répondre affirmativement.

Université de Montpellier.