De l’origine et des progrès de l’Entomologie

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De l'origine et des progrès de l'Entomologie
1822
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DE L’ORIGINE ET DES PROGRÈS
DE L’ENTOMOLOGIE
[1].
PAR M. LATREILLE, de l’Académie royale des Sciences.

Dans notre cours de l’année dernière, nous avons successivement exposé l’histoire des animaux sans vertèbres, désignés sous les noms d’infusoires, de polypes, de radiaires, de tuniciers, animaux formant autant de classes ; et continuant cette progression, nous avons terminé par les conchifères de M. de Lamarck, ou les mollusques acéphales de M. Cuvier, ceux que l’on appellé plus communément animaux à coquilles bivalves. Nous devrions naturellement reprendre, à partir de ce point, la série des animaux sans vertèbres inarticulés, et faire connoître ceux qui ont une coquille univalve. C’est aussi ce que je m’étois proposé de faire, dans l’espérance que M. de Lamarck auroit, dans l’intervalle du dernier cours à celui-ci, publié les derniers volumes de son important ouvrage sur les animaux invertébrés, volumes où il traite des mollusques dont j’avais à vous entretenir. Mais quoique l’impression en soit très-avancée, puisque la seconde partie du sixième est en vente, et que le septième et dernier paroîtra en août, nous ne jouissons cependant pas de ce travail, et M. de Lamarck s’est trouvé, à raison de cette circonstance, dans l’impossibilité de me confier les leçons manuscrites de cette partie de son cours. J’ai donc été contraint de changer de plan, et parmi les animaux invertébrés articulés, j’ai fait choix des insectes comme les plus propres à fixer votre attention. Si l’on en excepte les arachnides et les crustacés, les autres articulés, ou les annelides et les vers, semblent d’ailleurs peu se prêter à une démonstration publique, attendu qu’on en possède peu, et qu’on ne peut en faire bien comprendre les caractères qu’au moyen de bonnes figures, secours qui dans bien des cas nous est refusé. En choisissant ainsi, les insectes pour objet de mes leçons, je crois donc avoir consulté votre intérêt ; et supposé qu’un penchant bien naturel vers une étude à laquelle j’ai consacré ma vie eût trop influé sur ma détermination, j’ose me flatter que je ne réclamerois pas en vain à cet égard votre indulgente amitié.

D’autres débuteroient par vous faire sentir les avantages que vous pouvez retirer du fruit de ces études et à combattre les sophismes des personnes qui les traitent de futiles ou ne les considèrent que comme un simple amusement. Mais bien convaincu que de tels préjugés n’affectent heureusement qu’un très-petit nombre d’individus et qu’il seroit peut-être difficile de convertir, respectant d’ailleurs mon siècle et cet auditoire, je repousserai comme superflue une discussion semblable, pour m’occuper d’un autre sujet, l’origine et les progrès de l’entomologie ou de la science des insectes. Lorsqu’on voit pour la première fois un grand monument ou un beau tableau, un sentiment de respect et de reconnoissance s’empare aussitôt de nous, et nous nous empressons de demander le nom de l’architecte ou du peintre auxquels l’on doit ces chefs-d’œuvre de l’art. Qu’il me soit donc permis d’offrir à votre mémoire les noms des hommes qui ont illustré la science aimable dont nous traiterons, de vous exposer leurs travaux et d’exciter envers eux votre religieuse gratitude. Vous le savez, l’espérance de trouver dans nos contemporains ou dans la postérité de justes appréciateurs de nos efforts littéraires est souvent notre unique récompense et notre plus douce consolation.

Il en est de l’origine de l’entomologie comme de celle des autres branches de l’histoire naturelle. Dans un contact perpétuel avec les productions du Créateur, l’homme dut d’abord se borner à distinguer les insectes qui lui paroissoient nuisibles, et ceux, mais en bien plus petit nombre, qu’il jugeoit utiles. Les ministres d’une religion très-ancienne, le sabéisme, crurent avoir trouvé dans les habitudes de certains insectes très-communs et frappoient habituellement les regards de la multitude, des images propres à exprimer, au moyen de figures, quelques idées de leur culte ; ces insectes devinrent dès-lors des sujets d’emblêmes ou d’allégories. Telle est, messieurs, l’origine de l’entomologie, l’intérêt et la superstition. Elle n’existoit pas encore comme science, puisqu’elle se confondoit avec les autres connoissances populaires et usuelles, fruit des mêmes besoins et des mêmes circonstances.

Nous partagerons l’histoire de l’entomologie en sept périodes, embrassant ses divers âges, et toutes remarquables, à partir de la seconde, par une amélioration sensible et croissante de l’état de cette science. La première, celle dont nous venons de parler, comprendra les temps qui ont précédé Aristote, antérieur, d’environ trois siècles et demi, à l’ère chrétienne. La seconde s’étendra depuis cette époque jusqu’au commencement du 17e siècle ou jusqu’à l’adolescence de la science. Cette période se terminera vers la fin du même siècle ; et la suivante ou la quatrième nous conduira à l’époque où Linnæus changea la face de l’histoire naturelle. Nous verrons l’un de ses plus célèbres disciples établir sur de nouvelles bases une classification des insectes, et fonder ainsi la sixième période. Enfin de l’époque à laquelle le plus grand zootomiste de nos jours a commencé à faire l’application de l’anatomie comparée à cette branche de la zoologie, c’est-à-dire, de la fin du dix-huitième siècle datera la septième et dernière période.

La première n’est en quelque sorte qu’un prélude, et, comme les premiers temps historiques, se cache sous d’épaisses ténèbres. Si Aristote et Pline ont mis à profit, comme on n’en peut guère douter, des écrits antérieurs, ces écrits ne nous sont point parvenus, et l’on ne peut démêler dans ceux de ces auteurs quelles sont les observations qui leur sont propres. De pures indications nominales, et qui ont mis à la torture l’esprit des commentateurs et des interprètes, c’est tout ce que nous offrent, au sujet des insectes, les ouvrages, et en très-petit nombre, antérieurs au siècle d’Aristote et d’Alexandre. Il paroîtroit, d’après le texte hébreu d’un passage du Lévitique, que ces animaux y sont désignés sous la dénomination collective de reptiles-oiseaux, reptile-volucris. De la défense d’en manger, qui avoit été prescrite aux Juifs par leur législateur, étoient exceptées les espèces qui, comme les locusta, les bruchus, les attacus, les ophiomachus, ont les pieds postérieurs plus longs et propres pour le saut (Levit., chap. XI, vers. 21 et 22). Ce passage ne convient qu’à des orthoptères des genres criquet, sauterelle, grillon et truxale. En le comparant avec d’autres de l’Exode (cap. X, vers. 4 et suiv.) où il est parlé des locusta, il me paroît certain qu’il s’agit ici de nos acrydiuam ou criquets, insectes dont quelques espèces, émigrant par troupes innombrables, convertissent bientôt en déserts les lieux les plus riches en végétation où ils se fixent. Un profond critique, correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, M. Miot, a partagé et développé l’opinion où j’étois que ces mêmes insectes sont les serpens ailés dont il est parlé dans Hérodote. J’expliquerai ce passage lorsque je traiterai spécialement de ces orthoptères. Un autre insecte, pareillement signalé comme un fléau, dans ce premier âge de la science, est celui qui est indiqué dans l’Exode (chap. VIII) comme l’objet de l’une des plaies (la quatrième) dont Dieu, par le ministère de Moïse, frappa l’Egypte : c’est le sciniphes de la Vulgate. Des traducteurs ont cru qu’il étoit ici question du pou ordinaire de l’homme. Mais la connoissance des lieux où se trouvoient alors les Hébreux, et les Egyptiens auxquels ils étoient assujétis, les inductions que l’on peut tirer d’un passage d’Horus Apollo relatif à une figure hiéroglyphique désignant une grande abondance de diptères du genre culex ou cousin, nous autorisent à présumer que ces insectes ou les simulies, autre genre de la même famille, sont les sciniphes mentionnés dans ce passage. Parmi les insectes dont l’homme sut, dès la plus haute antiquité, s’approprier les travaux, nous remarquerons le ver à soie et l’abeille domestique. Selon les historiens de la Chine, la culture du ver à soie auroit été introduite dans cet empire par l’un de ses premiers monarques, et s’éleveroit ainsi au-delà des temps anté-diluviens. Nous voyons encore que Moïse promet aux Hébreux de les conduire dans une terre où coule le lait et le miel. Mais si l’on veut compléter la réunion de ces foibles élémens de l’entomologie primitive, c’est à des monumens antiques échappés aux ravages du temps, tels que des médailles, des pierres précieuses, des sculptures de temples, de colonnes, etc., qu’il faut recourir.

L’un des animaux qui sous des rapports religieux jouissoit chez les Egyptiens de la plus haute faveur est le scarabée sacré de Linnæus. « Les habitudes de quelques-uns de ces insectes appelés cantharoi par les Grecs et scarabæi par les Latins, fixèrent l’attention des Egyptiens. Messagers du printemps, annonçant par leur reproduction le renouvellement de la nature, singuliers par cet instinct qui leur apprend à réunir les molécules de divers excréméns en manière de corps sphériques, et qui doivent renfermer les germes de leur race ; occupés sans cesse, comme le Sisyphe de la mythologie, à faire rouler ces corps ; distingués des autres insectes par quelques formes particulières, ces animaux parurent offrir aux prêtres égyptiens l’emblême des travaux d’Osiris ou du soleil ; leur effigie fut multipliée de mille manières. Il ne suiiisoit pas à la superstition que cette efligîe se trouvât dans tous les temples, sur les bas-reliefs et les chapiteaux des colonnes, sur les obélisques, et qu’elle exerçàt le talent du statuaire ; elle exigeoit encore qu’elle fût gravée avec d’autres hiéroglyphes sur des pierres de diverses natures et façonnées en manière de médaillons, sur des cornalines tailléesen demi— perles, percées dans toute la longueur de leur axe et propres à composer des colliers, ainsi que des anneaux servant de cachet. L’image de ce dieu tutélaire suivoit partout les Egyptiens, et descendoit même avec eux dans la tombe. » Voila, MM. ce que j’ai dit de l’origine de ce culte dans mon mémoire sur les insectes sacrés des Egyptiens. D’après Horus Apollo ils donnoient aux mêmes scarabées trente doigts. J’ai fait voir qu’en supposant la connoissance des articles des tarses, ce passage étoit facile à expliquer. Ne pouvant ici m’étendre sur un tel sujet, je vous renverrai à ce mémoire et à quelques autres où j’ai consigné des observations analogues. Cependant je vous citerai encore les faits suivans. Le crabe fluviatile de Belon, consacré à Minerve, étoit renommé par ses propriétés médicales, et on le voit représenté, et souvent avec une parfaite ressemblance, sur un grand nombre de médailles grecques et siciliennes. Je mentionnerai surtout l’abeille, dont l’effigie, mais très— grossière, est très-mulipliée sur les monumens égyptiens. Elle étoit le symbole hiéroglyphique d’un roi, du peuple qu’il gouverne, et de sa prospérité ou de la fécondité, à en juger par une figure (Descr. de l’Égypte, Antiq., tom. 3, pl. 87.) du dieu Apis, couvert d’un manteau dont la surface extérieure est entièrement divisée en cellules hexagonales, imitant le gâteau d’une ruche.

S’il étoit vrai, ainsi que l’ont pensé quelques antiquaires d’après la découverte du tombeau de l’un des premiers rois mérovingiens et l’examen des objets qu’il renfermoit, que l’abeille eût été pour les premiers souverains des Francs une sorte d’emblème héraldique ou un hiéroglyphe désignant la puissance, cet usage, ainsi que la langue et d’autres coutumes des peuples teutoniques, pourroient bien venir de l’Orient. Une autre figure hiéroglyphique, à laquelle on n’avoit rien compris, représentant, sous des proportions exactes, les quatre étamines et le pistil d’une fleur labiée, paroît avoir été le Symbole du miel. Enfin chez les Egyptiens, comme dans les livres attribués à Salomon, la fourmi est l’emblème de l’intelligence et de la prudence.

Vous voyez par ce petit nombre d’exemples que l’entomologie à aussi ses antiquités, et que, comme une bonne sœur, elle prête son secours à l’archéologie qui, jusqu’ici, avoit un peu trop négligé son appui. Elle peut encore rendre quelques services à l’astronomie, au sujet de deux constellations zodiacales : le cancer, tantôt exprimé par la figure d’un crustacé de divers ordres, tantôt par un hepa ou un scarabée ; et le scorpion.

Je crois, MM., qu’on auroit tort de regarder les recherches de cette nature comme superflues ou très-arbitraires dans leur résultat. Lorsque des naturalistes éclairés visiteront avec soin l’Italie méridionale, la Grèce et les pays orientaux ; qu’ils y prendront des renseignemens exacts sur les animaux indigènes, auxquels, d’après des traditions anciennes et qui s’y sont maintenues, on attribue certaines propriétés, n’importe qu’elles soient réelles ou imaginaires ; lorsqu’ils nous apporteront ces animaux, avec leurs divers noms usuels et populaires, ces difficultés de la zoologie primitive s’éclairciront probablement en majeure partie.

Je passe à la seconde période. Les écrits d’Aristote nous montrent que, de son temps au moins, on, avoit déjà étudié, et avec assez de détail, la composition extérieure des insectes et des crustacés ; qu’on avoit même donné une certaine attention à leurs manières de vivre, et, qu’on avoit ébauché une espèce de méthode.

Ces animaux faisoient partie de ceux que l’on distinguoit sous le nom d’exsanguia, sans sang, aneima en grec. On admettoit cependant l’existence d’une humeur ou d’une liqueur suppléant le sang dans ses propriétés ; on excluoit toutefois la présence de la graisse, du lard, matières qui, dans l’opinion du temps, étoient exclusivement propres aux animaux pourvus de ce liquide. On sait que M. Cuvier désigna d’abord ces mêmes animaux par la dénomination d’animaux à sang blanc. Le caractère négatif tiré de l’absence de la colonne vertébrale n’avait pas échappé aux premiers zoologistes. Neque spinam habent ut pisces, dit Wotton, dans son ouvrage intitulé de Differentiis animalium, et uniquement composé d’après les matériaux que l’antiquité lui avoit fournis. Une substance particulière, tantôt extérieure, tantôt interne, étoit censée remplacer les os et garantir la chair ; Malgré l’absence d’un squelette, le mot de vertèbres est cependant employé par cet auteur (pag. 175) à l’occasion des demi-segmens supérieurs du corps de certains insectes. On divisoit les animaux sans sang en cinq coupes principales : les insectes, insecta ou entoma en grec ; les mollusques, mollia ou malachia ; les crustacés, crustacea ou malacostraca ; les testacés ou animaux à coquilles, les testacea des Latins, les ostrachoderma des Grecs ; et les zoophytes, zoophyta, ainsi nommés de leur nature mitoyenne entrec elle des animaux proprement dits et celle des végétaux. Si l’on en excepte les crustacés de notre ordre des décapodes et de celui des stomapodes, la division des insectes comprenoit tous les animaux sans vertèbres articulés. On leur refusoit, ainsi qu’aux autres animaux sans sang, tout organe de respiration et de circulation ; mais une substance appelée mutis, celle qui compose le foie dans les crustacés et le corps graisseux dans les insectes, étoit présumée tenir lieu du cœur. Alors, comme aujourd’hui, le corps de ces animaux étoit divisé en trois parties, répondant, la première à la tête, la seconde au thorax, et la troisième à l’abdomen. On avoit cependant aperçu que les mille-pieds et quelques autres animaux sortoient de cette loi générale. L’absence ou la présence des antennes, des pieds, des ailes, et le nombre de ces organes avoient déjà, dès cette époque, fixé l’attention des naturalistes. On avoit observé que parmi les insectes munis d’ailes, il y en avoit où ces parties étoient recouvertes par deux écailles servant d’étui, et ces insectes avoient été nommés pour cette raison coléoptères ou vaginipennes. Ceux dont les ailes sont à nu furent ensuite appelés par opposition anélytres. On avoit encore remarqué que ces organes étoient saupoudrés dans les lépidoptères d’une poussière qui leur donnoit un aspect farineux, et qu’ils diféroient par leur nature des ailes des oiseaux. Déjà même les organes de la manducation avoient paru offrir, par leur diversité de formes, des caractères importans. Selon les anciens plusieurs insectes ont des dents, mais ne ressemblant nullement à celles des vertébrés. D’autres ont une espèce de langue, tantôt courte et retirée, tantôt allongée en manière de trompe. Si, sous cette forme, elle devient offensive, on la distingue sous un nom commun au dard de l’extrémité postérieure du corps des abeilles, des guêpes, etc., celui d’aiguillon.

Les abeilles, les guêpes et d’autres insectes à quatre ailes nues, construisant des alvéoles disposés en manière de gâteaux ou de rayons, formoient une coupe particulière, insecta favicantia. La culture des abeilles entraînoit l’étude de leurs mœurs, et on leur donna une attention particulière, ainsi qu’on peut s’en convaincre par les détails de leur histoire que l’on trouve dans les écrits de l’antiquité. Mais pour suppléer à l’observation on n’eut que trop souvent recours à l’imagination, et le régime politique de ces précieux insectes devint le sujet d’un roman historique. Les Réaumur, les Hubert, etc., nous ont fait voir que l’histoire de ces animaux dépouillée de ce merveilleux, pouvoit encore nous charmer.

Avec ces insectes architectes étoient compris les tenthrèdes, les syrènes, les bombyles, les bombyx, etc. ; or comme on ne peut douter que tous ces insectes ne soient de l’ordre des hyménoptères, les uns de la famille des abeilles, et les autres de celles des guêpes et des sphex, on voit combien sont fausses les applications que les naturalistes modernes ont faites de plusieurs de ces dénominations anciennes. Il est bien évident, par exemple, que les bombyx d’Aristote ne sont nullement des lépidoptères, mais des abeilles maçonnes, telles que l’apis sicula de Rossi et la xylocopa muraria de Fabricius, qui sont pour moi des mégachiles.

Des faits que je viens d’exposèr on peut conclure qu’on avoit très-anciennement distingué les caractères de nos principales coupes ordinales. Mais on n’avoit pas senti que l’un des premiers signalemens qu’on employoit, et que l’on fondoit sur la différence des milieux d’habitation, l’air et l’eau, contrarioit l’ordre naturel. L’usage de cette vicieuse distinction s’est prolongé jusqu’au temps de Linnæus.

On classoit les arachnides avec les insectes. Les larves et tous les animaux articulés privés d’ailes, et offrant par la mollesse, la forme et la couleur du corps, quelque ressemblance avec les vers, étoient désignés collectivement sous cette dénomination, ou celle de vermisseau qui n’en est qu’un diminutif.

Les observations ayant pour objet l’anatomie interne se réduisent à des idées très-vagues et très-générales sur le canal intestinal et les organes sexuels. On ne soupçonnoit même pas l’existence d’un système nerveux. On avoit simplement remarqué que les yeux des insectes n’étoient point accompagnés de paupières ; et que ces animaux jouissoient du sentiment de l’odorat.

Les erreurs d’Aristote au sujet de leur génération, erreurs qui n’ont été détruites que vers la fin du dix-septième siècle, proviennent d’un manque d’examen et d’un défaut de réflexion. On avoit été témoin de l’accouplement de diverses espèces et de leur ponte. On avoit remarqué que des œufs de plusieurs sortoient des petits presque semblables à leurs parens ; que les œufs de divers autres donnoient naissance à des vermis seaux ou larves qui, après s’être transformés, soit en chrysalides ou aurélies, soit en nymphes, acquéroient ensuite des ailes ou devenoient des insectes parfaits. Néanmoins, suivant Aristote, des landes que produisent les poux, les puces et les punaises après l’accouplement, il ne vient rien. Ces animaux, ainsi que tous ceux dont on n’avoit pas vu l’union sexuelle ou dont on n’avoit pas suivi les larves, étoient censés se former d’eux-mêmes de diverses manières, mais le plus souvent par la fermentation de diverses substances humides et dont plusieurs excrémentielles. On croyoit même que la plupart des chenilles naissoient de feuilles de plantes. Les lois de l’analogie, si on les eût consultées, auroient écarté ces erreurs. Mais il n’en est pas moins certain que, du temps d’Aristote, ou avoit déjà une idée des diverses sortes de métamorphoses des insectes, et qu’on n’admettoit la génération spontanée qu’à l’égard de ceux d’entre-eux dont on n’avoit pas suivi tous les périodes de la vie ou de la croissance.

Pline qui puisa partout, mais souvent sans discernement, embrouilla ces premières connoissances. Il classe, par exemple, les crustacés et les mollusques avec les poissons. La langue grecque étant beaucoup plus bornée que la latine, et l’ouvrage de cet écrivain sur l’histoire naturelle étant une espèce d’encyclopédie, plus utile dès-lors par son ensemble que le traité des animaux d’Aristote, l’autorité de l’historien romain prévalut, et sa distribution des animaux fut longtemps suivie dans les écoles. La zoologie fut d’ailleurs négligée jusqu’au dix-septième siècle, ou si on s’en occupa, ce ne fut guère que sous des considérations médicales. Par des événemens politiques et la régénération des lettres, le quin zième siècle forme une époque remarquable : les Arabes expulsés définitivement d’Espagne, dont néanmoins, quoique mahométans, ils avoient été les bienfaiteurs sous le rapport des sciences et des arts ; le renversement de l’empire grec, que les États de l’Occident auroient dû soutenir, ainsi que le montrent les circonstances actuelles ; la terre des Miltiade, des Selon, des Lycurgue, des Démosthène, etc., souillée par la présence d’un peuple féroce, ennemi de toute instruction ; les lumières fuyant leurs persécuteurs, et récompensant noblement l’Italie de l’hospitalité qu’elle leur donne et trouvant surtout dans l’immortel Laurent de Médicis un protecteur zélé est puissant ; la fondation d’une trentaine d’universités dans les diverses parties de l’Europe ; l’invention de l’imprimerie et la découverte du nouveau monde, voilà, MM., des faits mémorables qui caractérisent ce quinzième siècle. Si vous l’opposez à ceux qui l’avoient immédiatement précédé et aux deux qui le suivirent, particulièrement au dix-septième, si fécond en grands hommes de tous genres, vous le considérerez comme l’aurore du plus beau jour succédant à la nuit la plus ténébreuse. Ces réflexions ne sont point étrangères à mon sujet ; car l’histoire naturelle se ressentit aussi de ce concours d’événémens politiques et littéraires, et notre France peut se glorifier d’avoir donné le jour à deux pères de la zoologie moderne, Belon et Bondelet. Le goût des voyages et de l’étude des productions de la nature se réveilla, devint plus dominant et plus universel. On conçut l’idée de recueillir et de rapporter dans sa patrie celles des pays étrangers que l’on visitoit, et qui paroissoient intéressantes. On commença à attacher quelque jouissance à la possession et à la conservation de ces sortes de conquêtes, et des musées furent établis. Il étoit nécessaire, soit pour éviter la confusion, soit pour faire connoître les richesses qu’ils renfermoient, de les disposer dans un certain ordre ; et l’on ne pouvoit atteindre ce but que par l’étude des objets, que l’on vouloit classer. Un respect trop religieux pour l’autorité des premiers naturalistes avoit jusqu’alors retardé les progrès de la science. Il commença à s’affoiblir ; l’on aima à vérifier, de ses propres yeux, les faits qu’ils avoient avancés, et l’on en découvrit de nouveaux. L’ouvrage de Rondelet sur les poissons le prouve : car on y trouve plusieurs observations curieuses sur la respiration de ces animaux. La typographie et la gravure facilitoient et répandoient d’ailleurs la publication de ces recherches.

Une autre invention récente, et qui perfectionnée a eu une si grande influence sur la connaissance des animaux, commençoit à aggrandir le champ de ces études. Je veux parler de l’usage de ces verres convexes qui rajeunissent, en quelque, sorte, le plus précieux des organes de nos sens, celui de la vue, en étendant, par ce moyen artificiel, sa puissance au delà des limites que lui imposa la nature.

Rondelet, Belon et Gesner que l’on appeloit de son temps le Pline de l’Allemagne, donnèrent bien sur divers crustacés des observations utiles, mais ne traitèrent point des insectes.

Les écrits d’Aldrovande, mort en 1605, et le Théâtre des Insectes de Mouffet, publié en 1634, sont, en fait d’ouvrages généraux, pour les temps modernes, les seules sources auxquelles l’on puisse recourir. Jusqu’alors ou n’avoit guère porté son attention que sur un petit nombre d’espèces, généralement connues du vulgaire, et que, sous ce motif, l’on s’é toit dispensé de décrire. Maintenant l’observation embrasse indistinctement toutes les espèces perceptibles, et que l’on groupe sous des titres portant des dénominations anciennes ; on les décrit assez amplement, mais sans signalement particulier, et des figures gravées sur bois, quelquefois préférables à quelques-unes de celles gravées au burin, qu’on a données plus tard, accompagnent ces descriptions. Point d’ailleurs de nouveaux faits anatomiques et continuité de croyance aux générations spontanées.

Mais si nous remontons un peu plus haut, vers 1660, commencement de notre quatrième période, l’entomologie s’épure et s’asseoit sur une base nouvelle et stable. Rédi et Swammerdam ramènent, par des observations et des expériences positives, la génération de tous les insectes à une loi commune, celle d’une génération ovipare précédée, pour la fécondation des germes, de l’union des deux sexes. Le second et Malpighi, commencent à nous dévoiler leur organisation intérieure, et souvent sommes-nous forcés de consulter encore aujourd’hui l’ouvrage, vraiment admirable pour le temps, le Biblia naturæ du naturaliste hollandais. C’est aussi à lui que nous devons des connoissances précises sur les diverses sortes de changement ou de métamorphoses qu’éprouvent ces animaux et l’idée de les faire servir à leur classification naturelle, ainsi qu’à celle d’un ordre de reptiles, les batraciens. La méthode fondée sur des caractères extérieurs prend encore une nouvelle forme. Elle est simplifiée et réduite en tableaux analytiques. Lister et Leewenhoek, toujours armés du microscope, arrachent, ainsi que l’annonce le titre de l’ouvrage de celui-ci, Arcana naturæ detecta, de nouveaux secrets à la nature. Petiver introduit l’usage, déjà établi en botanique, de signaler en raccourci, ou au moyen d’une phrase, les espèces ; mais sans le faire d’une manière rigoureuse, et en admettant des comparaisons relatives de grandeurs qui doivent en être exclues, puisqu’il faut toujours supposer que l’on ne connoît point d’autre objet de comparaison. Willughby et Rai (Hist. Insect., 1710) semblent déjà avoir presque épuisé l’entomologie de la Grande-Bretagne, tant leur catalogue, joint à celui de Lister sur les araignées, est nombreux. Des figures en taille— douce ont remplacé les figures gravées sur bois, propres à l’enfance de l’art. Enfin, vers les dernières années de cette quatrième période, l’Académie des Sciences de Paris accueille avec le plus vif intérêt les premiers mémoires d’un homme qui a illustré, de tant de manières, notre patrie ; qui, comme observateur, est un oracle que l’on consultera toujours, et dont les écrits ont formé les plus célèbres entomologistes venus après lui, Réaumur en un mot.

Nous voilà parvenus aux trois dernières et plus brillantes époques de la science, distinguées par autant d’écoles spéciales, portant chacune le nom de leur fondateur, Linnæus, Fabricius et Cuvier.

Dans sa biographie de Linnæus, le savant zootomiste que je viens de citer a exposé, avec son talent ordinaire et si rare, les services éminens que le Pline du Nord a rendus a l’histoire naturelle. Que pourrois-je maintenant vous dire de plus sur ce sujet, et quelles couleurs plus vraies et plus brillantes pourrois-je emprunter ? Tout est renfermé dans ce peu de paroles : Linnæus a été le législateur de cette science, et tous ceux qui la cultivent ont élevé dans leur cœur un autel à ce grand homme. N’oubliez pas, MM., que ce discours n’est qu’un aperçu général des progrès de l’entomologie, et que dès-lors vous ne devez point attendre de moi une bibliographie de cette science. Mais il est un auteur que je ne puis passer sous silence, c’est de Géer. Elève de Réaumur et disciple de Linnæus, embrassant, comme celui-ci, dans ses études, toute la classe des insectes, il a perfectionné sa méthode, déjà améliorée en quelques points par Geoffroy ; il a décrit et figuré d’une manière très-détaillée et avec une fidélité étonnante ceux de ces animaux qu’il possédoit ; émule de Réaumur, il a, comme lui, observé avec les mêmes soins et la même sagacité les mœurs des insectes. Son recueil de mémoires, composant 7 volumes in-4o, est, sans contredit, le meilleur ouvrage qui ait été publié sur cette branche de l’histoire naturelle.

Les organes de la manducation lui avoient paru, ainsi qu’à Réaumur, offrir des considérations intéressantes. Scopoli les avoit même employés pour caractériser les genres de l’ordre des diptères et de celui des hyménoptères. Mais il étoit réservé à un autre élève de Linnæus, Jean Chrétien Fabricins, de fonder sur ces parties un système général, et de compléter ainsi l’étude de l’organisation extérieure des insectes. S’il falloit juger cet auteur d’après la manière dont il a exécuté son plan, nous aurions bien des reproches à lui faire ; mais les erreurs graves où il est tombé et les vices de son système peuvent bien déposer contre lui, mais non contre la solidité des principes qu’il a établis. Car, abstraction faite des difficultés inhérentes à l’étude d’organes aussi petits et aussi délicats que ceux qui composent la bouche des insectes, il n’en est pas moins vrai que sans cet examen l’on ne pourra former de coupes bien naturelles ou en démontrer la certitude.

Il ne suffisoit pas d’avoir établi sur des caractères extérieurs une méthode, il falloit encore en coordonner la distribution d’après des principes invariables, et quel pouvoit être ici notre guide si ce n’est l’anatomie interne. Nous avons vu que depuis près d’un siècle et demi quelques savans naturalistes avoient dirigé de ce côté leurs recherches ; mais, ainsi que tous les premiers efforts de l’esprit humain, dans tout ce qui dépend de l’exercice de nos sens, ces travaux étoient très-imparfaits et presque tous erronés, quant à la supposition de l’existence d’un organe de circulation. Cependant au milieu du dernier siècle parut un livre qui, par l’immensité des détails d’observations, leur application à toutes les parties du système général, celles même qui, à raison de leur finesse, pourroient échapper aux regards d’un anatomiste très-exercé, qui, par la beauté encore de l’exécution considérée tant sous le rapport de la typographie que sous ceux du dessin et de la gravure, sembloit devoir épouvanter ceux qui désormais se livreroient à de semblables travaux, je veux parler du traité admirable de Lyonet, sur l’anatomie de la chenille du saule. Mais il n’étoit pas nécessaire, pour faire avancer la science, de porter aussi loin l’observation ; et dans l’état où se trouvoit la zoologie, il étoit plus avantageux pour ses progrès de consacrer son temps à l’étude de ses diverses parties, afin de découvrir les différences organiques propres à servir de base à l’établissement des coupes principales : c’est ce qu’a fait, vous le savez tous, M. Cuvier. Comparez sa distribution de la classe des insectes de l’un de ses premiers ouvrages, le Tableau élémentaire de l’Histoire Naturelle des Animaux, avec celles qui existaient alors, vous reconnoîtrez qu’il a essentiellement perfectionné la méthode, en reportant à la tête de la classe les crustacés, les arachnides et les myriapodes ou mille-pieds, que l’on s’étoit obstiné jusqu’à lui, malgré l’évidence des affinités naturelles, à placer dans un sens inverse. Sans doute il eût été plus convenable de ne pas réunir dans un même groupe des animaux aussi disparates, et d’en former trois classes, ainsi que le fit M. de Lamarck, dont le nom se rattache si glorieusement à la même époque de l’histoire de la science ; mais l’ordonnance générale n’en appartient pas moins à M. Cuvier.

Sans parler de ses diverses recherches anatomiques particulières, n’a-t-il pas prouvé le premier que les insectes étoient dépourvus d’organe de circulation, et n’a-t-il pas constaté son existence dans les arachnides pulmonaires ? il a imprimé à ce genre d’observations un tel mouvement, que l’anatomie des insectes, si long-temps négligée, exerce maintenant la patience et la sagacité d’un grand nombre de naturalistes, et qu’elle si est déjà enrichie de plusieurs excellens mémoires, parmi lesquels je citerai ceux de MM. Ramdbor, Sprengel, Hérold, Téviranus, Marcel de Serres, Jurine, Blainville, Léon Dufour, Straus, Chabrier, Audouin, etc. La disposition des nervures des ailes a fourni à l’un de ces auteurs, feu Jurine, un nouveau moyen de classification. Des faunes, des monographies, de bons ouvrages iconographiques[2], viennent accroître chaque jour le dépôt de nos connoissances dans cette branche de la zoologie et faciliter son étude. L’Amérique même, jusqu’ici étrangère à cette impulsion, peut aujourd’hui opposer à l’Europe, les noms de qgelques entomologistes célèbres. Telle a été, MM., la marche de l’entomologie et telles ont été les sources de sa prospérité. En me résumant, on se borna d’abord à distinguer et à dénommer le petit nombre d’insectes que l’on jugea dignes d’intérêt en bien ou en mal. Puis on commença à étudier leurs parties extérieures et à classer ces animaux. Beaucoup plus tard et à la première époque de l’histoire moderne des sciences naturelles, le goût de l’observation s’étendit à toutes les espèces ; on commença à les décrire avec détails et à en former des collections. Peu d’années après, fut établi sur des faits incontestables le principe général de la reproduction de ces animaux, et la méthode retira de grands avantages de l’étude approffrondie et généralisée des métamorphoses. L’entomologie réclamoit une langue particulière, des moyens pour arriver le plus simplement possible à la détermination des objets et pour retenir facilement leurs noms ; des lois pour éviter l’arbitraire, ainsi qu’une méthode fondée sur des caractères certains. Linnæus parut, et nos vœux à cet égard furent remplis. Enfin, de nos jours, Fabricius par l’établissement d’un systéme, ayant pour base les organes de la manducation, a ouvert à l’observateur une route nouvelle, et M. Cuvier nous a conduit à la méthode naturelle par l’anatomie interne.

Tant de travaux ne doivent point décourager ceux qui désireroient entrer dans la même carrière. Que de découvertes à faire sur l’anatomie et la physiologie de ces animaux, sur leurs métamorphoses et leurs habitudes ? Combien d’espèces inconnues et que de difficultés restent encore à vaincre relativement à la classification ? encore quelques années et la plupart des soutiens actuels de la science n’existeront plus qu’en souvenirs. C’est vous, dont les travaux et les années n’ont point affoibli les forces et qui héritez de tant de connoissances, que la science appelle à son secours. Puissiez-vous répondre avec empressement à ses tendres invitations et vous rendre digne par un zèle persévérant de ses faveurs, ainsi que de la reconnoissance de la postérité !

  1. Ce mémoire a servi de discours d'entrée au cours que M. Latreille, suppléant M. de Lamarck dans ses fonctions de l’enseignement, a ouvert, le 6 mai de cette année, au Muséum d’Histoire Naturelle. Plusieurs personnes ayant témoigné le désir que ce discours fût imprimé, l’auteur s’est empressé de nous l’offrir. Il s’est proposé de donner une introduction à l’histoire de l’entomologie considérée sous des vues générales et philosophiques, et non un recensement des ouvrages qui ont paru sur cette science. Il n’a donc pu citer quelles auteurs qui en ont jeté les foudemens, et ce seroit bien méconnoître ses sentimens que d’accuser de partialité ou d’oubli le silence que, d’après son but, il a été obligé de garder envers d’autres naturalistes ainsi qu’envers lui-même.
  2. Je ne peux me dispenser de citer, comme un modèle en ce genre, l’Histoire Naturelle des Lépidoptères de France, de M. Godart, ouvrage dont il a déjà paru 28 cahiers.