Dissertation sur la musique moderne

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Dissertation sur la musique moderne
1743



Préface[modifier]

S’il est vrai que les circonstances et les préjugés décident souvent du sort d’un ouvrage, jamais auteur n’a dû plus craindre que moi. Le public est aujourd’hui si indisposé contre tout ce qui s’appelle nouveauté  ; si rebuté de systèmes et de projets, surtout en fait de musique, qu’il n’est plus guère possible de lui rien offrir en ce genre sans s’exposer à l’effet de ses premiers mouvements, c’est-à-dire, à se voir condamné sans être entendu.

D’ailleurs, il faudrait surmonter tant d’obstacles, réunis non par la raison, mais par l’habitude et les préjugés bien plus forts qu’elle, qu’il ne paraît pas possible de forcer de si puissantes barrières ; n’avoir que la raison pour soi, ce n’est pas combattre à armes égales, les préjugés sont presque toujours sûrs d’en triompher, et je ne connais que le seul intérêt capable de les vaincre à son tour.

Je serais rassuré par cette dernière considération, si le public était toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts : mais il est pour l’ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à des gens qui en ont de tout opposés, et il aime mieux se plaindre éternellement d’être mal servi, que de se donner des soins pour l’être mieux.

C’est précisément ce qui arrive dans la musique  ; on se récrie sur la longueur des maîtres et sur la difficulté de l’art. et l’on rebute ceux qui proposent de l’éclaircir et de l’abréger. Tout le monde convient que les caractères de la musique sont dans un état d’imperfection peu proportionné aux progrès qu’on a faits dans les autres parties de cet art : cependant on se défend contre toute proposition de les refermer comme contre un danger affreux : imaginer d’autres signes que ceux dont s’est servi le divin Lully, est non seulement la plus haute extravagance dont l’esprit humain soit capable, mais c’est encore une espèce de sacrilège. Lully est un Dieu dont le doigt est venu fixer à jamais l’état de ces sacrés caractères : éternisés par ses ouvrages  ; il n’est plus permis d’y toucher sans se rendre criminel, et il faudra au pied de la lettre que tous les jeunes Gens qui apprendront désormais la musique payent un tribut de deux ou trois ans de peine au mérite de Lully.

Si ce ne sont pas là les propres termes, c’est du moins le sens des objections que j’ai oui faire cent fois contre tout projet qui tendrait à réformer cette partie de la musique. Quoi ! faudra-t-il jeter au feu tous nos auteurs ? Tout renouveler ? La Lande, Bernier, Corelli ? Tout cela serait donc perdu pour nous ? Où prendrions-nous de nouveaux Orphées pour nous en dédommager, et quels seraient les musiciens qui voudraient se résoudre à redevenir écoliers ?

Je ne sais pas bien comment l’entendent ceux qui font ces objections  ; mais il me semble qu’en les réduisant en maximes, et en détaillant un peu les conséquences, on en ferait des aphorismes fort singuliers pour arrêter tout court le progrès des Lettres et des Beaux-arts.

D’ailleurs, ce raisonnement porte absolument à faux, et l’établissement des nouveaux caractères, bien loin de détruire les anciens ouvrages, les conserverait doublement, par les nouvelles éditions qu’on en ferait, et par les anciennes qui subsisteraient toujours. Quand on a traduit un auteur, je ne vois pas la nécessité de jeter l’original au feu. Ce n’est donc ni l’ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu’on risquerait de perdre, et remarquez, surtout, que quelqu’avantageux que pût être un nouveau système, il ne détruirait jamais l’ancien avec assez de rapidité pour en abolir tout d’un coup l’usage ; les livres en seraient usés avant que d’être inutiles, et quand ils ne serviraient que de ressource aux opiniâtres, on trouverait toujours assez à les employer.

Je sais que les musiciens ne sont pas traitables sur ce chapitre. La musique pour eux n’est pas la science des sons, c’est celle des noires, des blanches, des doubles croches, et dès que ces figures cesseraient d’affecter leurs yeux, ils ne croiraient jamais voir réellement de la musique. La crainte de redevenir écoliers, et surtout le train de cette habitude qu’ils prennent pour la science même, leur feront toujours regarde avec mépris ou avec effroi tout ce qu’on leur proposerait en ce genre. Il ne faut donc pas compter sur leur approbation  ; il faut même compter sur toute leur résistance dans l’établissement des nouveaux caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes, mais simplement comme nouveaux.

Je ne sais quel aurait été le sentiment particulier de Lully sur ce point, mais je suis presque sûr qu’il était trop grand homme pour donner dans ces petitesses ; Lully aurait senti que sa science ne tenait point à des caractères ; que ses sons ne cesseraient jamais d’être des sons divins quelques signes qu’on employât pour les exprimer, et qu’enfin, c’était toujours un service important à rendre à son art et au progrès de ses ouvrages, que de les publier dans une langue aussi énergique, mais plus facile à entendre, et qui par là deviendrait plus universelle, dût-il en coûter l’abandon de quelques vieux exemplaires, dont assurément il n’aurait pas cru que le prix fut à comparer à la perfection générale de l’art.

La malheur est que ce n’est pas à des Lully que nous avons à faire. Il est plus aisé d’hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pourquoi la musique n’est pas amie du raisonnement, mais si ses élèves sont si scandalisés de voir un confrère réduire son art en principes, l’approfondir, et le traiter méthodiquement, à plus forte raison ne souffriraient-ils pas qu’on osât attaquer les parties mêmes de cet art.

Pour juger de la façon dont on y serait reçu, on n’a qu’à se rappeler combien il a fallu d’années de lutte et d’opiniâtreté pour substituer l’usage du si à ces grossières muances qui ne sont pas même encore abolies partout. On convenait bien que l’échelle était composée de sept sons différents, mais on ne pouvait se persuader qu’il fût avantageux de leur donner à chacun un nom particulier puisqu’on ne s’en était pas avisé jusques-là, et que la musique n’avait pas laissé que d’aller son train.

Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force qu’elles peuvent avoir dans celui des lecteurs. Malgré cela, je ne saurais croire qu’elles puissent tenir contre les vérités de démonstration que j’ai à établir. Que tous les systèmes qu’on a proposés en ce genre aient échoué jusqu’ici, je n’en suis point étonné : même à égalité d’avantages et de défauts l’ancienne méthode devait sans contredit l’emporter, puisque pour détruire un système établi, il faut que celui qu’on veut substituer lui soit préférable, non seulement en les considérant chacun en soi-même et par ce qu’il a de propre, mais encore en joignant au premier toutes les raisons d’ancienneté et tous les préjugés qui le fortifient.

C’est ce cas de préférence où le mien me parait être et où l’on reconnaîtra qu’il est en effet, s’il conserve les avantages de la méthode ordinaire, s’il en sauve les inconvénients, et enfin s’il résout les objections extérieures qu’on oppose à toute nouveauté de ce genre, indépendamment de ce qu’elle est en soi-même.

A l’égard des deux premiers points ils seront discutés dans le corps de l’ouvrage, et l’on ne peut savoir à quoi s’en tenir qu’après l’avoir lu ; pour le troisième, rien n’est si simple à décider. Il ne faut, pour cela, qu’exposer le but même de mon projet et les effets qui doivent résulter de son exécution.

Le système que je propose roule sur deux objets principaux. L’un de noter la musique et toutes ses difficultés d’une manière plus simple, plus commode, et sous un moindre volume.

Le second et les plus considérable, est de la rendre aussi aisée à apprendre qu’elle a été rebutante jusqu’à présent, d’en réduire les signes à un plus petit nombre sans rien retrancher de l’expression, et d’en abréger les règles de façon à faire un jeu de la théorie, et à n’en rendre la pratique dépendante que de l’habitude des organes, sans que la difficulté de la note y puisse jamais entrer pour rien.

Il est aisé de justifier par l’expérience qu’on apprend la musique en deux et trois fois moins de temps par ma méthode que par la méthode ordinaire, que les musiciens formés par elle seront plus sûrs que les autres à égalité de science, et qu’enfin sa facilité est telle que quand on voudrait s’en tenir à la musique ordinaire, il faudrait toujours commencer par la mienne pour y parvenir plus sûrement et en moins de temps. Proposition qui toute paradoxe qu’elle paraît, ne laisse pas d’être exactement vraie, tant par le fait que par la démonstration. Or ces faits supposés vrais, toutes les objections tombent d’elles-mêmes et sans ressource. En premier lieu ; la musique notée suivant l’ancien système ne sera point inutile, et il ne faudra point se tourmenter pour la jeter au feu, puisque les élèves de ma méthode parviendront à chanter à livre ouvert sur la musique ordinaire en moins de temps encore, y compris celui qu’ils auront donné à la mienne, qu’on ne le fait communément  ; comme ils sauront donc également l’une et l’autre sans y avoir employé plus de temps, on ne pourra pas déjà dire à l’égard de ceux-là que l’ancienne musique est inutile.

Supposons des écoliers que n’aient pas des années à sacrifier, et qui veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de temps chanter à livre ouvert sur ma note, je dis que la musique ordinaire ne sera pas même perdue pour eux. A la vérité, au bout de ce temps-là, ils ne la sauront pas exécuter à livre ouvert : peut-être, même, ne la déchiffreront-ils pas sans peine : mais enfin, ils la déchiffreront ; car, comme ils auront d’ailleurs l’habitude de la mesure et celle de l’intonation, il suffira de sacrifier cinq ou six leçons de le septième mois à leur en expliquer les principes par ceux qui leur seront déjà connus, pour les mettre en état d’y parvenir aisément par eux-mêmes, et sans le secours d’aucun maître ; et quand ils ne voudraient pas se donner ce soin, toujours seront-ils capables de traduire sur le champ toute sorte de musique par la leur, et par conséquent, ils seraient en état d’en tirer parti, même dans un temps où elle est encore indéchiffrable pour les écoliers ordinaires.

Les maîtres ne doivent pas craindre de redevenir écoliers : ma méthode est si simple qu’elle n’a besoin que d’être lue et non pas étudiée, j’ai lieu de croire que les difficultés qu’ils y trouveraient viendraient plus des dispositions de leur esprit que de l’obscurité du système, puisque des dames à qui j’ai eu l’honneur de l’expliquer ont chanté sur le champ et à livre ouvert de la musique notée suivant cette méthode, et ont elles-mêmes noté des airs fort correctement, tandis que des musiciens du premier ordre auraient, peut-être, affecté de n’y rien comprendre.

Les musiciens, je dis du moins le plus grand nombre, ne se piquent guère de juger des choses sans préjugés et sans passion, et communément ils les considèrent bien moins par ce qu’elles sont en elles-mêmes, que par le rapport qu’elles peuvent avoir à leur intérêt. Il est vrai que même en ce sens-là, ils n’auraient nul sujet de s’opposer au succès de mon système, puisque dès qu’il est publié ils en sont les maîtres aussi bien que moi, et que la facilité qu’il introduit dans la musique devant naturellement lui donner un cours plus universel, ils n’en seront que plus occupés en contribuant à le répandre. Il est cependant très probable qu’ils ne s’y livreront pas les premiers, et qu’il n’y a que le goût décidé du public qui puisse les engager à cultiver un système dont les avantages paraissent autant d’innovations dangereuses contre la difficulté de leur art.

Quand je parle des musiciens en général, je ne prétends point y confondre ceux d’entre ces Messieurs qui font l’honneur de cet art par leur caractère et par leurs lumières. Il n’est que trop connu que ce qu’on appelle peuple domine toujours par le nombre dans toutes les sociétés et dans tous les états ; mais il ne l’est pas moins qu’il y a partout des exceptions honorables, et tout ce qu’on pourrait dire en particulier contre la profession de la musique, c’est que le peuple y est, peut-être, un peu plus nombreux, et les exceptions plus rares.

Quoiqu’il en soit, quand on voudrait supposer et grossir tous les obstacles qui peuvent arrêter l’effet de mon projet, on ne saurait nier ce fait plus clair que le jour, qu’il y a dans Paris deux et trois mille personnes, qui, avec beaucoup de dispositions, n’apprendront jamais la musique, par l’unique raison de sa longueur et de sa difficulté. Quand je n’aurais travaillé que pour ceux-là, voilà déjà une utilité sans réplique ; et qu’on ne dise pas que cette méthode ne leur servira de rien pour exécuter sur la musique ordinaire : car, outre que j’ai déjà répondu à cette objection ; il sera d’autant moins nécessaire pour eux d’y avoir recours qu’on aura soin de leur donner des éditions des meilleures pièces de musique de toute espèce et des recueils périodiques d’Airs à chanter et de symphonies, en attendant que le système soit assez répandu pour en rendre l’usage universel.

Enfin, si l’on outrait assez la défiance pour s’imaginer que personne n’adopterait mon système, je dis que même dans ce cas là, il serait encore avantageux aux amateurs de l’art de le cultiver pour leur commodité particulière. Les exemples qu’on trouve notés à la fin de cet ouvrage feront assez comprendre les avantages de mes signes sur les signes ordinaires, soit pour la facilité, soit pour la précision. On peut avoir en cent occasions des airs à noter sans papier réglé ; ma méthode vous en donne un moyen très commode et très simple. Voulez-vous envoyer en province des airs nouveaux, des scènes entières d’opéra sans augmenter le volume de vos lettres ? Vous pouvez écrire sur la même feuille de très longs morceaux de musique. Voulez-vous en composant peindre aux yeux le rapport de vos parties, le progrès de vos accords, et tout l’état de votre harmonie ? La pratique de mon système satisfait à tout cela, et je conclus enfin qu’à ne considérer ma méthode que comme cette langue particulière des prêtres égyptiens, qui ne servait qu’à traiter des sciences sublimes, elle serait encore infiniment inutile aux initiés dans la musique, avec cette différence, qu’au lieu d’être plus difficile, elle serait plus aisée que la langue ordinaire, et ne pourrait, par conséquent, être longtemps un mystère pour le public.

Il ne faut point regarder mon système comme un projet tendant à détruire les anciens caractères. Je veux croire que cette entreprise serait chimérique, même avec la substitution la plus avantageuse ; mais je crois aussi que la commodité des miens, et surtout leur extrême facilité méritent toujours qu’on les cultive indépendamment de ce que les autres pourront devenir.

Au reste, dans l’État de la musique, il n’est point extraordinaire que plusieurs personnes aient tenté de les refondre ou de les corriger. Il n’est pas même bien étonnant que plusieurs se soient rencontrés dans le choix substitution, tels que sont les chiffres. Cependant, comme la plupart des hommes ne jugent guère des choses que sur le premier coup d’œil, il pourra très bien arriver que par cette unique raison de l’usage des mêmes caractères on m’accusera de n’avoir fait que copier, et de donner ici un système renouvelé. J’avoue qu’il est aisé de sentir que c’est bien moins le genre des signes que la manière de les employer qui constitue la différence en fait de systèmes`autrement, il faudrait dire, par exemple, que l’Algèbre et la langueur française ne sont que la même chose parce qu’on s’y sert également des lettres de l’alphabet ; mais cette réflexion ne sera pas probablement celle qui l’emportera, et il paraît si heureux par une seule objection de m’ôter à la fois le mérite de l’invention, et de mettre sur mon compte les vices des autres systèmes, qu’il est des gens capables d’adopter cette critique uniquement à raison de sa commodité.

Quoiqu’un pareil reproche ne me fut pas tout à fait indifférent, j’y serait bien moins sensible qu’à ceux qui pourraient tomber directement sur mon système. Il importe beaucoup plus de savoir s’il est avantageux, que d’en bien connaître l’autre ; et quand on me refuserait l’honneur de l’invention, je serais moins touché de cette injustice que du plaisir de le voir utile au public. La seule grâce que j’ai droit de lui demander et que peu de gens m’accorderont, c’est de vouloir bien n’en juger qu’après avoir lu mon ouvrage et ceux qu’on m’accuserait d’avoir copiés.

J’avais d’abord résolu de ne donner ici qu’un plan très abrégé, et tel, à peut près, qu’il était contenu dans le Mémoire que j’eus l’honneur de lire à l’Académie Royal des Sciences le 22 août 1742. J’ai réfléchi cependant, qu’il fallait parler au public autrement qu’on ne parle à une Académie, et qu’il y avait bien des objections de toute espèce à prévenir. Pour répondre donc à celles que j’ai pu prévoir, il a fallu faire quelques additions qui ont mis mon ouvrage en l’état où le voilà. J’attendrai l’approbation du public pour en donner un autre qui contiendra les principes absolus de ma méthode, tels qu’ils doivent être enseignés aux écoliers. J’y traiterai d’une nouvelle manière de chiffrer l’accompagnement de l’orgue et du clavecin entièrement diffèrent de tout ce qui a paru jusqu’ici dans ce genre, et telle qu’avec quatre signes seulement je chiffre toute sorte de basses continues, de manière à rendre la modulation et la basse-fondamentale toujours parfaitement connues de l’accompagnateur, sans qu’il lui soit possible de s’y tromper. Suivant cette méthode, on peut, sans voir la basse-figurée, accompagner très juste par les chiffres seuls, qui au lieu d’avoir rapport à cette basse-figurée, l’ont directement à la fondamental  ; mais ce n’est pas ici le lieu d’en dire davantage sur cet article.

== Dissertation ==

Il parait étonnant que les signes de la musique étant restés aussi longtemps dans l’état d’imperfection où nous les voyons encore aujourd’hui, la difficulté de l’apprendre n’ait pas averti le public que c’était la faute des caractères et non pas celle de l’art, ou, que s’en était aperçu, on n’ait pas daigné y remédier. Il est vrai qu’on a donné souvent des projets en ce genre : mais de tous ces projets, qui, sans avoir les avantages de la musique ordinaire en avaient les inconvénients, aucun, que je sache, n’a jusqu’ici touché le but ; soit qu’une pratique trop superficielle ait fait échouer ceux qui l’ont voulu considérer théoriquement, soit que le génie étroit et borné des musiciens ordinaires les ait empêchés d’embrasser un plan général et raisonné, et de sentir les vrais défauts de leur art, de la perfection actuelle duquel ils sont, pour l’ordinaire, très entêtés.

La musique a eu le sort des arts qui ne se perfectionnent que successivement. Les inventeurs de ses caractères n’ont songé qu’à l’état où elle trouvait de leur temps, sans prévoir celui où elle pouvait parvenir dans la suite. Il est arrivé delà que leur système s’est bientôt trouvé défectueux, et d’autant plus défectueux que l’art s’est plus perfectionné. A mesure qu’on avançait, on établissait des règles pour remédier aux inconvénients présents, et pour multiplier une expression trop bornée, qui ne pouvait suffire aux nouvelles combinaisons dont on la chargeait tous les jours. E. Sauveur, n’ayant eu en vue que quelques propriétés des sons, et surtout, la pratique du chant qui était en usage de leur temps, ils se sont contentés de faire, par rapport à cela, des systèmes de musique que d’autres ont peu à peu changés à mesure que le goût de la musique changeait. Or il n’est pas possible qu’un système, fût-il d’ailleurs le meilleur du monde dans son origine, ne se charge à la fin d’embarras et de difficultés par les changements qu’on y fait et les chevilles qu’on y ajoute, et cela ne saurait jamais faire qu’un tout fort embrouillé et fort mal assorti.

C’est le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd’hui dans la musique, en exceptant, cependant, la simplicité du principe qui ne s’y est jamais rencontrée. Comme le fondement en est absolument mauvais, on ne l’a pas proprement gâté, on n’a fait que le rendre pire, par les additions qu’on a été contraint d’y faire.

Il n’est pas aisé de savoir précisément en quel état était la musique, quand Gui d’Arezze* s’avisa de supprimer tous les caractères qu’on y employait, pour leur substituer les notes qui sont en usage aujourd’hui. Ce qu’il y a de vraisemblable, c’est que ces premiers caractères étaient les mêmes avec lesquels les anciens Grecs exprimaient cette musique merveilleuse, de laquelle, quoiqu’on en dise, la nôtre n’approchera jamais quand à ses effets, et ce qu’il y a de s^pure, c’est que Gui rendit un fort mauvais service à la musique, et qu’il est fâcheux pour nous qu’il n’ait pas trouvé en son chemin des musiciens aussi indociles que ceux d’aujourd’hui.

  • Soit Gui d’Arezze, soit Jean de Mure, le nom de l’auteur ne fait rien au système, et je ne parle du premier que par ce qu’il est plus connu.

Il n’est pas douteux que les lettres de l’alphabet des Grecs, ne faussent en même temps les caractères de leur musique, et les chiffres de leur arithmétique : de sorte qu’ils n’avaient besoin que d’une seule espèce de signes, en tout au nombre de vingt-quatre, pour exprimer toutes les variations du discours, tous les rapports des nombres, et toutes les combinaisons des sons  ; en quoi ils étaient bien plus sages ou plus heureux que nous, qui somme contraints de travailler notre imagination sur une multitude de signes inutilement diversifiés.

Mais, pour ne m’arrêter qu’à ce qui regarde mon sujet, comment se peut-il qu’on ne s’aperçoive point de cette foule de difficultés que l’usage des notes à introduites dans la musique, ou que, s’en apercevant on n’ait pas le courage d’en tenter le remède, d’essayer de la ramener à sa première simplicité, et en un mot, de faire pour sa perfection ce que Gui d’Arezze a fait pour la gâter : car, en vérité, c’est le mot, et je le dis malgré moi.

J’ai voulu chercher les raisons dont cet auteur dut se servir pour faire abolir l’ancien système en faveur du sien, et je n’en ai jamais pu trouver d’autres que les deux suivantes. 1. Les notes sont plus apparentes que les chiffres. 2. Et leur position exprime mieux à la vue la hauteur et l’abaissement des sons. Voilà donc les seuls principes sur lesquels notre Aretin bâtit un nouveau système de musique, anéantit toute celle qui était en usage depuis deux mille ans, et apprit aux hommes à chanter difficilement. ( Pour trouver si Gui raisonnait juste, même en admettant la vérité de ses deux propositions, la question se réduirait à savoir si les yeux doivent être ménagés aux dépens de l’esprit, et si la perfection d’une méthode consiste à en rendre les signes plus sensibles en les rendant plus embarrassants : car c’est précisément le cas de la sienne.

Mais nous sommes dispensés d’enter là-dessus en discussion, puisque ces deux propositions étant également fausses et ridicules, elles n’ont jamais pu servir de fondement qu’à un très mauvais système.

en premier lieu  ; on voit d’abord que les notes de la musique remplissant beaucoup plus de place que les chiffres auxquels on les substitue, on peut, en faisant ces chiffres beaucoup plus gros, les rendre du moins aussi visibles que les notes, sans occuper plus de volume. On voit, de plus, que la musique notée ayant des points, des quarts de soupirs, des lignes, des clefs, des dièses, et d’autres signes nécessaires autant et plus menus que les chiffres, c’est par ces signes-là, et non par la grosseur des notes, qu’il faut déterminer le point de vue.

En second lieu  ; Gui ne devait pas faire sonner si haut l’utilité de la position des notes : puisque, sans parler de cette foule d’inconvénients dont elle est la cause, l’avantage qu’elle procure se trouve déjà tout entier dans la musique naturelle : c’est-à-dire, dans la musique par chiffres  ; on y voit du premier coup d’œil, de même qu’à l’autre, si un son est plus haut ou plus bas que celui qui le précède ou que celui qui le suit, avec cette différence seulement que dans la méthode des chiffres, l’intervalle, ou le rapport des deux sons qui le composent, est précisément connu par la seule inspection  ; au lieu que dans la musique ordinaire vous connaissez à l’œil qu’il faut monter ou descendre, et vous ne connaissez rien de plus.

On ne saurait croire quelle application, quelle persévérance, et quelle adroite mécanique est nécessaire dans le système établi, pour acquérir passablement la science des intervalles et des rapports : c’est l’ouvrage pénible d’une habitude toujours trop longue et jamais assez étendue, puisqu’après une pratique de quinze et vingt ans le musicien trouve encore des sauts qui l’embarrassent, non-seulement quant à l’intonation, mais encore quant à la connaissance de l’intervalle, surtout, lorsqu’il est question de sauter d’une clé à l’autre. Cet article mérite d’être approfondi, et j’en parlera plus au long.

Le système de Gui est tout à fait comparable, quant à son idée, à celui d’un homme qui, ayant fait réflexion que les chiffres n’ont rien dans leurs figures qui réponde à leurs différentes valeurs, proposerait d’établir entre eux une certaine grosseur relative, et proportionnelle aux nombres qu’ils expriment. Le deux, par exemple, serait du double plus gros que l’unité, le trois de la moitié plus gros que le deux, et ainsi de suite. Les défenseurs de ce système ne manqueraient pas de vous prouver qu’il est très avantageux dans l’arithmétique d’avoir sous les yeux des caractères uniformes qui, sans aucune différence par la figure, n’en auraient que par la grandeur, et peindraient en quelque sorte aux yeux les rapports dont ils seraient l’expression.

Au reste : cette connaissance oculaire des hauts, des bas, et des intervalles est si nécessaire dans la musique, qu’il n’y a personne qui ne sente le ridicule de certains projets qui ont été quelquefois donnés pour noter sur une seule ligne, par les caractères les plus bizarres, les plus mal imaginés, et les moins analogues à leur signification ; des queues tournées à droite, à gauche, en haut, en bas, et de biais dans tous les sens pour représenter des Ut, des Ré, des Mi, etc. Des têtes et des queues différemment situées pour répondre aux dénominations, Pa, ra, ga, so, bo, lo, do, ou d’autres signes tout aussi singulièrement appliqués. On sent d’abord que tout cela ne dit rien aux et n’a nul rapport à ce qu’il doit signifier, et j’ose dire que les hommes ne trouveront jamais de caractères convenables ni naturels que les seules chiffres pour exprimer les sons et tous leurs rapports. On en connaîtra mille fois les raisons dans le cours de cette lecture : en attendant, il suffit de remarquer que les chiffres étant l’expression qu’on a données aux nombres, et les nombres eux-mêmes étant les exposants de la génération des sons, rien n’est si naturel que l’expression des divers sons par les chiffres de l’arithmétique.

Il ne faut donc pas être surpris qu’on ait tenté quelquefois de ramener la musique à cette expression naturelle. Pour peu qu’on réfléchisse sur cet art, non en musicien, mais en philosophe, on en sent bientôt les défauts : l’on sent encore que ces défauts sont inhérents au fond même du système, et dépendants uniquement du mauvais choix et non pas du mauvais usage de ses caractères : car, d’ailleurs, on ne saurait disconvenir qu’une longue pratique suppléant en cela au raisonnement, ne nous ait appris à les combiner de la manière la plus avantageuse qu’ils peuvent l’être.

Enfin, le raisonnement nous mène encore jusqu’à connaître sensiblement que la musique dépendant des nombres elle devrait avoir la même expression qu’eux : nécessité qui ne naît pas seulement d’une certaine convenance générale, mais du fond même des principes physiques de cet art.


Quand on est une fois parvenu là, par une suite de raisonnements bien fondés et bien conséquents, c’est alors qu’il faut quitter la philosophie et redevenir musicien, et c’est justement ce que n’ont fait aucun de ceux qui jusqu’à présent ont proposé des systèmes en ce genre. Les uns, partant quelquefois d’une théorie très fine n’ont jamais su venir à bout de la ramener à l’usage, et les autres, n’embrassant proprement que le mécanique de leur art, n’ont pu remonter jusqu’aux grand principes qu’ils ne connaissaient pas, et d’où cependant, il faut nécessairement partir pour embrasser un système lié. Le défaut de pratique dans les uns, le défaut de théorie dans les autres, et peut-être, s’il faut le dire, le défaut de génie dans tous, ont fait que jusqu’à présent aucun des projets qu’on a publiés n’a remédié aux inconvénients de la musique ordinaire, en conservant ses avantages.

Ce n’est pas qu’il se trouve une grande difficulté dans l’expression des sons par les chiffres, puisqu’on pourrait toujours les représenter en nombre, ou par les degrés de leurs intervalles, ou par les rapports de leurs vibrations ; mais l’embarras d’employer une certaine multitude de chiffres sans ramener les inconvénients de la musique ordinaire, et le besoin de fixer le genre et la progression des sons par rapport à tous les différents modes, demandent plus d’attention qu’il ne paraît d’bord : car la question est proprement de trouver une méthode générale pour représenter, avec un très petit nombre de caractères, tous les sons de la musique considérés dans chacun des vingt-quatre modes.

Mais la grande difficulté où tous les inventeurs de systèmes ont échoué, c’est celle de l’expression des différentes durées des silences et des sons. Trompés par les fausses règles de la musique ordinaire, ils n’ont jamais pu s’élever au-dessus de l’idée des rondes, des noires et des croches ; ils se sont rendus les esclaves de cette mécanique, ils ont adopté les mauvaise relations qu’elle établit  ; ainsi, pour donner aux notes des valeurs déterminées, il a fallu inventer de nouveaux signes, introduire dans chaque note une complication de figures, par rapport à la durée, et par rapport au son, d’où s’ensuivent des inconvénients que n’a pas la musique ordinaire, c’est avec raison que toutes ces méthodes sont tombées dans le décri ; mais enfin, les défauts de cet art n’en subsistent pas moins pour avoir été comparés avec des défauts plus grands, et quand on publierait encore mille méthodes plus mauvaises, on en serait toujours au même point de la question, et tout cela ne rendrait pas plus parfaite celle que nous pratiquons aujourd’hui.

Tout le monde, excepté les artistes, ne cesse de se plaindre de l’extrême longueur qu’exige l’étude de la musique avant que de la posséder passablement : mais, comme la musique est une des sciences sur lesquelles on a moins réfléchi, soit que le plaisir qu’on y prend nuise au sens froid nécessaire pour méditer  ; soit que ceux qui la pratiquent ne soient pas trop communément gens à réflexions, on ne s’est guère avisé jusqu’ici de rechercher les véritables causes de sa difficulté, et l’on a injustement taxé l’art même des défauts que l’artiste y avait introduits.

On sent bien, à la vérité, que cette quantité de lignes, de clés, de transpositions, de dièses, de bémols, de bécarres, de mesures simples et composées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doubles, de triples croches, de pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-soupirs, de quarts de soupir, etc. donne une foule de signes et de combinaisons d’où résulte bien de l’embarras et bien des inconvénients : mais quels sont précisément ces inconvénients ? naissent-ils directement de la musique elle-même, ou de la mauvaise manière de l’exprimer ? Sont-ils susceptibles de correction, et quels sont les remèdes convenables qu’on y pourrait apporter, il est rare qu’on pousse l’examen jusque-là`et après avoir eu la patience pendant des années entières de s’emplir la tête de sons, et la mémoire de verbiage, il arrive souvent qu’on est tout étonné de ne rien concevoir à tout cela, qu’on prend en dégoût la musique et le musicien, et qu’on laisse là l’un et l’autre, plus convaincu de l’ennuyeuse difficulté de cet art, que de ses charmes si vantés.

J’entreprends de justifier la musique des torts dont on l’accuse, et de montrer qu’on peut, par des routes plus courtes et plus faciles, parvenir à la posséder plus parfaitement et avec plus d’intelligence que par la méthode ordinaire, afin que si le public persiste à vouloir s’y tenir, il ne s’en prenne du moins qu’à lui-même des difficultés qu’il y trouvera.

Sans vouloir entrer ici dans le détail de tous les défauts du système établi, j’aurai, cependant, occasion de parler des plus considérables, et il sera bon d’y remarquer toujours que ces inconvénients étant des suites nécessaires du fond même de la méthode, il est absolument impossible de les corriger autrement que par une refonte générale telle que je la propose ; il reste à examiner si mon système remédie en effet à tous ces défauts sans en introduire d’équivalents, et c’est à cet examen que ce petit ouvrage est destiné.

En général  ; on peut réduire tous les vices de la musique ordinaire à trois classes principales. La première est la multitude des signes et de leurs combinaisons qui surchargent inutilement l’esprit et la mémoire des commençants, de façon que l’oreille étant formée, et les organes ayant acquis toute la facilité nécessaire longtemps avant qu’on soit en état de chanter à livre ouvert, il s’ensuit que la difficulté est toute dans l’observation des règles, et nullement dans l’exécution du chant. La seconde est le défaut d’évidence dans le genre des intervalles exprimés sur la même ou sur différentes clés. Défaut d’une si grande étendue, que, non seulement, il est la cause principale de la lenteur du progrès des écoliers ; mais encore qu’il n’est point de musicien formé qui n’en soit quelquefois incommodé dans l’exécution. La troisième enfin, est l’extrême diffusion des caractères et le trop grand volume qu’ils occupent, ce qui joint à ces lignes et à ces portées si ennuyeuses à tracer, devient une source d’embarras de plus d’une espèce. Peut-être cet article paraîtra-t-il de légère considération à bien des lectures : mais s’ils font réflexion à ce qui doit constituer la perfection des signes dans tous les genres et surtout en fait de musique, ils sentiront qu’elle consiste essentiellement à beaucoup exprimer en peu d’espace, et qu’enfin dans les choses d’institution, et dans les choses générales, le moins bien n’est jamais un petit défaut.

Il paraît d’abord assez difficile de trouver une méthode qui puisse remédier à tous ces inconvénients à la fois. Comment donner plus d’évidence à nos signes, sans les augmenter en nombre ? Et comment les augmenter en nombre, sans les rendre d’un côté plus longs à apprendre, plus difficiles à retenir, et de l’autre, plus étendus dans leur volume ?

Cependant, à considérer la chose de près, on sent bientôt que tous ces défauts partent de la même source ; savoir, de la mauvaise institution des signes et de la quantité qu’il en a fallu établir pour suppléer à l’expression bornée et mal entendue qu’on leur a donnée en premier lieu ; et il est démonstratif que dès qu’on aura inventé des signes équivalents, mais plus simples, et en moindre quantité, ils auront par là même plus de précision et pourront exprimer autant de choses en moins d’espace.

Il serait avantageux, outre cela, que ces signes fussent déjà connus, afin que l’attention fut moins partagée, et facile à figurer, afin de rendre la musique plus commode.

Voilà les vues que je me suis proposées, en méditant le système que je présent au public. Comme je destine un autre ouvrage au détail de ma méthode telle qu’elle doit être enseignée au écoliers, on n’en trouvera ici qu’un plan général qui suffira pour en donner la parfaite intelligence aux personnes qui cultivent actuellement la musique, et dans lequel j’espère, malgré sa brièveté, que la simplicité de mes principes ne donnera lieu ni à l’obscurité, ni à l’équivoque.

Il faut d’abord considérer dans la musique deux objets principaux chacun séparément. Le premier doit être l’expression de tous les sons possibles, et l’autre, celles de toutes les différentes durées tant des sons que de leurs silences relatifs,, ce qui comprend aussi la différence des mouvements.

Comme la musique n’est qu’un enchaînement de sons qui se font entendre, ou tous ensemble, ou successivement, il suffit que tous ces sons aient des expressions relatives qui leur assignent à chacun la place qu’il doit occuper par rapport à un certain son fondamental naturel ou arbitraire, pourvu que ce son fondamental soit nettement exprimé et que la relation soit facile à connaître. Avantages que n’a déjà point la musique ordinaire où le son fondamental n’a nulle évidence particulière, et où tous les rapports des notes ont besoin d’être longtemps étudiés.

Mais comment faut-il procéder pour déterminer ce son fondamental de la manière la plus avantageuse qu’il est possible, c’est d’abord une question qui mérite fort d’être examinée. On voit déjà qu’il n’est aucun son dans la nature qui contienne quelque propriété particulière et connue, par laquelle on puisse le distinguer toutes les fois qu’on l’entendra. Vous ne sauriez décider sur un son unique que ce soit un ut plutôt qu’un la ou un ré, et tant que vous l’entendrez seul vous n’y pouvez rien apercevoir qui vous doive engager à lui attribuer un nom plutôt qu’un autre. C’est ce qu’avait déjà remarqué Moeurs de Mairan. Il n’y a, dit-il, dans la nature ni ut ni sol qui soit quinte ou quarte par soi-même, parce que ut, sol, ou re n’existent qu’hypothétiquement selon le son fondamental que l’on a adopté. La sensation de chacun des tons n’a rien en soi de propre à la place qu’il tient dans l’étendue du clavier, rien qui le distingue des autres pris séparément. Le Re de l’Opéra pourrait être l’Ut de Chapelle, ou au contraire : la même vitesse, la même fréquence de vibrations qui constitue l’un pourra servir quand on voudra à constituer l’autre  ; ils ne diffèrent dans le sentiment qu’en qualité de plus haut ou de plus bas, comme huit vibrations, par exemple, différent de neuf, et non pas d’une différence spécifique de sensation.

Voilà donc tous les sons imaginables réduits à la seule faculté d’exciter des sensations par les vibration qui les produisent, et la propriété spécifique de chacun d’eux réduite au nombre particulier de ces vibrations pendant un temps déterminé : or comme il est impossible de compter ces vibrations, du moins d’une manière directe, il reste démontré qu’on ne peut trouver dans les sons aucune propriété spécifique par laquelle on les puisse reconnaître séparément, et à plus forte raison qu’il n’y a aucun d’eux qui mérite par préférence d’être distingué de tous les autres et de servir de fondement aux rapports qu’ils ont entre eux.

Il est vrai que M. Sauveur avait proposé un moyen de déterminer un son fixe qui eut servi de base à tous les tons de l’échelle générale : mais ses raisonnements mêmes prouvent qu’il n’est point de son fixe dans la nature, et l’artifice très ingénieux et très impraticable qu’il imagina pour en trouver un arbitraire, prouve encore combien il y a loin des hypothèses, ou même, si l’on veut, des vérités de spéculation, aux simples règles de pratique.

Voyons, cependant, si en épiant la nature de plus près, nous ne pourrons point nous dispenser de recourir à l’art, pour établir un ou plusieurs sons fondamentaux, qui puissent nous servir de principe de comparaison pour y rapporter tous les autres.

D’abord, comme nous ne travaillons que pour la pratique, dans la recherche des sons nous ne parlerons que de ceux qui composent le système tempéré tel qu’il est universellement adopté, comptant pour rien ceux qui n’entrent point dans la pratique de notre musique, et considérant comme justes sans exception tous les accords qui résultent du tempérament. On verra bientôt que cette supposition, qui est la même qu’on admet dans la musique ordinaire, n’ôtera rien à la variété que le système tempéré introduit dans l’effet des différentes modulations.

En adoptant donc la suite de tous les sons du clavier telle qu’elle est pratiquée sur les orgues et les clavecins, l’expérience m’apprend qu’un certain son auquel on a donné le nom d’ut, rendu par un tuyau long de seize pieds ouvert, fait entendre assez distinctement, outre le son principal, deux autres sons plus faibles, l’un à la tierce majeure, et l’autre à la quinte*, auxquels on a donné les noms de mi et de sol. J’écris à part ces trois noms, et cherchant un tuyau à la quinte du premier qui rende le même son que je viens d’appeler sol ou son octave, j’en trouve un de dix pieds huit pouces de longueur, lequel outre le son principal sol, en rend aussi deux autres, mais plus faiblement  ; je les appelle si et re, et je trouve qu’ils sont précisément en même rapport avec le sol que le sol et le mi l’étaient avec l’ut ; je les écris à la suite des autres, omettant comme inutile d’écrire le sol une seconde fois. Cherchant un troisième tuyau à l’unisson de la quinte re, je trouve qu’il rend encore deux autres sons outre le son principal re, et toujours en même proportion que les précédents ; je les appelle fa et la**, et je les écris encore à la suite des précédents. En continuant de même sur le la, je trouverais encore deux autres sons  ; mais comme j’aperçois que la quinte est ce même mi qui a fait la tierce du premier son ut, je m’arrête là, pour ne pas redoubler inutilement mes expériences, et j’ai les sept nom suivants, répondants au premier son ut et aux six autres que j’ai trouvés de deux en deux.

Ut, mi, sol, si, re, fa, la.

  • C’est-à-dire, à la douzième, qui est la réplique de la quinte, et à la dix-septième, qui est la duplique de la tierce majeure. L’octave, et même plusieurs octaves s’entendent aussi assez distinctement, et s’entendraient bien mieux encore si l’oreille ne les confondait quelquefois avec le son principal.
    • Le fa qui fait la tierce majeure du re se trouve, par conséquent, dièse dans cette progression, et il faut avouer qu’il n’est pas aisé de développer l’origine du fa naturel considéré comme quatrième note du ton : mais il y aurait l`-dessus des observations à faire qui nous mèneraient loin et qui ne seraient pas propres à cet ouvrage. Au reste ; nous devons d’autant moins nous arrêter à cette légère exception qu’on peut démontrer que le fa naturel ne saurait être traité dans le ton d’ut que comme dissonance ou préparation à la dissonance.

Rapprochant ensuite tous ces sons par octaves dans les plus petits intervalles où je puis les placer, je les trouve rangés de cette sorte ;

Ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Et ces sept notes ainsi rangées indiquent justement le progrès diatonique affecté au mode majeur par la nature même : or comme le premier son ut a servi de principe et de base à tous les autres, nous le prendrons pour ce son fondamental que nous avions cherché, parce qu’il est bien réellement la source et l’origine d’où sont émanés tous ceux qui le suivent. Parcourir ainsi tous les sons de cette échelle en commençant et finissant par le son fondamental, et en préférant toujours les premiers engendrés aux derniers, c’est ce qu’on appelle moduler dans le ton d’ut majeur, et c’est là proprement la gamme fondamentale qu’on est convenu d’appeler naturelle préférablement aux autres, et qui sert de règle de comparaison pour y conformer les sons fondamentaux de tous les tons praticables. Au reste : il est bien évident qu’en prenant le son rendu par tout autre tuyau pour le son fondamental ut, nous serions parvenues par des sons différents à une progression toute semblable, et que, par conséquent, ce choix n’est que de pure convention et tout aussi arbitraire que celui d’un tel ou tel méridien pour déterminer les degrés de longitude.

Il suit delà, que ce que nous avons fait en prenant ut pour base de notre opération, nous le pouvons faire de même en commençant par un des six sons qui le suivent, à notre choix, et qu’appelant ut ce nouveau son fondamental, nous arriverons à la même progression que si-devant, et nous trouverons tout de nouveau,

Ut, re, mi, fa, sol, la, si.

Avec cette unique différence que ces derniers sons étant placés à l’égard de leur son fondamental d la même manière que les précédents l’étaient à l’égard du leur, et ces deux sons fondamentaux étant pris sur différents tuyaux, il s’ensuit que leurs sons correspondants sont aussi rendus par différents tuyaux, et que le premier ut, par exemple, n’étant pas le même que le second, le premier re n’est pas non plus le même que le second.

A présent l’un de ces deux tons étant pris pour le naturel, si vous voulez savoir ce que les différents sons du second sont à l’égard du premier, vous n’avez qu’à chercher à quel son naturel du premier ton se rapporte le fondamental du second, et le même rapport subsistera toujours entre les sons de même dénomination de l’un et de l’autre ton dans les octaves correspondantes. Supposant, par exemple, que l’ut du second ton soit un sol au naturel, c’est-à-dire à la quinte de l’ut naturel, le re du second ton sera sûrement un la naturel, c’est-à-dire, la quinte du re naturel, le mi sera un si, le fa un ut, etc. et alors on dira qu’on est au ton majeur de sol, c’est-à-dire, qu’on a pris le sol naturel pour en faire le son fondamental d’un autre ton majeur.

Mais si, au lieu de m’arrêter en la dans l’expérience des trois sons rendus par chaque tuyau, j’avais continué ma progression de quinte en quinte jusqu’à me retrouver au premier ut d’où j’étais parti d’abord, ou à l’une de ses octaves, alors j’aurais passé par cinq nouveaux sons altérés des premiers, lesquels font avec eux la somme de douze sons différents renfermés dans l’étendue de l’octave, et faisant ensemble ce qu’on appelle les douze cordes du système chromatique.

Ces douze sons répliqués à différentes octaves font toute l’étendue de l’échelle générale sans qu’il puisse jamais s’en présenter aucun autre, du moins dans le système tempéré, puisqu’après avoir parcouru de quinte en quinte tous les sons que les tuyaux faisaient entendre, je suis arrivé à la réplique du premier par lequel j’avais commencé, et que, par conséquent, en poursuivant la même opération, je n’aurais jamais que les répliques, c’est-à-dire, les octaves des sons précédents.

La méthode que la nature n’a indiquée et que j’ai suivie pour trouver la génération de tous les sons pratiqués dans la musique m’apprend donc en premier lieu, non pas à trouver un son fondamental proprement dit qui n’existe point, mais à tirer d’un son établi par convention tous les mêmes avantages qu’il pourrait avoir s’il était réellement fondamental, c’est-`-dire, à en faire réellement l’origine et le générateur de tous les autres sons qui sont en usage et qui n’y peuvent être qu’en conséquence de certains rapports déterminés qu’ils ont avec lui, comme les touches du clavier à l’égard du C sol ut.

Elle m’apprend en second lieu qu’après avoir déterminé le rapport de chacun de ces sons avec le fondamental, on peut à son tour le considérer comme fondamental lui-même, puisque le tuyau qui le rend faisant entendre sa tierce majeure et sa quinte aussi bien que le fondamental, on trouve, en partant de ce son là comme générateur, une gamme qui ne diffère en rien quant à sa progression de la gamme établie en premier lieu. C’est-à-dire, en un mot, que chaque touche du clavier peut et doit même être considérée sous deux sens tout à fait différents ; suivant le premier, cette touche représente un son relatif au C sol ut, et qui en cette qualité s’appelle re ou mi ou sol, etc. selon qu’il est le second, le troisième ou le cinquième degré de l’octave renfermée entre deux ut naturels. Suivant le second sens elle est le fondement d’un ton majeur, et alors elle doit constamment porter le nom d’ut, et toutes les autres touches ne devant être considérées que par les rapports qu’elles ont avec la fondamentale, c’est ce rapport qui détermine alors le nom qu’elles doivent porter suivant le degré qu’elles occupent : comme l’octave renferme douze sons, il faut indiquer celui qu’on choisit et alors c’est un la ou un re etc. naturel, cela détermine le son : mais quand il faut le rendre fondamental et y fixer le ton, alors c’est constamment un ut, et cela détermine le progrès.

Il résulte de cette explication que chacun des douze sons de l’octave peut être fondamental ou relatif suivant la manière dont il sera employé, avec cette distinction que la disposition de l’ut naturel dans l’échelle des tons le rend fondamental naturellement, mais qu’il peut toujours devenir relatif à tout autre son que l’on voudra choisir pour fondamental ; au lieu que ces autres sons naturellement relatifs à celui d’ut ne deviennent fondamentaux que par une détermination particulière. Au reste ; il est évident que c’est la nature même qui nous conduit à cette distinction de fondement et de rapports dans les sons : chaque son peut être fondamental naturellement puisqu’il faut entendre ses harmoniques, c’est-à-dire, sa tierce majeure et sa quinte, qui sont les cordes essentielles du ton dont il est le fondement, et chaque son peut encore être naturellement relatif puisqu’il n’en est aucun qui ne soit une des harmoniques ou des cordes essentielles d’un autre son fondamental, et qui n’en puisse être engendré en cette qualité. On verra dans la suite pourquoi j’ai insisté sur ces observations.

Nous avons donc douze sons qui servent de fondements ou de toniques aux douze tons majeurs pratiqués dans la musique, et qui en cette qualité sont parfaitement semblables quant aux modifications qui résultent de chacun d’eux traité comme fondamental. A l’égard du mode mineur, il ne nous est point indiqué par la nature, et comme nous ne trouvons aucun son qui en fasse entendre les harmoniques nous pouvons concevoir qu’il n’a point de son fondamental absolu, et qu’il ne peut exister qu’en vertu du rapport qu’il a avec le mode majeur dont il est engendré, comme il est aisé de le faire voir*.

  • Voyez M. Rameau nouv.syst. p.21. et tr. de l’Harmo. p.12 et 13.

Le premier objet que nous devons donc nous proposer dans l’institution de nos nouveaux signes, c’est d’en imaginer d’abord un qui désigne nettement dans toutes les occasions la corde fondamentale que l’on prétend établir, et le rapport qu’elle a avec la fondamentale de comparaison, c’est-à-dire, avec l’ut naturel.

Supposons ce signe déjà choisi. la fondamentale étant déterminée, il s’agira d’exprimer tous les autres sons par le rapport qu’ils ont avec elle, car c’est elle seule qui en détermine le progrès et les altérations : ce n’est pas, à la vérité, ce qu’on pratique dans la musique ordinaire où les sons sont exprimés constamment par certains noms déterminés qui ont un rapport direct aux touches des instruments et à la gamme naturelle sans égard au ton où l’on est ni à la fondamentale qui le détermine : mais comme il est ni à la fondamentale qui le détermine : mais comme il est ici question de ce qu’il convient le mieux de faire et non pas de ce qu’on fait actuellement, est-on moins en droit de rejeter une mauvaise pratique, si je fais voir que celle que je lui substitue mérite la préférence, qu’on le serait de quitter un mauvais guide pour un autre qui vous montrerait un chemin plus commode et plus court ? Et ne ses moquerait-on pas du premier s’il voulait vous contraindre à le suivre toujours, par cette unique raison, qu’il vous égare depuis longtemps ?

Ces considérations nous mènent directement aux choix des chiffres pour exprimer les sons de la musique, puisque les chiffres ne marquent que des rapports et que l’expression des sons n’est aussi que celles des rapports qu’ils ont entre eux. Aussi avons-nous déjà remarqué que les Grecs ne se servaient des lettres de leur alphabet à cet usage, que parce que ces lettres étaient en même temps les chiffres de leur arithmétique, au lieu que les caractères de notre alphabet ne portant point communément avec eux les idées de nombres ni de rapports, ne seraient pas à beaucoup près si propres à les exprimer.


Il ne faut pas s’étonner après cela si l’on a tenté si souvent de substituer les chiffres aux notes de la musique ; c’était assurément le service le plus important que l’on eût pu rendre à cet art, si ceux qui l’ont entrepris avaient eu la patience ou les lumières nécessaires pour embrasser un système général dans toute son étendue. Le grand nombre de tentatives qu’on a faites sur ce point fait voir qu’on sent depuis longtemps les défauts des caractères établis. Mais il fait voir encore qu’il est bien plus aisé de les apercevoir que de les corriger  ; faut-il conclure delà que la chose est impossible.

Nous voilà donc déjà déterminés sur le choix des caractères  ; il est question maintenant de réfléchir sur la meilleure manière de les appliquer. il est sûr que cela demande quelque soin : car s’il n’était question que d’exprimer tous les sons par autant de chiffres différents il n’y aurait pas là grande difficulté : mais aussi n’y aurait-il pas non plus grand mérite, et ce serait ramener dans la musique une confusion encore pire que celle qui naît de la position des notes.

Pour n’éloigner le moins qu’il est possible de l’esprit de la méthode ordinaire, je ne ferai d’abord attention qu’au clavier naturel, c’est-à-dire, aux touches noires de l’orgue et du clavecin, réservant pour les autres des signes d’altération semblables à ceux qui se pratiquent communément. Ou plutôt, pour me fixer par une idée plus universelle, je considérerai seulement le progrès et le rapport des sons affectés au mode majeur, faisant abstraction à la modulation et aux changements de ton, bien sûr qu’en faisant régulièrement l’application de mes caractères, la fécondité de mon principe suffira à tout.

De plus : comme toute l’étendue du clavier n’est qu’une suite de plusieurs octaves redoublées, je me contenterai d’en considérer une à part, et je chercherai ensuite un moyen d’appliquer successivement à toutes, les mêmes caractères que j’aurai affectés aux sons de celle-ci. Par-là, je me conformerai à la fois à l’usage qui donne les mêmes noms aux notes correspondantes des différentes octaves, à mon oreille qui se plaît à en confondre les sons, à la raison qui me fait voir les mêmes rapports multipliés entre les nombres qui les expriment, et enfin je corrigerai un des grands défauts de la musique ordinaire qui est d’anéantir par une position vicieuse l’analogie et la ressemblance qui doit toujours se trouver entre les différentes octaves.

Il y a deux manières de considérer les sons et les rapports qu’ils ont entre eux  ; l’une par leur génération, c’est-à-dire, par les différentes longueurs des cordes ou des tuyaux qui les font entendre, et l’autre, par les intervalles qui les séparent du grave à l’aigu. A l’égard de la première, elle ne saurait être de nulle conséquence dans l’établissement de nos signes  ; soit parce qu’il faudrait de trop grands nombres pour les exprimer  ; soit enfin, parce que de tels nombres ne sont de nul avantage pour la facilité de l’intonation qui doit être ici notre grand objet.

Au contraire, la seconde manière de considérer les sons par leurs intervalles renferme un nombre infini d’utilités : c’est pratiqué actuellement. Il est vrai que suivant ce système, les notes n’ayant rien en elles-mêmes ni dans l’espace qui les sépare qui vous indique clairement le genre de l’intervalle, il faut annoncer un temps infini avant que d’avoir acquis toute l’habitude nécessaire pour le reconnaître au premier coup d’œil. Mais comme ce défaut vient uniquement du mauvais choix des signes, on n’en peut rien conclure contre le principe sur lequel ils sont établis, et l’on verra bientôt comment au contraire on tire de ce principe tous les avantages qui peuvent rendre l’intonation aisée à apprendre et à pratiquer.

Prenant ut pour ce son fondamental auquel tous les autres doivent se rapporter, et l’exprimant par le chiffre 1 nous aurons à sa suite l’expression des sept sons naturels, ut, re, mi, fa, sol, la, si, par les sept chiffres, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7  ; de façon que tant que le chant roulera dans l’étendue de ces sept sons, il suffira de les noter chacun par son chiffre correspondant pour les exprimer tous sans équivoque.

Il est évident que cette manière de noter conserve pleinement l’avantage si vanté de la position : car vous connaissez à l’œil aussi clairement qu’il est possible si un son est plus haut ou plus bas qu’un autre  ; vous voyez parfaitement qu’il faut monter pour aller de l’1 au 5, et qu’il faut descendre pour aller du 4 au 2 : cela ne souffre pas la moindre réplique.

Mais je ne m’étendrai pas ici sur cet article, et je me contenterai de toucher à la fin de cet ouvrage les principales réflexions qui naissent de la comparaison des deux méthodes  ; si l’on suit mon projet avec quelque attention, elles se présenteront d’elles-mêmes à chaque instant, et en laissant à mes lecteurs le plaisir de me prévenir, j’espère de me procurer la gloire d’avoir pensé comme eux.

Les sept premiers chiffres ainsi disposés marqueront, outre les degrés de leurs intervalles, celui que chaque son occupe à l’égard du son fondamental, de façon qu’il n’est aucun intervalle dont l’expression par chiffres ne vous présente un double rapport, le premier entre les deux sons qui le composent, et le second, entre chacun d’eux et le son fondamental.

Soit donc établi que le chiffre 1 s’appellera toujours ut, 2 s’appellera toujours re, 3 toujours mi, etc. conformément à l’ordre suivant.

1, 2, 3, 4, 5, 6, 7

Ut, re, mi, fa,sol, la, si

Mais quand il est question de sortir de cette étendue pour passer dans d’autres octaves, alors cela forme une nouvelle difficulté. Car il faut nécessairement multiplier les chiffres, ou suppléer à cela par quelque nouveau signe qui détermine l’octave où l’on chante, autrement l’ut d’en haut étant écrit 1 aussi bien que l’ut d’en bas, le musicien ne pourrait éviter de les confondre, et l’équivoque aurait lieu nécessairement.

C’est ici le cas où la position peut être admise avec tous les avantages qu’elle a dans la musique ordinaire sans en conserver ni les embarras, ni la difficulté. Etablissons une ligne horizontale sur laquelle nous disposerons toutes les notes renfermées dans la même octave, c’est-à-dire depuis et compris l’ut d’en bas jusqu’à celui d’en haut exclusivement. Faut-il passer dans l’octave qui commence à l’ut d’en haut ? Nous placerons nos chiffres au-dessus de la ligne. Voulons-nous, au contraire, passer dans l’octave inférieure laquelle commence en descendant par le si qui suit l’ut posé sur la ligne ? Alors nous les placerons au-dessous de la même ligne. C’est-à-dire que la position qu’on est contraint de changer à chaque degré dans la musique ordinaire ne changera dans la mienne qu’à chaque octave et aura, par conséquent, six fois moins de combinaisons. (Voyez la planche Exemple 1.)

Après ce premier ut, je descends au sol de l’octave inférieure : je reviens à mon ut, et après avoir fait le mi et le sol de la même octave, je passe à l’ut d’en haut, c’est-à-dire, à l’ut qui commence l’octave supérieure : je redescends ensuite jusqu’au sol d’en bas par lequel je reviens finir à mon premier ut.


Vous pouvez voir dans ces exemples (voyez la pl. Ex.1 et 2.) comment le progrès de la voix est toujours annoncé aux yeux, ou par les différentes valeurs des chiffres s’ils sont de la même octave, ou par leurs différentes positions si leurs octaves sont différentes.

Cette mécanique est si simple qu’on la conçoit du premier regard, et la pratique en est la chose du monde la plus aisée. Avec une seule ligne vous modulez dans l’entendue de trois octaves, et s’il se trouvait que vous voulussiez passer encore au-delà, ce qui n’arrivera guère dans une musique sage, vous avez toujours la liberté d’ajouter des lignes accidentelles en haut et en as comme dans la musique ordinaire, avec la différence que dans celle-ci il faut onze lignes pour trois octaves, tandis qu’il n’en faut qu’une dans la mienne, et que je puis exprimer l’étendue de cinq, six  ; et près de sept octaves, c’est-à-dire, beaucoup plus que n’a d’étendue le grand clavier, avec trois lignes seulement.

Il ne faut pas confondre la position telle que ma méthode l’adopte avec celle qui se pratique dans la musique ordinaire : les principes en sont tout différents. La musique ordinaire n’a en vue que de vous indiquer des intervalles et de disposer en quelque façon vos organes par l’aspect du plus grand ou moindre éloignement des notes, sans s’embarrasser de distinguer assez bien le genre de ces intervalles ni le degré de cet éloignement pour en rendre la connaissance indépendante de l’habitude. Au contraire, la connaissance des intervalles qui fait proprement le fond de la science du musicien m’a paru un point si important, que j’ai cru en devoir faire l’objet essentiel de ma méthode. L’explication suivante montre comment on parvient par mes caractères à déterminer tous les intervalles possibles par leurs genres et par leurs noms, sans autre peine que celle de lire une fois ces remarques.

Nous distinguons d’abord les intervalles en directs et renversés, et les uns et les autres encore en simples et redoublés.

Je vais définir chacun de ces intervalles considéré dans mon système.

L’intervalle direct est celui qui est compris entre deux sons dont les chiffres sont d’accord avec le progrès, c’est-à-dire que le son le plus haut doit avoir aussi le plus grand chiffre, et le son le plus bas le chiffre le plus petit. (Voyez la pl. Exempl. 3.)

L’intervalle renversé est celui dont le progrès est contrarié par les chiffres : c’est-à-dire que si l’intervalle monte le second chiffre est le plus petit, et si l’intervalle descend le second chiffre est le plus grand. (Voyez la pl. Ex. 4.)

L’intervalle simple est celui qui ne passe pas l’étendue d’une octave. (Voyez la pl. Ex. 5.)

L’intervalle redoublé est celui qui passe l’étendue d’une octave. Il est toujours la réplique d’un intervalle simple. (Voyez Exemple 6.)

Quand vous entrez d’une octave dans la suivante, c’est-à-dire que vous passer de la ligne au-dessus ou au-dessous d’elle, ou vice-versa, l’intervalle est simple s’il est renversé, mais s’il est direct in sera toujours redoublé.

Cette courte explication suffit pour connaître à fond le genre de tout intervalle possible. Il faut à présent apprendre à en trouver le nom sur le champ.

Tous les intervalles peuvent être considérés comme formés des trois premiers intervalles simples qui sont la seconde, la tierce, la quarte ; dont les compléments à l’octave sont la septième, la sixte et la quinte ; à quoi si vous ajoutez cette octave elle-même, vous aurez tous les intervalles simples sans exception.

Pour trouver donc le nom de tout intervalle simple direct, il ne faut qu’ajouter l’unité à la différence des deux chiffres qui l’expriment. Soit, par exemple, cet intervalle 1, 5  ; la différence des deux chiffres est 4, à quoi ajoutant l’unité vous avez 5, c’est-à-dire la quinte pour le nom de cet intervalle ; il en serait de même si vous aviez eu 2, 6  ; ou 7, 3, etc. Soit cet autre intervalle 4, 5  ; la différence est 1, à quoi ajoutant l’unité vous avez 2, c’est-à-dire, une seconde pour le nom de cet intervalle. La règle est générale.

Si l’intervalle direct est redoublé, après avoir procédé comme ci-devant, il faut ajouter 7 pour chaque octave, et vous aurez encore très exactement le nom de votre intervalle : par exemple, vous voyez déjà que 1 3 est une tierce redoublée, ajoutez donc 7 à 3, et vous aurez 10, c’est-à-dire une dixième pour le nom de votre intervalle.


Si l’intervalle est renversé, prenez le complément du direct, c’est le nom de votre intervalle : ainsi, parce que la sixte est le complément de la tierce, et que cet intervalle 1 3, est une tierce renversée je trouve que c’est une sixte : si de plus il est redoublé, ajoutez-y autant de fois 7 qu’il y a d’octaves. Avec ce peu de règles, dans quelque cas que vous soyez vous pouvez nommer sur le champ et sans le moindre embarras quelque intervalle qu’on vous présente.

Voyons donc sur ce que je viens d’expliquer à quel point nous sommes parvenus dans l’art de solfier par la méthode que je propose.

D’abord toutes les notes sont connues sans exception  ; il n’a pas fallu bien de la peine pour retenir les noms de sept caractères uniques qui sont les seuls dont on ait à charger sa mémoire pour l’expression des sons  ; qu’on apprenne à les entonner juste en montant et en descendant, diatoniquement et par intervalles, et nous voilà tout d’un coup débarrassés des difficultés de la position.

A le bien prendre, la connaissance des intervalles par rapport à la nomination n’est pas d’une nécessité absolue, pourvu qu’on connaisse bien le ton d’où fait une quarte : et sûrement cela serait toujours bien moins nécessaire par ma méthode que par la commune, où la connaissance nette et précise des notes ne peut suppléer à celle des intervalles  ; au lieu que dans la mienne, quand l’intervalle serait inconnu, les deux notes qui le composent seraient toujours évidentes sans qu’on pût jamais s’y tromper dans quelque ton et à quelque clé que l’on fut. Cependant tous les avantages se trouvent ici tellement réunis, qu’au moyen de trois ou quatre observations très simples voilà mon écolier en état de nommer hardiment tout intervalle possible, soit sur la même partie, soit en sautant de l’une à l’autre, et d’en savoir plus à cet égard dans une heure d’application, que des musiciens de dix et douze ans de pratique : car on doit remarquer, que les opérations dont je viens de parler se font tout d’un coup par l’esprit et avec une rapidité bien éloignée des longues gradations indispensables dans la musique ordinaire pour arriver à la connaissance des intervalles, et qu’enfin les règles seraient toujours préférables à l’habitude, soit pour la certitude, soit pour la brièveté, quand même elles ne feraient que produire le même effet.

Mais ce n’est rien d’être parvenus jusqu’ici : il est d’autres objets à considérer et d’autres difficultés à surmonter.

Quand j’ai ce-devant affecté le nom d’ut au son fondamental de la gamme naturelle je n’ai fait que me conformer à l’esprit de la première institution du nom des notes et à l’usage général des musiciens, et quand j’ai dit que la fondamentale de chaque ton avait le même droit de porter le nom d’ut que ce premier son à qui il n’est affecté par aucune propriété particulière, j’y ai encore été autorisé par la pratique universelle de cette méthode qu’on appelle transposition, dans la musique vocale.

Pour effacer tout scrupule qu’on pourrait concevoir à cet égard, il faut expliquer ma pensée avec un peu plus d’étendue : le nom d’ut doit-il être nécessairement et toujours celui d’une touche fixe du clavier, ou doit-il au contraire être appliqué préférablement à la fondamentale de chaque ton, c’est la question qu’il s’agit de discuter.

A l’entendre énoncer de cette manière, on pourrait, peut-être, s’imaginer que ce n’est ici qu’une question de mots. Cependant elle influe trop dans la pratique pour être méprisée : il s’agit moins des noms en eux-mêmes, que de déterminer les idées qu’on leur doit attacher et sur lesquelles on n’a pas été trop bien d’accord jusqu’ici.

Demandez à une personne qui chante, ce que c’est qu’un ut, elle vous dira que c’est le premier ton de la gamme : demandez la même chose à un joueur d’instruments, il mous répondra que c’est une telle touche de son violon ou de son clavecin. Ils ont tous deux raison ; ils s’accordent même en un sens, et s’accorderaient tout à fait, si l’un ne se représentait pas cette gamme comme mobile, et l’autre cet ut comme invariable.

Puisque l’on est convenu d’un certain son à peu près fixe pour y régler la portée des voix et le diapason des instruments, il faut que ce son ait nécessairement un nom, et un nom fixe comme le son qu’il exprime  ; donnons-lui le nom d’ut  ; j’y consens. Réglons ensuite sur ce nom-là tous ceux des différents sons de l’échelle générale, afin que nous puissions indiquer le rapport qu’ils ont avec lui et avec les différentes touches des instruments : j’y consens encore, et jusques-là le symphoniste à raison.

Mais ces sons auxquels nous venons de donner des noms, et ces touches qui les font entendre, sont disposés de telle manière qu’ils ont entre eux et avec la touche ut certains rapports qui constituent proprement ce qu’on appelle ton, et ce ton dont ut est la fondamentale est celui que font entendre les touches noires de l’orgue et du clavecin quand on les joue dans un certain ordre, sans qu’il soit possible d’employer toutes les mêmes touches pour quelque autre ton dont ut ne serait pas la fondamentale, ni d’employer dans celui d’ut aucune des touches blanches du clavier lesquelles n’ont même aucun nom propre, et en prennent de différents s’appelant tantôt dièses et tantôt bémols suivant les tons dans lesquels elles sont employées.

Or quand on veut établir une autre fondamental, il faut nécessairement faire un tel choix des sons qu’on veut employer, qu’ils aient avec elle précisément les mêmes rapports que le re, le mi, le sol, et tous les autres sons de la gamme naturelle avaient avec l’ut. C’est le cas où le chanteur a droit de dire au symphoniste : pourquoi ne vous servez-vous pas des mêmes noms pour exprimer les mêmes rapports ? Au reste, je crois peu nécessaire de remarquer qu’il faudrait toujours déterminer la fondamentale par son nom naturel, et que c’est seulement après cette détermination qu’elle prendrait le nom d’ut.


Il vrai qu’en affectant toujours les mêmes noms aux mêmes touches de l’instrument et aux mêmes notes de la musique, il semble d’abord qu’on établit un rapport plus direct entre cette note et cette touche, et que l’une excite plus aisément l’idée de l’autre qu’on ne ferait en cherchant toujours une égalité de rapports entre les chiffres des notes et le chiffre fondamental d’un côté, et de l’autre, entre le son fondamental et les touches de l’instrument.

On peut voir que je ne tâche pas d’énerver la force de l’objection  ; oserai-je me flatter à mon tour que les préjugés n’ôteront rien à celle de mes réponses ? (p.190) D’abord je remarquerai que le rapport fixé par les mêmes noms entre les touches de l’instrument et les notes de la musique a bien des exceptions et des difficultés auxquelles on ne fait pas toujours assez d’attention.

Nous avons trois clés dans la musique, et ces trois clés ont huit positions, ainsi suivant ces différentes positions, voilà huit touches différentes pour la même position, et huit positions pour la même touche et pour chaque touche de l’instrument : il est certain que cette multiplication d’idées nuit à leur netteté  ; il y a même bien des symphonistes qui ne les possèdent jamais toutes à un certain point, quoique toutes les huit clés soient d’usage sur plusieurs instruments.

Mais renfermons-nous dans l’examen de ce qui arrive sur une seule clé. On s’imagine que la même note doit toujours exprimer l’idée de la même touche, et cependant cela est très faux : car par des accidents fort communs, causés par les dièses et les bémols, il arrive à toute moment, non seulement que la note si devient la touche ut, que la note mi devient la touche fa et réciproquement, mais encore qu’une note diésée à la clé et diésée par accident monte d’un ton tout entier, qu’un fa devient un sol, un tu un re, et c. et qu’au contraire par un double bémol un mi deviendra un re, un si un la et ainsi des autres. Où en est donc la précision de nos idées. Quoi ! je vois un sol et il faut que je touche un la ! Est-ce là ce rapport si juste, si vanté, auquel on veut sacrifier celui de la modulation ?

Je ne nie pas cependant qu’il n’y ait quelque chose de très ingénieux dans l’invention des accidents ajoutés à la clé pour indiquer, non pas les différents tons, car ils ne sont pas toujours connus par là, mais les différentes altérations qu’ils causent. Ils n’expliquent pas mal la théorie des progressions, c’est dommage qu’ils faussent acheter si cher cet avantage par la peine qu’ils donnent dans la pratique du chant et des instruments. Que me sert, à moi, de savoir qu’un tel demi-ton a changé de place, et que de là on l’a transporté là pour en faire une note sensible, une quatrième ou une sixième note ; si d’ailleurs je ne puis venir à bout de l’exécuter sans me donner la torture, et s’ il faut que je me souvienne exactement de ces cinq dièses ou de ces cinq bémols pour les appliquer à toutes les notes que je trouverai sur les mêmes positions ou à l’octave, et cela précisément dans le temps que l’exécution devient la plus embarrassante par la difficulté par ticulière de l’instrument ? Mais ne nous imaginons pas que les musiciens se donnent cette peine dans la pratique  ; ils suivent une autre route bien plus commode, et il n’y a pas un habile homme parmi eux qui après avoir préludé dans le ton où il doit jouer, ne fasse plus d’attention au degré du ton où il se trouve et dont il connaît la progression, qu’au dièse ou au bémol qui l’affecte.

En général, ce qu’on appelle chanter et exécuter au naturel est, peut-être, ce qu’il y a de plus mal imaginé dans la musique : car si les noms des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut-être que pour exprimer certains rapports, certaines affections déterminées dans les progressions des sons. Or dès que le ton change, les rapports des sons et la progression changeant aussi, la raison dit qu’il faut de même changer les noms des notes en les rapportant par analogie au nouveau ton, sans quoi l’on renverse le sens des noms et l’on ôte aux mots le seul avantage qu’ils puissent avoir, qui est d’exciter d’autres idées avec celles des sons. Le passage du mi au fa ou du si à l’ut, excite naturellement dans l’esprit du musicien l’idée du demi ton. Cependant, si l’on est dans le ton de si ou dans celui de mi, l’intervalle du si à l’ut ou du mi aux fa est toujours d’un ton et jamais d’un demi ton. Donc, au lieu de leur conserver des noms qui trompent l’esprit et qui choquent l’oreille exercée par une différente habitude, il est important de leur en appliquer d’autres dont le sens connu ne soit point contradictoire, et annonce les intervalles qu’ils doivent exprimer. Or tous les rapports des sons du système diatonique se trouvent exprimés dans le majeur tant en montant qu’en descendant dans l’octave comprise entre deux ut suivant l’ordre naturel, et dans le mineur dans l’octave comprise entre deux la suivant le même ordre en descendant seulement, car en montant le mode mineur est assujetti à des affections différentes qui présentent de nouvelles réflexions pour la théorie, lesquelles ne sont pas aujourd’hui de mon sujet, et qui ne font rien au système que je propose.

Je ne disconviens pas qu’à l’égard des instruments ma méthode ne s’écarte beaucoup de l’esprit de la méthode ordinaire : mais comme je ne crois pas la méthode ordinaire extrêmement estimable, et que je crois même d’en démontrer les défauts, il faudrait toujours avant que de me condamner par là, se mettre en état de me convaincre, non pas de la différence, mais du désavantage de la mienne.

Continuons d’en expliquer la mécanique. Je reconnais dans la musique douze sons ou cordes originales, l’un desquels est le C sol ut qui sert de fondement à la gamme naturelle : prendre un des autres sons pour fondamental, c’est lui attribuer toutes les propriétés de l’ut  ; c’est proprement transposer la gamme naturelle plus haut ou plus bas de tant de degrés. Pour déterminer ce son fondamental je me sers du mot correspondant, c’est-à-dire, du sol, du re, du la, etc. et je l’écris à la marge au haut de l’air que je veux noter : alors ce sol ou ce re qu’on peut appeler la clé devient ut et servant de fondement à un nouveau ton et à une nouvelle gamme, toutes les notes du clavier lui deviennent relatives, et ce n’est alors qu’en vertu du rapport qu’elles ont avec ce son fondamental qu’elles peuvent être employées.

C’est là, quoiqu’on en puisse dire, le vrai principe auquel il faut s’attacher dans la composition, dans le prélude, et dans le chant ; et si vous prétendez conserver aux notes leurs noms naturels, il faut nécessairement que vous les considériez tout à la fois sous une double relation, savoir par rapport au C sol ut et à la gamme naturelle, et par rapport au son fondamental particulier, sur lequel vous êtes contraint d’en régler le progrès et les altérations. Il n’y a qu’un ignorant qui joue des dièses et de bémols sans penser au ton dans lequel il est, et alors Dieu sait quelle justesse il peut y avoir dans son jeu !

Pour former donc un élève suivant ma méthode, je parle de l’instrument, car pour le chant la chose est si aisée qu’il serait superflu de s’y arrêter, il faut d’abord lui apprendre à connaître et à toucher par leur nom naturel, c’est-à-dire, sur la clé d’ut toutes les touches de son instrument. Ces premiers noms lui doivent servir de règle pour trouver ensuite les autres fondamentales et toutes les modulations possibles des tons majeurs auxquels seuls il suffit de faire attention, comme je l’expliquerai bientôt.

Je viens ensuite à la clé sol, et après lui avoir fait toucher le sol, je l’avertis que ce sol devenant la fondamental du ton doit alors s’appeler ut, et je lui fait parcourir sur cet ut toute la gamme naturelle en haut et en bas suivant l’étendue de son instrument : comme il y aura quelque différence dans la touche ou dans la disposition des doigts à cause du demi ton transposé, je la lui ferai remarquer. Après l’avoir exercé quelque temps sur ces deux tons, je l’amènerai à la clé re, et lui faisant appeler ut le re naturel, je lui fais recommencer sur cet ut une nouvelle gamme, et parcourant ainsi toutes les fondamentales de quinte en quinte, il se trouvera enfin dans le cas d’abolir préludé en mode majeur sur les douze cordes du système chromatique, et de connaître parfaitement le rapport et les affections différentes de toutes les touches de son instrument sur chacun de ces douze différents tons.

Alors je lui mets de la musique aisée entre les mains. La clé lui montre quelle touche doit prendre la dénomination d’ut, et comme il a appris à trouver le mi et le sol, etc. c’est-à-dire, la tierce majeure et la quinte, etc. sur cette fondamental, un 3 et un 5 sont bientôt pour lui des signes familiers, et si les mouvements lui étaient connus et que l’instrument n’eut pas ses difficultés particulières, il serait dès lors en état d’exécuter à livre ouvert toute sorte de musique sur tous les tons et sur toutes les clés. mais avant que d’en dire davantage sur cet article, il faut achever d’expliquer la partie qui regarde l’expression des sons.


A l’égard du mode mineur j’ai déjà remarqué que la nature ne nous l’avait point enseigné directement. Peut-être vient-il d’une suite de la progression dont j’ai parlé dans l’expérience des tuyaux, où l’on trouve qu’à la quatrième quinte cet ut qui avait servi de fondement à l’opération fait une tierce mineure avec le la qui est alors le son fondamental. Peut-être est-ce aussi de là que naît cette grande correspondance entre le mode majeur ut et le mode mineur de sa sixième note, et réciproquement entre le mode mineur la et le mode majeur de sa médiante.

De plus  ; la progression des sons affectés au mode mineur est précisément la même qui se trouve dans l’octave comprise entre deux la, puisque, suivant Monsieur Rameau, il est essentiel au mode mineur d’avoir sa tierce et sa sixte mineures, et qu’il n’y a que cette octave où, tous les autres sons étant ordonnés comme ils doivent l’être, la tierce et la sixte se trouvent mineures naturellement.

Prenant donc la pour le nom de la tonique des tons mineurs, et l’exprimant par le chiffre 6, je laisserai toujours à sa médiante ut le privilège d’être, non pas tonique, mais fondamentale caractéristique  ; je me conformerai en cela à la nature qui ne nous fait point connaître de fondamentale proprement dite dans les tons mineurs, et je conserverai à la fois l’uniformité dans les noms des notes et dans les chiffres qui les expriment et l’analogie qui se trouve entre les modes majeur et mineur pris sur les deux cordes ut et la.

Mais cet ut qui par la transposition doit toujours être le nom de la tonique dans les tons majeurs, et celui de la médiante ans les tons mineurs, peut, par conséquent, être pris sur chacune des douze cordes du système chromatique, et pour la désigner, il suffira de mettre à la marge le nom de cette corde prise sur le clavier dans l’ordre naturel. On voit par là que si le chant est ans le ton d’ut majeur ou de la mineur, il faudra écrire ut à la marge ; si le chant est dans le ton de re majeur ou de si mineur, il faut écrire re à la marge  ; pour le ton de mi majeur ou d’un dièse mineur, on écrira mi à la marge, et ainsi de suite : c’est-à-dire que la note écrite à la marge, ou la clé désigne précisément la touche du clavier qui doit s’appeler ut, et par conséquent être tonique dans le ton majeur, médiante dans le mineur et fondamentale dans tous les deux  ; sur quoi l’on remarquera que j’ai toujours appelé cet ut fondamentale et non pas tonique, par ce qu’elle ne l’est que dans les tons majeurs, mais qu’elle sert également de fondement à la relation et au nom des notes et même aux différentes octaves dans l’un et l’autre mode : mais à le bien prendre la connaissance de cette clé n’est d’usage que pour les instruments et ceux qui chantent n’ont jamais besoin d’y faire attention.

Il suit de là que la même clé sous le même nom d’ut, désigne, cependant, deux tons différents, savoir le majeur dont elle est tonique et le mineur dont elle est médiante et dont, par conséquent, la tonique est une tierce au-dessous d’elle. Il suit encore que les mêmes noms des notes et les notes affectées de la même manière, du moins en descendant servent également pour l’un et l’autre mode, de sorte que non seulement on n’a pas besoin de faire une étude particulière des modes mineurs : mais que même on serait à la rigueur dispensé de les connaître, les rapports exprimés par les mêmes chiffres n’étant point différents quand la fondamentale est tonique que quand elle est médiante : cependant pour l’évidence du ton et pour la facilité du prélude on écrira la clé tout simplement quand elle sera tonique, et quand elle sera médiante on ajoutera au dessous d’elle une petite ligne horizontale. (Voyez la pl. Ex. 7. et 8.)

Il faut parler à présent des changements de ton : mais comme les altérations accidentelles des sons s’y présentent souvent, et qu’elles ont toujours lieu dans le mode mineur en montant de la dominante à la tonique, je dois auparavant en expliquer les signes.

Le dièse s’exprime par une petite ligne oblique qui croise la note en montant de gauche à droite, sol dièse, par exemple, s’exprime ainsi, 5/. Fa dièse ainsi, 4/. Le bémol s’exprime aussi par une semblable ligne qui croise la note en descendant  ; 7, 3, et ces signes, plus simples que ceux qui sont en usage, servent encore à montrer à l’œil le genre d’altération qu’ils causent.

Pour le béquarre, il n’est devenu nécessaire que par le mauvais choix du dièse et du bémol : parce qu’étant des caractères séparés des notes qu’ils altèrent, s’il s’en trouve plusieurs de suite sous l’un ou l’autre de ces signes, on ne peut jamais distinguer celles qui doivent être affectées de celles qui ne le doivent pas sans se servir du béquarre. Mais comme par mon système le signe de l’altération, outre la simplicité de sa figure a encore l’avantage d’être toujours inhérent à la note altérée, il est clair que toutes celles auxquelles on ne le verra point devront être exécutées au ton naturel qu’elles doivent avoir sur la fondamentale où l’on est. Je retranche donc le béquarre comme inutile, et je le retranche encore comme équivoque, puisqu’il est commun de le trouver employé en deux sens tout opposées : car les uns s’en servent pour ôter l’altération causée parles signes de la clé, et les autres, au contraire, pour remettre la note au ton qu’elle doit avoir conformément à ces mêmes signes.

A l’égard des changements de ton soit pour passer du majeur au mineur, ou d’une tonique à une autre, il pourrait suffire de changer la clé : mais comme il est extrêmement avantageux de ne point rendre la connaissance de cette clé nécessaire à ceux qui chantent, et que, d’ailleurs, il faudrait une certaine habitude pour trouver facilement le rapport d’une clé à l’autre, voici la précaution qu’il y faut ajouter. Il n’est question que d’exprimer la première note de ce changement de manière à représenter ce qu’elle était dans le ton d’où l’on sort, et ce qu’elle est dans celui où l’on entre. Pour cela  ; j’écris d’abord cette première note entre deux doubles lignes perpendiculaires par le chiffre qui la représente dans le ton précédent, ajoutant au-dessus d’elle la clé ou le nom de la fondamentale du ton où l’on va entrer  ; j’écris ensuite cette même note par le chiffre qui l’exprime dans le ton qu’elle commence. De sorte qu’eu égard à la suite du chant, le premier chiffre indique le ton de la note, et le second sert à en trouver le nom.

Vous voyez (pl. Ex. 9.) non seulement que du ton de sol vous passez dans celui d’ut, mais que la note fa du ton précèdent est la même que la note ut qui se trouve la première dans celui où vous entrez.

Dans cet autre exemple, (Voyez Ex. 10.) la première note ut du premier changement serait le mi bémol du mode précédent, et la première note mi du second changement serait l’ut dièse du mode précédent, comparaison très commode pour les voix et même pour les instruments lesquels ont de plus l’avantage du changement de clé. On y peut remarquer aussi que dans les changements de mode, la fondamentale change toujours, quoique la tonique reste la même  ; ce qui dépend des rètes que j’ai expliquées ce-devant.

Il reste dans l’étendue du clavier une difficulté dont il est temps de parler. Il ne suffit pas de connaître le progrès affecté à chaque mode, la fondamentale qui lui est propre, si cette fondamentale est tonique ou médiante, ni enfin de la savoir rapporter à la place qui lui convient dans l’étendue de la gamme naturelle, mais il faut encore savoir à quelle octave, et en un mot à quelle touche précise du clavier elle doit appartenir. (p.196) Le grand clavier ordinaire a cinq octaves d’étendue, et je m’y bornerai pour cette explication, en remarquant seulement qu’on est toujours libre de le prolonger de part et d’autre tout aussi loin qu’on voudra sans rendre la note plus diffuse ni plus incommode.

Supposons donc que je sois à la clé d’ut c’est-à-dire au ton d’ut majeur ou de la mineur qui constitue le clavier naturel. Le clavier se trouve alors disposé de sorte que depuis le premier ut d’en bas jusqu’au dernier ut d’en haut je trouve quatre octaves complètes outre les deux portions qui restent en haut et en bas entre l’ut, et le fa qui termine le clavier de part et d’autre.

J’appelle A, la première octave comprise entre l’ut d’en bas et le suivant vers la droite, c’est-à-dire, tout ce qui est renfermé entre 1 et 7 inclusivement. J’appelle B, l’octave qui commence au second ut en comptant de même vers la droite  ; C la troisième, D la quatrième, etc. jusqu’à E où commence une cinquième octave qu’on pousserait plus haut si l’on voulait. A l’égard de la portion d’en bas qui commence au premier fa et se termine au premier si comme elle est imparfaite ne commençant point par la fondamentale, nous s’appellerons l’octave X  ; et cette lettre X servira dans toute sorte de tons à désigner les notes qui resteront au bas du clavier au-dessous de la première tonique.

Supposons que je veuille noter un air à la clé d’ut, c’est-à-dire, au ton d’ut majeur ou de la mineur  ; j’écris ut au haut de la page à la marge, et je le rends médiante ou tonique suivant que j’y ajoute ou non la petite ligne horizontale.

Sachant ainsi quelle corde doit être la fondamentale du ton, il n’est plus question que de trouver dans laquelle des cinq octaves roule davantage le chant que j’ai à exprimer et d’en écrire la lettre au commencement de la ligne sur laquelle je place mes notes. Les deux espaces au-dessus et au-dessous représenteront les étages contigus, et serviront pour les notes qui peuvent excéder en haut ou en bas l’octave représentée par la lettre que j’ai mise au commencement de la ligne. J’ai déjà remarqué que si le chant se trouvait assez bizarre pour passer cette étendue, on serait toujours libre d’ajouter une ligne en haut ou en bas, ce qui peut quelquefois avoir lieu pour les instruments.

Mais comme les octaves se content toujours d’une fondamentale à l’autre, et que ces fondamentales sont différentes suivant les différents degrés, et sont tantôt plus hautes ou plus basses, suivant que leur fondamentale est éloignée du C sol ut naturel.

Pour représenter clairement cette mécanique, j’ai joint ici (voyez la planche) une table générale de tous les sons du clavier, ordonnés par rapport aux douze cordes du systèmes chromatique prises successivement pour fondamentales.

On y voit d’une manière simple et sensible le progrès de différents sons par rapport au ton où l’on est. On verra aussi par l’explication suivante comment elle facilité la pratique des instruments au point de n’en faire qu’un jeu, non seulement par rapport aux instruments à touches marquées, comme le basson, le hautbois, la flûte, la basse de viole, et le clavecin, mais encore à l’égard du violon, du violoncelle et de toute autre espèce sans exception.

Cette table représente toute l’étendue du clavier combiné sur les douze cordes : le clavier naturel où l’ut conserve son propre nom se trouve ici au sixième rang marqué par une étoile à chaque extrémité, et c’est à ce rang que tous les autres doivent se rapporter comme au terme commun de comparaison. On voit qu’il s’étend depuis le fa d’en bas jusqu’à celui d’en haut à la distance de cinq octaves, qui font ce qu’on appelle le grand clavier.

J’ai déjà dit que l’intervalle compris depuis le premier 1 jusqu’au premier 7 qui le suit vers la droite s’appelle A  ; que l’intervalle compris depuis le second 1 jusqu’à l’autre 7 s’appelle l’octave B  ; l’autre, l’octave C, etc. jusqu’au cinquième 1 où commence l’octave E que je n’ai portée ici que jusqu’au fa. A l’égard des quatre notes qui sont à la gauche du premier ut, j’ai dit encore qu’elles appartiennent à l’octave X, à laquelle je donne ainsi une lettre hors de rang pour exprimer que cette octave n’est pas complète, parce qu’il faudrait pour parvenir jusqu’à l’ut descendre plus bas que le clavier ne le permet.

Mais si je suis dans un autre ton, comme par exemple à la clé de re, alors ce re change de nom et devient ut, c’est pourquoi l’octave A comprise depuis le première tonique jusqu’à sa septième note est d’un degré plus élevée que l’octave correspondante du ton précédent, ce qu’il est aisé de voir par la table, puisque cet ut du troisième rang, c’est-à-dire de la clé de re correspond au re de la clé naturelle d’ut sur lequel il tombe per perpendiculairement, et par la même raison l’octave X y a plus de notes que la même octave de la clé d’ut, parce que les octaves en s’élevant davantage s’éloignent de la plus basse note du clavier.

Voilà pourquoi les octaves montent depuis la clé d’ut jusqu’à la clé de mi, et descendent depuis la même clé d’ut jusqu’à celle de fa : car ce fa qui est la plus basse note du clavier devient alors fondamentale et commence, par conséquent, la première octave A.

Tout ce qui est donc compris entre les deux premières lignes obliques vers la gauche est toujours de l’octave A, mais à différents degrés suivant le ton où l’on est. La même touche, par exemple, sera ut dans le ton majeur de mi, re ans celui de re, mi dans celui d’ut, fa dans celui de si, sol dans celui de la, la dans celui de sol, si dans celui de fa,. C’est toujours la même touche parce que c’est la même colonne, et c’est la même octave, parce que cette colonne est renfermée entre les mêmes lignes obliques. Donnons un exemple de la façon d’exprimer le ton, l’octave et la touche sans équivoque. (Voyez la pl. Exempl. 11.)

Cet exemple est à la clé de re, il faut donc le rapporter au quatrième rang répondant à la même clé, l’octave B marquée sur la ligne montre que l’intervalle supérieur dans lequel commence le chant répond à l’octave supérieure C : ainsi la note 3 marquée d’un a dans la table est justement celle qui répond à la première de cet exemple. Cela suffit pour faire entendre que dans chaque partie on doit mettre sur le commencement de la ligne la lettre correspondante à l’octave dans laquelle le chant de cette partie roule le plus, et que les espaces qui sont au-dessus et au-dessous seront pour les octaves supérieure et inférieure.

Les lignes horizontales servent à séparer de demi-ton en demi-ton les différentes fondamentales dont les noms sont écrits à la droite de la table.

Les lignes horizontales servent à séparer de demi-ton en demi-ton les différentes fondamentales dont les noms sont écrits à la droite de la table.

Les lignes perpendiculaires montrent que toutes les notes traversées de la même ligne ne sont toujours qu’une même touche dont le nom naturel, si elle en a un, se trouve au sixième rang et les autres noms dans les autres rangs de la même colonne suivant les différents tons où l’on est, Ces lignes perpendiculaires sont de deux sortes  ; les unes noires qui servent à montrer que les chiffres qu’elles joignent représentent une touche naturelle, et les autres ponctuées qui sont pour les touches blanches ou altérées, de façon qu’en quelque ton que l’on soit on peut connaître sur le champ par le moyen de cette table quelles sont les notes qu’il faut altérer pour exécuter dans ce ton-là.

Les clés que vous voyez au commencement servent à déterminer quelle note doit porter le nom d’ut, et à marquer le ton comme je l’ai déjà dit  ; il y en a cinq qui peuvent être doubles parce que le bémol de la supérieure marqué b, et le dièse de l’inférieure marquée d produisent le même effet*. Il ne sera pas mal cependant de s’en tenir aux dénominations que j’ai choisies, et qui, abstraction faite de toute autre raison, sont du moins préférables parce qu’elles sont les plus usitées.

  • Ce n’est qu’en vertu du tempérament que la même touche peut servir de dièse à l’une et de bémol à l’autre, puisque d’ailleurs, personne n’ignore que la somme de deux demi-tons mineurs ne sauraient faire un ton.

Il est encore aisé par le moyen de cette table de marquer précisément l’étendue de chaque partie tant vocale qu’instrumentale, et la place qu’elle occupera dans ces différentes octaves suivant le ton où l’on sera.

Je suis convaincu qu’en suivant exactement les principes que je viens d’expliquer, il n’est point de chant qu’on ne soit en état de solfier en très peu de temps et de trouver de même sur quelque instrument que ce soit avec toute la facilité possible. Rappelons un peu en détail ce que j’ai dit sur cet article.

Au lieu de commencer d’abord à faire exécuter machinalement des airs à cet écolier  ; au lieu de lui faire toucher tantôt des dièses, tantôt des bémols sans qu’il puisse concevoir pourquoi il le fait, que le premier soin du maître soit de lui faire connaître à fond tous les sons de son instrument par rapport aux différents tons sur lesquels ils peuvent être pratiqués.

Pour cela, après lui avoir appris les noms naturels de toutes les touches de son instrument, il faut lui présenter un autre point de vue et le rappeler à un principe général. Il connaît déjà tous les sons de l’octave suivant l’échelle naturelle, il est question, à présent, de lui en faire faire l’analyse. Supposons-le devant un clavecin. Le clavier est divisé en soixante et une touches : on lui explique que ces touches prises successivement et sans distinction de blanches ni de noires expriment des sons qui de gauche à droite vont en s’élevant de demi-ton en demi-ton. Prenant la touche ut pour fondement de notre opération, nous trouverons toutes les autres de l’échelle naturelle disposées à son égard de la manière suivante.

La deuxième note, re, à un ton d’intervalle vers la droite, c’est-à-dire, qu’il faut laisser une touche intermédiaire entre l’ut et le re pour la division des deux demi-tons.

La troisième, mi, à un autre ton du re et à deux tons de l’ut, de sorte qu’entre le re et le mi il faut encore une touche intermédiaire.

La quatrième, fa, à un demi-ton du mi et à deux tons et demi de l’ut : par conséquent, le fa est la touche qui suit le mi immédiatement sans en laisser aucune entre deux.

La cinquième, sol, à un ton du fa, et à trois tons et demi de l’ut  ; il faut laisser une touche intermédiaire. La sixième, la, à un ton du sol, et à quatre tons et demi de l’ut  ; autre touche intermédiaire.

La septième, si, à un ton du la et à cinq tons et demi de l’ut  ; autre touche intermédiaire.

La huitième, ut d’en haut, à demi ton du si, et à six tons du premier ut dont elle est l’octave par conséquent le si est contigu à l’ut qui le suit, sans touche intermédiaire.

En continuant ainsi tout le long du clavier, on n’y trouvera que la réplique des mêmes intervalles, et l’écolier se les rendra aisément familiers de même que les chiffres qui les expriment et qui marquent leur distance de l’ut fondamental. On lui fera remarquer qu’il y a une touche intermédiaire entre chaque degré de l’octave, excepté entre le mi et le fa, et entre le si et l’ut d’en haut où l’on trouve deux intervalles de demi ton chacun qui ont leur position fixe dans l’échelle.

On observera aussi qu’à la clé d’ut toutes les touches noires sont justement celles qu’il faut prendre et que toutes les blanches sont les intermédiaires qu’il faut laisser. On ne cherchera point à lui faire trouver du mystère dans cette distribution et l’on lui dira seulement que comme le clavier serait trop étendu ou les touches trop petites si elles étaient toutes uniformes, et que d’ailleurs la clé d’ut est la plus usitée dans la musique, on a, pour plus de commodité, rejeté hors des intervalles les touches blanches qui n’y sont que de peu d’usage. On se gardera bien aussi d’affecter un air savant en lui parlant des tons et des demi-tons majeurs et mineurs, des comma, du tempérament  ; tout cela est absolument inutile à la pratique, du moins pour ce temps-là  ; en un mot, pour peu qu’un maître ait d’esprit et qu’il possède son art, il a tant d’occasions de briller en instruisant, qu’il est inexcusable quand sa vanité est à pure perte pour le disciple.

Quand on trouvera que l’écolier possède assez bien son clavier naturel, on commencera alors à le lui faire transposer sur d’autres clés, en choisissant d’abord celles où les sons naturels sont les moins altérés. Prenons, par exemple, la clé de sol.

Ce mot sol, direz-vous à l’écolier, écrit ainsi à la marge signifie qu’il faut transporter au sol et à son octave le nom et toutes les propriétés de l’ut et de la gamme naturelle. Ensuite, après l’avoir exhorté à se rappeler la disposition des tons de cette gamme, vous l’inviterez à l’appliquer dans le même ordre au sol considéré comme fondamentale, c’est-à-dire, comme un ut  ; d’abord, il sera question de trouver le re  ; si l’écolier est bien conduit, il le trouvera de lui-même, et touchera le la naturel qui est précisément par rapport au sol dans la même situation que le re par rapport à l’ut  ; pour trouver le mi, il touchera le si  ; pour trouver le fa il touchera l’ut, et vous lui ferez remarquer qu’effectivement ces deux dernières touches donnent un demi-ton d’intervalle intermédiaire, de même que le mi et le fa dans l’échelle naturelle. En poursuivant de même, il touchera le re pour le sol et le mi pour le la. Jusqu’ici il n’aura trouvé que des touches naturelles pour exprimer dans l’octave sol l’échelle de l’octave ut  ; de sorte que si vous poursuivez, et que vous demandiez le si sans rien ajouter, il est presque immanquable qu’il touchera le fa naturel : alors vous l’arrêterez là, et vous lui demanderez s’il ne se souvient pas qu’entre le la et le si naturel il a trouvé un intervalle d’un ton et une touche intermédiaire : vous lui montrerez en même temps cet intervalle à la clé d’ut, et revenant à celle de sol, vous lui placerez le doigt sur le mi naturel que vous nommerez la en demandant où est le si  ; alors il se corrigera sûrement et touchera le fa dièse  ; peut-être touchera-t-il le sol : mais au lieu de vous impatienter, il faut saisir cette occasion de lui expliquer si bien la règle des tons et demi-tons par rapport à l’octave ut, et sans distinction de touches noires et blanche, qu’il ne soit plus dans le cas de pouvoir s’y tromper.

Alors il faut lui faire parcourir le clavier de haut en bas et de bas en haut, en lui faisant nommer les touches conformément à ce nouveau ton, vous lui ferez aussi observer que la touche blanche qu’on y emploie y devient nécessaire pour constituer le demi-ton qui doit être entre le si et l’ut d’en haut, et qui serait sans cela entre le la et le si, ce qui est contre l’ordre de la gamme. Vous aurez soin, surtout, de lui faire concevoir qu’à cette clé-là, le sol naturel est réellement un ut, le la un re, le si un mi, etc. De sorte que ces noms et la position de leurs touches relatives lui deviennent aussi familières qu’à la clé d’ut, et que tant qu’il est à la clé de sol il n’envisage le clavier que par cette seconde exposition.

Quand on le trouvera suffisamment exercé, on le mettra à la clé de re avec les mêmes précautions, et on l’amènera aisément à y trouver de lui-même le mi et le si sur deux touches blanches : cette troisième clé achèvera de l’éclaircir sur la situation e tous les tons de l’échelle relativement à quelque fondamentale que ce soit, et vraisemblablement il n’aura plus besoin d’explication pour trouver l’ordre des tons sur toutes les autres fondamentales.

Il ne sera donc plus question que de l’habitude, et il dépendra beaucoup du maître de contribuer à la former s’il s’applique à faciliter à l’écolier la pratique de tous les intervalles par des remarques sur la position des doigts qui lui en rendent bientôt la mécanique familière.

Après cela ; de courtes explications sur le mode mineur, sur les altérations qui lui sont propres, et sur celles qui naissent de la modulation dans le cours d’une même pièce, un écolier bien conduit par cette méthode doit savoir à fond son clavier sur tous les tons dans moins de trois mois, donnons lui en six, au bout desquels nous partirons de là pour le mettre à l’exécution, et je soutiens que s’il a d’ailleurs quelque connaissance des mouvements il jouera dès lors à livre ouvert les airs notés par mes caractères, ceux, du moins, qui ne demanderont pas une grande habitude dans le doigter. Qu’il mette six autres moins à se perfectionner la main et l’oreille, soit pour l’harmonie, soit pour la mesure, et voilà dans l’espace d’un an un musicien du premier ordre, pratiquant également toutes les clés, connaissant les modes et tous les tons, toutes les cordes qui leur sont propres, toute la suite de la modulation et transposant toute pièce de musique dans toutes sortes de tons avec la plus parfaite facilité.

C’est ce qui me paraît découler évidemment de la pratique de mon système et que je suis prêt de confirmer son seulement par des preuves de raisonnement, mais par l’expérience, aux yeux de quiconque en voudra voir l’effet.

Au reste, ce que j’ai dit du clavecin s’applique de même à tout autre instrument avec quelques légères différences par rapport aux instruments à manche, qui naissent des différentes altérations propres à chaque ton : comme je n’écris ici que pour les maîtres à qui cela est connu, je n’en dirai que ce qui est absolument nécessaire pour mettre dans son jour une objection qu’on pourrait m’opposer et pour en donner la solution.

C’est un fait d’expérience que les différents tons de la musique ont tous certain caractère qui leur est propre et qui les distingue chacun en particulier. L’A mi la majeur, par exemple, est brillant  ; l’F ut fa est majestueux ; le si bémol majeur est tragique  ; le fa mineur est triste  ; l’ut mineur est tendre  ; et tous les autres tons ont de même par préférence je ne sais quelle aptitude à exciter tel ou tel sentiment dont les habiles maîtres savent bien se prévaloir. Or puisque la modulation est la même dans tous les majeurs, pourquoi un ton majeur exciterait-il une passion, plutôt qu’un autre ton majeur ? Pourquoi le même passage du re au fa produit-il des effets différents quand il est pris sur différentes fondamentale, puisque le rapport demeure le même. Pourquoi cet air joué en A mi la ne rend-il plus cette expressions qu’il avait en G re sol ? Il n’est pas possible d’attribuer cette différence au changement de fondamentale ; puisque, comme je l’ai dit, chacune de ces fondamentales prise séparément n’a rien en elle qui puisse exciter d’autre sentiment que celui du son haut ou bas qu’elle fait entendre  ; ce n’est point proprement par les sons que nous sommes touchés  ; c’est par le rapports qu’ils ont entre eux, et c’est uniquement par le choix de ces rapports charmants qu’une belle composition peut émouvoir le cœur en flattant l’oreille. Or si le rapport d’un ut à un sol ou d’un re à un la est le même dans tous les tons, pourquoi produit-il différents effets ?

Peut-être trouverait-on des musiciens embarrassés d’en expliquer la raison  ; et elle serait, en effet, très inexplicable si l’on admettait à la rigueur cette identité de rapport dans les sons exprimés par les mêmes noms et représentés par les mêmes intervalles sur tous les tons.

mais ces rapports ont entre eux de légères différences suivant les cordes sur lesquelles ils sont pris, et ce sont ces différences si petites en apparence qui causent dans la musique cette variété d’expressions sensible à toute oreille délicate, et sensible à tel point qu’il est peu de musicien qui en écoutant un concert ne connaisse en quel ton l’on exécute actuellement.

Comparons, par exemple, le C sol ut mineur, et le D la re. Voilà deux modes mineurs desquels tous les sons sont exprimés par les mêmes intervalles et par les mêmes noms, chacun relativement à sa tonique : cependant l’affection n’est point la même, et il est incontestable que le C sol ut est plus touchant que le D la re. Pour en trouver la raison il faut entrer dans une recherche assez longue dont voici à peu près le résultat. L’intervalle qui se trouve entre la tonique re et sa seconde note est un peut plus petit que celui qui se trouve entre la tonique du C sol ut et sa seconde note  ; au contraire : le demi-ton qui se trouve entre la seconde note et la médiante du D la re est un peu plus grand que celui qui est entre la seconde note et la médiante du C sol ut  ; de sorte que la tierce mineure restant à peu près égale de part et d’autre, elle est partagée ans le C sol ut en deux intervalles un peu plus inégaux que dans le D la re. Ce qui rend l’intervalle du demi-ton plus petit de la même quantité dont celui du ton est plus grand.

On trouve aussi, par l’accord ordinaire du Clavecin, le demi-ton compris entre le sol naturel et le la bémol un peu plus petit que celui qui est entre le la et le si bémol. Or plus les deux sons qui forment un demi-ton se rapprochent et plus le passage est tendre et touchant, c’est l’expérience qui nous l’apprend, et c’est, je crois, la véritable raison pour laquelle le mode mineur du C sol ut nous attendrit plus que celui du D la re  ; que si, cependant, la diminution vient jusqu’à causer de l’altération à l’harmonie, et jeter de la dureté dans le chant, alors le sentiment se change en tristesse, et c’est le’effet que nous éprouvons dans le F ut fa mineur.

En continuant nos recherches dans ce goût-là, peut-être parviendrions-nous à peu près à trouver par ces différences légères qui subsistent dans les rapports des sons et des intervalles, les raisons des différents sentiments excités par les divers tons de la musique. mais si l’on voulait aussi trouver la cause de ces différences, il faudrait entrer pour cela dans un détail dont mon sujet me dispense, et qu’on trouvera suffisamment expliqué dans les ouvrages de Monsieur Rameau. Je me contenterai de dire ici en général que comme il a fallu pour éviter de multiplier les sons faire servir les mêmes à plusieurs usages, on n’a pu y réussir qu’en les altérant un peu, ce qui fait qu’eu égard à leurs différents rapports, ils perdent quelque chose de la justesse qu’ils devraient avoir. Le mi, par exemple, considéré comme tierce majeure d’ut, n’est point à la rigueur, le même mi qui doit faire la quinte du la  ; la différence est petite, à la vérité, mais enfin elle existe, et pour la faire évanouir il a fallu tempérer un peu cette quinte : par ce moyen on n’a employé que le même son pour ces deux usages : mais delà vient aussi que le ton du re au mi n’est pas de la même espèce que celui de l’ut au re, et ainsi des autres.

On pourrait donc me reprocher que j’anéantis ces différences par mes nouveaux signes, et que, par la même, je détruis cette variété d’expression si avantageuse dans la musique. J’ai bien des choses à répondre à tout cela.

En premier lieu  ; le tempérament est un vrai défaut ; c’est une altération que l’art a causée à l’harmonie faute d’avoir pu mieux faire. Les harmoniques d’une corde ne nous donnent point de quinte tempérée, et la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons si durs, par exemple, le re et le sol dièses, qu’ils ne sont pas supportables à l’oreille. Ce ne serait donc pas une faute que d’éviter ce défaut, et surtout dans les caractères de la musique, qui, ne participant pas au vice de l’instrument devraient, du moins par leur signification, conserver toute la pureté de l’harmonie.

De plus  ; les altérations causées par les différents tons ne sont point pratiquées par les voix  ; l’on n’entonne point, par exemple, l’intervalle 45 autrement que l’on entonnerait celui-ci 56, quoique cet intervalle ne soit pas tout-à-fait le même, et l’on module en chantant avec la même justesse dans tous les tons, malgré les altérations particulières que l’imperfection des instruments introduit dans ces différents tons, et à laquelle la voix ne se conforme jamais à moins qu’elle n’y soit contrainte par l’unisson des instruments.

La nature nous apprend à moduler sur tous les tons précisément dans toute la justesse des intervalles  ; les voix conduites par elle le pratiquent exactement. Faut-il nous éloigner de ce qu’elle prescrit pour nous assujettir à une pratique défectueuse, et faut-il sacrifier, non pas à l’avantage, mais au vice des instruments l’expression naturelle du plus parfait de tous. C’est ici qu’on doit se rappeler tout ce que j’ai dit ci-devant sur la génération des sons, et c’est par là qu’on se convaincra que l’usage de mes signes n’est qu’une expression très fidèle et très exacte des opérations de la nature.

En second lieu  ; dans les plus considérables instruments, comme l’orgue, le clavecin et la viole, les touches étant fixées, les altérations différentes de chaque ton dépendent uniquement de l’accord, et elles sont également pratiquées par ceux qui en jouent quoiqu’ils n’y pensent point. Il en est de même des flûtes, des hautbois, bassons et autres instruments à tous, les dispositions des doigts sont fixées pour chaque son et le seront de même par mes caractères sans que les écoliers pratiquent moins le tempérament pour n’en pas connaître l’expression.


D’ailleurs, on ne saurait me faire là dessus aucune difficulté qui n’attaque en même temps la musique ordinaire, dans laquelle, bien loin que les petites différences des intervalles de même espèce soient indiquées par quelque marque, les différences spécifiques ne le sont même pas, puisque les tierces ou les sixtes, majeures et mineures, sont exprimées par les mêmes intervalles et les mêmes positions  ; au lieu que dans mon système les différents chiffres employés dans les intervalles de même dénomination font du moins connaître s’ils sont majeurs ou mineurs.

Enfin, pour trancher tout d’un coup toute cette difficulté, c’est au maître et à l’oreille à conduire l’écolier dans la pratique des différents tons et des altérations qui leur sont propres : la musique ordinaire ne donne point des règles pour cette pratique que je ne puisse appliquer à la mienne avec encore plus d’avantage, et les doigts de l’écolier seront bien plus heureusement conduits en lui faisant pratiquer sur son violon les intervalles avec les altérations qui leur sont propres dans chaque ton en avançant ou reculant un peu le doigt, que par cette foule de dièses et de bémols qui faisant de plus petits intervalles entre eux, et ne contribuant point à former l’oreille, troublent l’écolier par des différences qui lui sont longtemps insensibles.

Si la perfection d’un système de musique consistait à y pouvoir exprimer une plus grande quantité de sons, il serait aisé en adaptant celui de M. Sauveur de diviser toute l’étendue d’une seule octave en 3010 décamérides ou intervalles égaux, dont les sons seraient représentés par des notes différemment figurées  ; mais de quoi serviraient tous ces caractères, puisque la diversité des sons qu’ils exprimeraient ne serait non plus à la portée de nos oreilles qu’à celle des organes de notre voix ? Il n’est donc pas moins inutile qu’on apprenne à distinguer l’ut double dièse du re naturel, dès que nous sommes contraints de le pratiquer sur ce même re, et qu’on ne se trouvera jamais dans le cas d’exprimer en note la différence qui doit s’y trouver, parce que ces deux sons ne peuvent être relatifs à la même modulation.

Tenons pour une maxime certaine que tous les sons d’un mode doivent toujours être considérés par le rapport qu’ils ont avec la fondamentale de ce mode-là, qu’ainsi les intervalles correspondants devraient être parfaitement égaux dans tous les tons de même espèce  ; aussi les considère-t-on comme tels dans la composition, et s’ils ne le sont pas à la rigueur dans la pratique, les facteurs épuisent du moins toute leur habileté dans l’accord pour en rendre la différence insensible.

Mais ce n’est pas ici le lieu de m’étendre davantage sur cet article : si de l’aveu de la plus savante Académie de l’Europe mon système a des avantages marquées par dessus la méthode ordinaire pour la musique vocale, il me semble que ces avantages son t bien plus considérables dans la partie instrumentale, du moins, j’exposerai les raisons que j’ai de le croire ainsi  ; c’est à l’expérience à confirmer leur solidité. Les musiciens ne manqueront pas de se récrier, et de dire qu’ils exécutent avec la plus grande facilité par la méthode ordinaire et qu’ils font de leurs instruments tout ce qu’on en peut faire par quelque méthode que ce soit. D’accord  ; je les admire en ce point, et il ne semble pas en effet qu’on puisse pousser l’exécution à un plus haut degré de perfection que celui ou elle est aujourd’hui : mais enfin quand on leur fera voir qu’avec moins de temps et de peine on peut parvenir plus sûrement à cette même perfection, peut-être seront-ils contraints de convenir que les prodiges qu’ils opèrent ne sont pas tellement inséparables des barres, des noires et des croches qu’on n’y puisse arriver par d’autres chemins. Proprement, j’entreprends de leur prouver qu’ils ont encore plus de mérite qu’ils ne pensaient, puisqu’ils suppléent par la force de leurs talents aux défauts de la méthode dont ils se servent.

Si l’on a bien compris la partie de mon système que je viens d’expliquer, on sentira qu’elle donne une méthode générale pour exprimer sans exception tous les sons usités dans la musique, non pas, à la vérité, d’une manière absolue, mais relativement à un son fondamental déterminé, ce qui produit un avantage considérable en vous rendant toujours présent le ton de la pièce et la suite de la modulation. Il me reste maintenant à donner une autre méthode encore plus facile pour pouvoir noter tous ces mêmes sons de la même manière sur un rang horizontal, sans avoir jamais besoin de lignes ni d’intervalles pour exprimer les différentes octaves.

Pour y suppléer donc, je me sers du plus simple de tous les signes, c’est-à-dire, du point  ; et voici comment je le mets en usage. Si je sors de l’octave par laquelle j’ai commencé pour faire une note dans l’étendue de l’octave supérieure et qui commence à l’ut d’en haut, alors je mets un point au-dessus de cette note par laquelle je sors de mon octave, et ce point une fois placé, c’est un avis que non-seulement la note sur laquelle il est, mais encore toutes celles qui la suivront sans aucun signe qui le détruise devront être prises dans l’étendue de cette octave supérieure où je suis entré. Par exemple

Ut c 1 3 5 i 3 5

Le point que vous voyez sur le second ut marque que vous entrez là dans l’octave au-dessus de celle où vous avez commencé, et que par conséquent le 3 et le 5 qui suivent sont aussi de cette même octave supérieure et ne sont point les mêmes que vous aviez entonnés auparavant.

Au contraire  ; si je veux sortir de l’octave où je me trouve pour passer à celle qui est au-dessous, alors je mets le point sous la note par laquelle j’y entre.

Ut d 5 3 1 5 3 1

Ainsi ce premier 5 étant le même que le dernier de l’exemple précédent, par le point que vous voyez ici sous le second 5 vous êtes averti que vous sor tez de l’octave où vous étiez monté pour rentrer dans celle par où vous aviez commencé précédemment.

En un mot : quand le point est sur la note vous passez dans l’octave supérieure, s’il est au-dessous vous passez dans l’inférieure, et quand vous changeriez d’octave à chaque note, ou que vous voudriez monter ou descendre de deux ou trois octaves tout d’un coup ou successivement, la règle est toujours générale et vous n’avez qu’à mettre autant de points au-dessous ou au-dessus que vous avez d’octaves à descendre ou à monter.

Ce n’est pas à dire qu’à chaque point vous montiez ou vous descendiez d’une octave : mais à chaque point vous entrez dans une octave différente, dans un autre étage soit en montant, soit en descendant, par rapport au son fondamental ut lequel ainsi se trouve bien de la même octave en descendant diatoniquement, mais non pas en montant : le point, dans cette façon de noter, équivaut aux lignes et aux intervalles de la précédente  ; tout ce qui est dans la même position appartient au même point, et vous n’avez besoin d’un autre point que lorsque vous passez dans une autre position, c’est-à-dire, dans une autre octave. Sur quoi il faut remarquer que je ne me sers de ce mot d’octave qu’abusivement et pour ne pas multiplier inutilement les termes, parce que proprement l’étendue que je désigne par ce mot n’est remplie que d’un étage de sept notes, l’ut d’en haut n’y étant pas compris.

Voici une suite de notes qu’il sera aisé de solfier par les règles que je viens d’établir. Sol

d 1 7 i 2 3 1 5 4 5 6 7 5 i 7 6 5 4 3 2 4 3 2 4 2 1 7 6 5 3 4 5 5 i.

Et voici (V. Pl. Ex. 12.) le même exemple noté suivant la première méthode.

Dans une longue suite de chant, quoique les points vous conduisent toujours très juste, ils ne vous font pourtant connaître l’octave où vous vous trouvez que relativement à ce qui a précédé  ; c’est pourquoi, afin de savoir précisément l’endroit du clavier ou vous êtes, il faudrait aller en remontant jusqu’à la lettre qui est au commencement de l’air, opération exacte, à la vérité, mais d’ailleurs un peu trop longue. Pour m’en dispenser, je mets au commencement de chaque ligne la lettre de l’octave où se trouve, non pas la première note de cette ligne, mais la dernière de la ligne précédente, et cela afin que la règle des points n’ait pas d’exception.

EXEMPLE

Fa d 1 7 i 2 3 4 5 6 7 i 5 2 5 3 1 4 3 2 1 7 6 5 5 5 4 6 4 e 4 2 7 6 4 5 1.

L’e que j’ai mis au commencement de la seconde ligne marque que le fa qui finit la première est de la cinquième octave, de laquelle je sors pour rentrer dans la quatrième d par le point que vous voyez au-dessous du si de cette seconde lig ne.

Rien n’est plus aisé que de trouver cette lettre correspondante à la dernière note d’une ligne, et en voici la méthode.

Comptez tous les points qui sont au-dessus des notes de cette ligne : comptez aussi ceux qui sont au-dessous, s’ils sont égaux en nombre avec les premiers c’est une preuve que la dernière note de la ligne est dans la même octave que la première et c’est le cas du premier exemple de la page précédente, où après avoir trouvé trois points dessus et autant dessous, vous concluez qu’ils se détruisent les uns les autres, et que par conséquent la dernière note fa de la ligne est de la même octave d que la première note ut de la même ligne, ce qui est toujours vrai de quelque manière que les points soient rangés pourvu qu’il y en ait autant dessus que dessous.

S’ils ne sont pas égaux en nombre, prenez leur différence : comptez depuis la lettre qui est au commencement de la ligne et reculez d’autant de lettres vers l’a si l’excès est au-dessous, ou s’il est au-dessus, avancez au contraire d’autant de lettres dans l’alphabet que cette différence contient d’unités, et vous aurez exactement la lettre correspondante à la dernière note.

EXEMPLE

Ut c 6 3 6 7 i 2 1 7 6 i 5 i 2 3 4 3 2 1 3 6 5/ 6 7 3 i c 2 7 i 6 7 5/ 6 i 4 3 2 1 5/ 6 2 1 7 6 3 3 4 4/ 5 5/ 6 7 i d 2 7 5/ 6.

Dans la première ligne de cet exemple qui commence à l’étage c vous avez deux point su-dessous et quatre au-dessus, par conséquent d’eux d’excès pour lesquels il faut ajouter à la lettre c autant de lettres suivant l’ordre de l’alphabet, et vous aurez la lettre e correspondant à la dernière note de la même ligne.

Dans la seconde ligne vous avez au contraire un point d’excès au-dessous, c’est-à-dire qu’il faut depuis la lettre e qui est au commencement de la ligne reculer d’une lettre vers l’a et vous aurez d pour la lettre correspondante à la dernière note de la seconde ligne.

Il faut de même observer de mettre la lettre de l’octave après chaque première et dernière note des reprises et des rondeaux, afin qu’en partant de là on sache toujours sûrement si l’on doit monter ou descendre pour reprendre ou pour recommencer. Tout cela s’éclaircira mieux par l’exemple suivant dans lequel cette marque X est un signe de reprise.

Mi c 3 4 5 7 i 2 3 4 3 2 1 7 6 2 5 b X 5 c 5 5 b 7 6 4 4 6 2 7 5 i 2 5 7 i c.

La lettre b que vous voyez après la dernière note de la première partie vous apprend qu’il faut monter d’une sixte pour revenir au mi du commencement puisqu’il est de l’octave supérieure c, et la lettre c que vous voyez également après la première et la dernière note de la seconde partie v ous apprend qu’elles sont toutes deux de la même octave, et qu’il faut par conséquent monter d’une quinte pour revenir de la finale à la reprise.

Ces observations sont fort simples et fort aisées à retenir. Il faut avouer cependant que la méthode des points a quelques avantages de moins que celle de la position d’étage en étage que j’ai enseignée la première et qui n’a jamais besoin de toutes ces différences de lettres : l’une et l’autre ont pourtant leur commodité, et comme elles s’apprennent par les mêmes règles et qu’on peut les savoir toutes deux ensemble avec la même facilité qu’on a pour en apprendre une séparément, on les pratiquera chacune dans les occasions où elle paraîtra plus convenable. Par exemple, rien ne sera si commode que la méthode des points pour ajouter l’air à des paroles déjà écrites, pour noter des petits airs, des morceaux détachés, et ceux qu’on veut envoyer en province et en général pour la musique vocale. D’un autre côté la méthode de position servira pour les partitions et les grandes pièces de musique, pour la musique instrumentale, et surtout pour commencer les écoliers, parce que la mécanique en est encore plus sensible que de l’autre manière, et qu’en partant de celle-ci déjà connue l’autre se conçoit du premier instant. Les compositeurs s’en serviront aussi par préférence à cause de la distinction oculaire des différentes octaves. Ils sentiront en la pratiquant toute l’étendue de ses avantages que j’ose dire tels pour l’évidence de l’harmonie que quand ma méthode n’aurait nul cours dans la pratique, il n’est point de compositeur qui ne dût l’employer pour son usage particulier et pour l’instruction de ses élèves.

Voilà ce que j’avais à dire sur la première partie de mon système qui regarde l’expression des sons  ; passions à la seconde qui traite de leurs durées.

L’article dont je viens de parler n’est pas, à beaucoup près aussi difficile que celui-ci, du moins dans la pratique qui n’admet qu’un certain nombre de sons dont les rapports sont fixés, et à peu près les mêmes dans tous les tons au lieu que les différences qu’on peut introduire dans leurs durées peuvent varier presque à l’infini.

Il y a beaucoup d’apparence que l’établissement de la quantité dans la musique a d’abord été relatif à celle du langage, c’est-à-dire qu’on faisait passer plus vite les sons par lesquels on exprimait les syllabes brèves et durer un peu plus longtemps ceux qu’on adaptait aux longues. On poussa bientôt les choses plus loin et l’on établit à l’imitation de la poésie une certaine régularité dans la durée des sons par laquelle on les assujettissait à des retours uniformes qu’on s’avisa de mesurer par des mouvements égaux de la main ou du pied. et d’où, à cause de cela ils prirent le nom de mesures. L’analogie est visible à cet égard entre la musique et la poésie. Les vers sont relatifs aux mesures, les pieds aux temps, et les syllabes aux notes. Ce n’est pas assurément donner dans des absurdités que de trouver des rapports aussi naturels, pourvu qu’on n’aille pas, comme le P. Souhaitti, appliquer à l’une les singes de l’autre, et à cause de ce qu’elles ont de semblables, confondre ce qu’elles ont de différent.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner en physicien d’où naît cette égalité merveilleuse que nous éprouvons dans nos mouvements quand nous battons la mesure  ; pas un temps qui passe l’autre  ; pas la moindre différence dans leur durée successive sans que nous ayons d’autre règle que notre oreille pour la déterminer : il y a lieu de conjecturer qu’un effet aussi singulier part du même principe qui nous fait entonner naturellement toutes les consonances. Quoiqu’il en soit, il est clair que nous avons un sentiment sûr pour juger du rapport des mouvements, tout comme de celui des sons, et des organes toujours prêts à exprimer les uns et les autres selon les mêmes rapports et il me suffit, pour ce que j’ai à dire, de remarquer le fait sans en rechercher la cause.

Les musiciens font de grandes distinctions dans ces mouvements, non seulement quant aux divers degrés de vitesse qu’ils peuvent avoir, mais aussi quant au genre même de la mesure, et tout cela n’est qu’une suite du mauvais principe par lequel ils ont fixé les différentes durées des sons : car pour trouver le rapport des uns aux autres, il a fallu établir un terme de comparaison, et il leur a plu de choisir pour ce terme une certaine quantité de durée qu’ils ont déterminées par une figure ronde  ; ils ont ensuite imaginé des notes de plusieurs autres figures dont la valeur est fixée par rapport à cette ronde en proportion sous-double. Cette division serait assez supportable, quoiqu’il s’en faille de beaucoup que’elle n’ait l’universalité nécessaire, si le terme de comparaison, c’est-à-dire, si la durée de la ronde était quelque chose d’un peu moins vague  ; mais la ronde va tantôt plus vite, tantôt plus lentement suivant le mouvement de la mesure où l’on l’emploie, et l’on ne doit pas se flatter de donner quelque chose de plus précis en disant qu’une ronde est toujours l’expression de la durée d’une mesure à quatre, puisqu’outre que la durée même de cette mesure n’a rien de déterminé, on voit communément en Italie des mesures à quatre et à deux contenir deux et quelque fois quatre rondes.

C’est pourtant ce qu’on suppose dans les chiffres des mesures doubles  ; le chiffre inférieur marque le nombre de notes d’une certaine valeur contenues dans une mesure à quatre temps, et le chiffre supérieur marque combien il faut de ces mêmes notes pour remplir une mesure de l’air que l’on va noter : mais pourquoi ce rapport de tant de différentes mesures à celle de quatre temps qui leur est si peu semblable, ou pourquoi ce rapport de tant de différentes notes à une note ronde dont la durée est si peu déterminée ?

On dirait que les inventeurs de la musique ont pris à tâche de faire tout le contraire de ce qu’il fallait : d’un côté, ils ont négligé la distinction du son fondamental indiqué par la nature et si nécessaire pour servir de terme commun au rapport de tous les autres, et de l’autre, ils ont voulu établir une durée absolue et fondamentale, sans pouvoir en déterminer la valeur.

Faut-il s’étonner si l’erreur du principe a tant causé de défauts dans les conséquences  ; défauts essentiels à la pratique et tout propres à retarder longtemps les progrès des écoliers.

Les musiciens reconnaissent au moins quatorze mesures différentes dont voici les signes.

2, 3, C, 3/2, 2/4, 3/4, 6/4, 9/4, 12/4, 3/8, 6/8, 9/8, 12/8, 3/16, 6/16

Or si ces signes sont institués pour déterminer autant de mouvements différents en espèce, il y en a beaucoup trop, et s’ils le sont, outre cela, pour exprimer les différents degrés de vitesse de ces mouvements, il n’y en a pas assez. D’ailleurs, pourquoi se tourmenter si fort pour établir des signes qui ne servent à rien, puique’indépendamment du genre de la mesure, on est presque toujours contraint d’ajouter un mot au commencement de l’air, qui détermine l’espèce et le degré du mouvement.

Cependant, on ne saurait contester que la diversité de ces mesures ne brouille les commençants pendant un temps infini, et que tout cela ne naisse de la fantaisie qu’on a de les vouloir rapporter à la mesure à quatre temps, ou d’en vouloir rapporter les notes à la valeur de la ronde.

Donner aux mouvements et aux notes des rapports entièrement étrangers à la mesure où l’on les emploie, c’est proprement leur donner des valeurs absolues en conservant l’embarras des relations  ; aussi voit-on suivre de là des équivoques terribles qui sont autant de pièges à la précision de la musique et au goût du musicien. En effet, n’est-il pas évident qu’en déterminant la durée des rondes, blanches, noires, croches etc. non par la qualité de la mesure où elles se rencontrent, mais par celle e la note même, vous trouvez à tout moment la relation en opposition avec le sens propre. De là vient, par exemple, qu’une blanche dans une certaine mesure passera beaucoup plus vite qu’une noire dans une autre, laquelle noire ne vaut cependant que la moitié de cette blanche, et de là vient encore que les musiciens de province trompés par ces faux rapports donne souvent aux airs des mouvements tout différents de ce qu’ils doivent être, en s’attachant scrupuleusement à cette fausse relation, tandis qu’il faudra quelquefois passer une mesure à trois temps simples plus vite qu’une autre à trois huit, ce qui dépend du caprice des compositeurs, et dont les opéra présentent des exemples à chaque instant.

Il y aurait sur ce point bien d’autres remarques à faire auxquelles je ne m’arrêterai pas. Quand on a imaginé, par exemple, la division sous-double des notes telle qu’elle est établie, apparemment qu’on n’a pas prévu tous les cas, ou bien l’on n’a pu les embrasser tous dans une règle générale  ; ainsi, quand il est question de faire la division d’une note ou d’un temps en trois parties égales dans une mesure à deux, à trois, ou à quatre, il faut nécessairement que le musicien le devine, ou bien qu’on l’en avertisse par un signe étranger qui fait exception à la règle.

C’est en examinant les progrès de la musique que nous pourrons trouver le remède à ces défauts. Il y a deux cents ans que cet art était encore extrêmement grossier. Les rondes et les blanches étaient presque les seules notes qui y fussent employées, et l’on ne regardait une croche qu’avec frayeur. Une musique aussi simple n’amenait pas de grandes difficultés dans la pratique, et cela faisait qu’on ne prenait pas non plus grand soin pour lui donner de la précision dans les signes ; on négligeait la séparation des mesures, et l’on se contentait de les exprimer par la figure des notes. A mesure que l’art se perfectionna et que les difficultés augmentèrent, on s’aperçut de l’embarras qu’il y avait, dans une grande diversité de notes, de faire la distinction des mesures, et l’on commença à les séparer par des lignes perpendiculaires  ; on se mit ensuite à lier les croche pour faciliter les temps, et l’on s’en trouva si bien, depuis lors, les caractères de la musique sont toujours restés à peu près dans le même état.

Une partie des inconvénients subsiste pourtant encore, la distinction des temps n’est pas toujours trop bien observée dans la musique instrumentale, et n’a point lieu du tout dans le vocal : il arrive de là qu’au milieu d’une grande mesure l’écolier ne sait où il en est, surtout lorsqu’il trouve une quantité de croches et de doubles-croches détachées, dont il faut qu’il fasse lui-même la distribution.

Une réflexion toute simple sur l’usage des lignes perpendiculaires pour la séparation des mesures, nous fournira un moyen assuré d’anéantir ces inconvénients. Toutes les notes qui sont renfermées entre deux de ces lignes dont je viens de parler, font justement la valeur d’une mesure : qu’elles soient en grande ou petite quantité, cela n’intéresse en rien la durée de cette mesure qui est toujours la même ; seulement se divise-t-elle en parties égales ou inégales, selon la valeur et le nombre des notes qu’elle renferme : mais enfin sans connaître précisément le nombre de ces notes ni la valeur de chacune d’elles, on sait certainement qu’elles forment toutes ensemble une durée égale à celle de la mesure où elles se trouvent.

Séparons les temps par des virgules comme nous séparons les mesures par des lignes, et raisonnons sur chacun de ces temps de la même manière que nous raisonnons sur chaque mesure : nous aurons un principe universel pour la durée et la quantité des notes, qui nous dispensera d’inventer de nouveaux signes pour la déterminer, et qui nous mettra à portée de diminuer de beaucoup le nombre des différentes mesures usitées dans la musique, sans rien ôter à la variété des mouvements.

Quand une note seule est renfermée entre les deux lignes d’une mesure, c’est un signe que cette note remplit tous les temps de cette mesure et doit durer autant qu’elle : dans ce cas, la séparation des temps serait inutile, on n’a qu’à soutenir le même son pendant toute la mesure. Quand la mesure est divisée en autant de notes égales qu’elle contient de temps, on pourrait encore se dispenser de les séparer, chaque note marque un temps, et chaque temps est rempli par une note  ; mais dans le cas que la mesure soit chargée de notes d’inégales valeurs, alors il faut nécessairement pratiquer la séparation des temps par des virgules, et nous la pratiquerons même dans le cas précédent, pour conserver dans nos signes la plus parfaite uniformité.

Chaque temps compris entre eux virgules, ou entre une virgule et une ligne perpendiculaire, renferme une note ou plusieurs. S’il ne contient qu’une note, on conçoit qu’elle remplit tout ce temps-là, rien n’est si simple : s’il en renferme plusieurs, la chose n’est pas plus difficile  ; divisez ce temps en autant de par ties égales qu’il comprend de notes : appliquez chacune de ces parties à chacune de ces notes, et passez-les de sorte que tous les temps soient égaux.

EXEMPLE DU PREMIER CAS. (…)

EXEMPLE DU SECOND. (…)

EXEMPLE DE TOUS LES DEUX. (…)


On voit dans les exemples précédents que je conserve les cadences et des liaisons comme dans la musique ordinaire, et que pour distinguer le chiffre qui marquer la mesure d’avec ceux des notes, j’ai soin de le faire plus grand et de l’en séparer par une double ligne perpendiculaire.

Avant que d’entrer dans un plus grand détail sur cette méthode, remarquons d’abord combien elle simplifie la pratique de la mesure en anéantissant tout d’un coup toutes les mesures doubles : car, comme la division des notes est prise uniquement dans la valeur des temps et de la mesure où elles se trouvent, il est évident que ces notes n’ont plus besoin d’être comparées à aucune valeur extérieure pour fixer la leur  ; ainsi la mesure étant uniquement déterminée par le nombre de ses temps, on la peut très bien réduire à deux espèces  ; savoir, mesure à deux, et mesure à trois. A l’égard de la mesure à quatre, tout le monde convient qu’elle n’est que l’assemblage de deux mesure à deux temps : elle est traitée comme telle ans la composition, et l’on peut compter que ceux qui prétendraient lui trouver quelque propriété particulière, s’en rapporteraient bien plus à leurs yeux qu’à leurs oreilles.

Que le nombre des temps d’une mesure naturelle, sensible et agréable à l’oreille, soit borné à trois, c’est un fait d’expérience que toutes les spéculations du monde ne détruisent pas, on aurait beau chercher de subtiles analogies entre les temps de la mesure et les harmoniques d’un son, on trouverait aussitôt une sixième consonance dans l’harmonie, qu’un mouvement à cinq temps dans la mesure, et quelle qu’en puisse être la raison, il est incontestable que le plaisir de l’oreille et même sa sensibilité à la mesure ne s’étend pas plus loin.

Tenons nous en donc à ces deux genres de mesures, à deux et à trois temps : chacun des temps de l’une et de l’autre peuvent de même être partagés en deux ou en (220)trois parties égales, et quelquefois en quatre, six, huit, etc. par des subdivisions de celles-ci, mais jamais par d’autres nombres qui ne seraient pas multiples de deux ou de trois.

Or qu’une mesure soit à deux ou à trois temps, et que la division de chacun de ses temps soit en deux ou en trois parties égales, ma méthode est toujours générale, et exprime tout avec la même facilité. On l’a déjà pu voir par le dernier exemple précédent et l’on le verra encore par celui-ci, dans lequel chaque temps d’une mesure à deux, partagé en trois parties égales exprime le mouvement de six huit dans la musique ordinaire.

Ut………

Les notes dont deux égales rempliront un temps s’appelleront des demi, celles dont il en faudra trois des tiers, celles dont il en faudra quatre des quarts etc.

Mais lorsqu’un temps se trouve partagé de sorte que toutes les notes n’y sont pas d’égale valeur : pour représenter, par exemple, dans un seul temps une noire et deux croches, je considère ce temps comme divisé en deux parties égales dont la noire fait la première et les deux croches ensemble la seconde  ; je les lie donc par une ligne droite que je place au-dessus ou au-dessous d’elles, et cette ligne marque que tout ce qu’elle embrasse ne représente qu’une seule note laquelle doit être subdivisée ensuite en deux parties égales ou en trois ou en quatre suivant le nombre des chiffres qu’elle couvre.

EXEMPLE

Fa……..

La virgule qui se trouve avant la première note dans les deux exemples précédents, désigne la fin du premier temps et marque que le chant commence par le second.

Quand il se trouve dans un même temps des subdivisions d’inégalités, on peut alors se servir d’une seconde liaison : par exemple, pour exprimer un temps composé d’une noire, d’une croche, et de deux doubles croches on s’y prendrait ainsi.

Sol……

Vous voyez là que le second temps de la première mesure contient deux parties égales, équivalentes à deux noires, savoir le 5 pour l’une, et pour l’autre la somme des trois notes 1 2 1 qui sont sous la grande liaison  ; ces trois notes sont subdivisées en deux autres parties égales, équivalentes à deux croches dont l’une est le premier 1, et l’autre les deux notes 2 et 1 jointes par la seconde liaison lesquelles font ainsi chacune le quart de la valeur comprise sous la grande liaison et le huitième du temps entier.

En général  ; pour exprimer régulièrement la valeur des notes, il faut s’attacher à la division de chaque temps par parties égales, ce qu’on peut toujours faire par la méthode que je viens d’enseigner en y ajoutant l’usage du point dont je pa rlerai tout à l’heure, sans qu’il soit possible d’être arrêté par aucune exception. Il ne sera même jamais nécessaire, quelque bizarre que puisse être une musique de mettre plus de deux liaisons sur aucune de ses notes ni d’en accompagner aucune de plus de deux points, à moins qu’on ne voulût imaginer dans de grandes inégalités de valeurs des quintuples et des sextuples croches dont la rapidité comparée n’est nullement à la portée des voix ni des instruments, et dont à peine trouverait-on d’exemple dans la plus grande débauche de cerveau de nos compositeurs.

A l’égard des tenues et des syncopes, je puis comme dans la musique ordinaire les exprimer avec des notes liées ensemble par une ligne courbe que nous appellerons liaison de tenue ou chapeau, pour la distinguer de la liaison de valeur dont je viens de parler et qui se marque par une ligne droite. Je puis aussi employer le point au même usage en lui donnant un sens plus universel et bien plus commode que dans la musique ordinaire. Car au lieu de lui faire valoir toujours la moitié de la note qui le précède, ce qui ne fait qu’un cas particulier, je lui donne de même qu’aux notes une valeur déterminée uniquement par la place qu’il occupe, c’est-à-dire, que si le point remplit seul un temps ou une mesure, le son qui a précédé doit être aussi soutenu pendant tout ce temps ou toute cette mesure, et si le point se trouve dans un temps avec d’autres notes, il faut nombre aussi bien qu’elles et doit être compté pour un tiers ou pour un quart suivant la quantité de notes que renferme ce temps-là en y comprenant le point : en une mot, le point vaut autant, ou plus, ou moins, que la note qui l’a précédé et dont il marque la tenue, suivant la place qu’il occupe dans le temps où il est employé.

EXEMPLE

Ut……

Au reste  ; il n’est pas à craindre, comme on le voit par cet exemple, que ces points se confondent jamais avec ceux qui servent à changer d’octaves, ils en sont trop bien distinguées par leur position pour avoir besoin de l’être par leur figure. C’est pourquoi j’ai négligé de le faire, évitant avec soin de me servir de signes extraordinaires qui distrairaient l’attention sans exprimer rien de plus que la simplicité des miens.

A l’égard du degré de mouvement, s’il n’est pas déterminé par les caractères de ma méthode, il est aisé d’y suppléer par un mot mis au commencement de l’air, et l’on peut d’autant moins tirer de là un argument contre mon système que la musique ordinaire a besoin du même secours  ; vous avez, par exemple, dans la mesure à trois temps simples cinq ou six mouvements très différents les unes des autres, et tous exprimés par une noire à chaque temps  ; ce n’est donc pas la qualité des notes qu’on emploie qui sert à déterminer le mouve ment, et s’il se trouve des maîtres négligent qui s’en fient sur ce sujet au caractère de leur musique et au goût de ceux qui la liront, leur confiance se trouve si souvent punie par les mauvais mouvements qu’on donne à leurs airs, qu’ils doivent assez sentir combien il est nécessaire d’avoir à cet égard des indications plus précises que la qualité des notes.

L’imperfection grossière de la musique sur l’article dont nous parlons serait sensible pour quiconque aurait des yeux : mais les musiciens ne la voient point, et j’ose prédire hardiment qu’ils ne verront jamais rien de tout ce qui pourrait tendre à corriger les défauts de leurs art. Elle n’avait pas échappé à M. Sauveur, et il n’est pas nécessaire de méditer sur la musique autant qu’il l’avait fait pour sentir combien il serait important de ne pas laisser aux mouvements des différentes mesures une expression si vague, et de n’en pas abandonner la détermination à des goûts souvent si mauvais.

Le système singulier qu’il avait proposé, et en général tout ce qu’il a donné sur l’acoustique, quoiqu’assez chimérique selon ses vues, ne laissait pas de renfermer d’excellentes choses qu’on aurait bien su mettre à profit dans tout autre art. Rien n’aurait été plus avantageux, par exemple, que l’usage de son echomètre général pour déterminer précisément la durée des mesures et des temps, et cela, par la pratique du monde la plus aisée, il n’aurait été question que de fixer sur une mesure connue la longueur du pendule simple qui aurait fait un tel nombre juste de vibrations pendant un temps, ou une mesure d’un mouvement de telle espèce. Un seul chiffre mis au commencement d’un air aurait exprimé tout cela et par son moyen on aurait pu déterminer le mouvement avec autant de précision que l’auteur même. Le pendule n’aurait été nécessaire que pour prendre une fois l’idée de chaque mouvement : après quoi, cette idée étant réveillée dans d’autres airs par les mêmes chiffres qui l’auraient fait naître, et par les airs mêmes qu’on y aurait déjà chantés, une habitude assurée, acquise par une pratique aussi exacte aurait bientôt tenu lieu de règle, et rendu le pendule inutile.

Mais ces avantages mêmes qui devenaient de vrais inconvénients par la facilité qu’ils auraient donnée aux commençants de se passer de maîtres et de se former le goût par eux-mêmes, ont, peut-être, été cause que le projet n’a point été admis dans la pratique  ; il semble que si l’on proposait de rendre l’art plus difficile, il y aurait des raisons pour être plutôt écouté.

Quoiqu’il en soit, en attendant que l’approbation du public me mettre en droit de m’étendre davantage sur les moyens qu’il y aurait à prendre pour faciliter l’intelligence des mouvements de même que celle de bien d’autres parties de la musique sur lesquelles j’ai des remarques à proposer, je puis me borner ici aux expressions de la méthode ordinaire, qui, par des mots mis au commencement de chaque air en indiquent assez bien le mouvement. Ces mots, bien choisis, doivent je crois dédommager et au delà de ces doubles chiffres et de toutes ces différentes mesures qui malgré leur nombre laissent le mouvement indéterminé et n’apprennent rien aux écoliers  ; ainsi, en adoptant seulement le 2 et le 3 pour les signes de la mesure, j’ôte la confusion des caractères sans altérer la variété de l’expression.

Revenons à notre projet. On sait combine de figures étranges sont employées dans la musique pour exprimer les silences  ; il y en a autant que de différentes valeurs, et par conséquent, autant que de figures différentes dans les notes relatives : on est même contraint de les employer à proportion en plus grande quantité, parce qu’il n’a pas plu à leurs inventeurs d’admettre le point après les silences de la même manière et au même usage qu’après les notes et qu’ils ont mieux aimé multiplier des soupirs, des demi-soupirs, des quarts de soupir à la file les uns des autres que d’établir entre des signes relatifs une analogie si naturelle.

Mais comme dans ma méthode il n’est point nécessaire de donner des figures particulières aux notes pour en déterminer la valeur, on y est aussi dispensé de la même précaution pour les silences et un seul signe suffit pour les exprimer tous sans confusion et sans équivoque. Il paraît assez indifférent dans cette unité de figure de choisir tel caractère qu’on voudra pour l’employer à cet usage. Le zéro a cependant quelque chose de si convenable à cet effet, tant par l’idée de privation qu’il porte communément avec lui, que par sa qualité de chiffre, et sur tout par la simplicité de sa figure, que j’ai cru devoir le préférer. Je l’emploierai donc de la même manière et dans le même sens par rapport à la valeur, que les notes ordinaires, c’est-à-dire, que les chiffres 1, 2, 3, etc. et les règles que j’ai établies à l’égard des notes étant toutes applicables à leurs silences relatifs, il s’en suit que le zéro par sa seule position et par les points qui le peuvent suivre lesquels alors exprimeront des silences, suffit seul pour remplacer toutes les pauses, soupirs, demi-soupirs, et autres signes bizarres et superflus qui remplissent la musique ordinaire.

EXEMPLE TIRÉ DES LE¨ÇON DE M. MONTECLAIR

Fa……

Les chiffres 4 et 2 placés ici sur des zéro marquent le nombre de mesures que l’on doit passer en silence.

Tels sont les principes généraux d’où découlent les règles pour toutes sortes d’expressions imaginables sans qu’il puisse naître à cet égard aucune difficulté qui n’ait été prévue, et qui ne soit résolue en conséquence de quelqu’un de ces principes.

Je finirai par quelques observations qui naissent du parallèle des deux systèmes.

Les notes de la musique ordinaire sont elles plus ou moins avantageuses que les chiffres qu’on leur substitue ? C’est proprement le fond de la question.

Il est clair, d’abord, que les notes varient plus par leur seule position que mes chiffres par leur figure et par leur position tout ensemble  ; qu’outre cela, il y en a de sept figures différentes, autant que j’admets de chiffre pour les exprimer  ; que les notes n’ont de signification et de force que par le secours de la clé  ; et que les variations des clés donnent un grand nombre de sens tout différents aux notes posées de la même manière.

Il n’est pas moins évident que les rapports des notes et les intervalles de l’une à l’autre n’on rien dans leur expression par la musique ordinaire qui en indique le genre, et qu’ils sont exprimés par des positions difficiles à retenir et dont la connaissance dépend uniquement de l’habitude et d’une très longue habitude : car quelle prise peut avoir l’esprit pour saisir juste et du premier coup d’œil un intervalle de sixte, de neuvième, de dixième dans la musique ordinaire, à moins que la coutume n’ait familiarisé les yeux à lire tout d’un coup ces intervalles ?

N’est-ce pas un défaut terrible dans la musique de ne pouvoir rien conserver, dans l’expression des octaves, de l’analogie qu’elles ont entre elles ? Les octaves ne sont que les répliques des mêmes sons, cependant ces répliques se présentent sous des expressions absolument différentes de celles de leur premier terme. Tout est brouillé dans la position à la distance d’une seule octave  ; la réplique d’une note qui était sur une ligne se trouve dans un espace, celle qui était dans l’espace a sa réplique sur une ligne  ; montez-vous ou descendez-vous de deux octaves ? Autre différence toute contraire à la première : alors les répliques sont placées sur des lignes ou dans des espaces comme leurs premiers termes : ainsi la difficulté augmente en changeant d’objet, et l’on n’est jamais assuré de connaître au juste l’espèce d’un intervalle traversé par un si grand nombre de lignes  ; de sorte qu’il faut se faire d’octave en octave des règles particulières qui ne finissent point, et qui font de l’étude des intervalles, le terme effrayant et très rarement atteint de la science du musicien.

De là cet autre défaut presque aussi nuisible, de ne pouvoir distinguer l’intervalle simple dans l’intervalle redoublé `vous voyez une note posée entre la première et la seconde ligne, et une autre note posée sur la septième ligne, pour connaître leur intervalle vous décomptez de l’une à l’autre, et après une longue et ennuyeuse opération vous trouvez une deuxième `or comme on voit aisément qu’elle passe l’octave, il faut recommencer une seconde recherche pour s’assurer enfin que c’est une quinte redoublée, encore pour déterminer l’espèce de cette quinte faut-il bien faire attention aux signes de la clé, qui peuvent la rendre juste ou fausse suivant leur nombre et leur position.

Je sais que les musiciens se font communément des règles plus abrégées pour se faciliter l’habitude et la connaissance des intervalles : mais ces règles mêmes prouvent le défaut des signes en ce qu’il faut toujours compter les lignes des yeux et en ce qu’on est contraint de fixer son imagination d’octave en octave pour sauter de là à l’intervalle suivant, ce qui s’appelle suppléer de génie au vice de l’expression.

D’ailleurs, quand à force de pratique on viendrait à bout de lire aisément tous les genres d’intervalles  ; de quoi vous servira cette connaissance tant que vous n’aurez point de règle assurée pour en distinguer l’espèce ? Les tierces et les sixtes majeures et mineures, les quintes et les quartes diminuées et superflues, et en général tous les intervalles de même nom, justes ou altérés sont exprimés par la même position indépendamment de leur qualité, ce qui fait que suivant les différentes situations des deux demi-tons de l’octave qui changent de place à chaque ton et à chaque clé, les intervalles changent aussi de qualité sans changer de nom ni de position, de là l’incertitude sur l’intonation et l’inutilité de l’habitude dans les cas où elle serait la plus nécessaire.

Quelle doit être la grande attention du musicien dans l’exécution ? C’est sans doute d’entrer dans l’esprit du compositeur, et de s’approprier ses idées pour les rendre avec toute la fidélité qu’exige le goût de la pièce. Or l’idée du compositeur dans le choix des sons est toujours relative à la tonique, et par exemple, il n’emploiera point le fa dièse comme une telle touche du clavier, mais comme faisant un tel accord ou un tel intervalle avec sa fondamentale. Je dis donc que si le musicien considère les sons par les mêmes rapports, il fera ses mêmes intervalles plus exacts et exécutera avec plus de justesse qu’en rendant seulement des sons les uns après les autres, sans liaison et sans dépendance que celle de la position des notes qui sont devant ses yeux, et de ces foules de dièses et de bémols qu’il faut qu’il ait incessamment présents à l’esprit  ; bien entendu qu’il observera toujours les modifications particulières à chaque ton, qui sont, comme je l’ai déjà dit, l’effet du tempérament, et dont la connaissance pratique, indépendante de tout système, ne peut s’acquérir que par l’oreille et par l’habitude.

Quand on prend une fois un mauvais principe, on s’enfile d’inconvénients en inconvénients, et souvent on voit évanouir les avantages mêmes qu’on s’était proposés. C’est ce qui arrive dans la pratique de la musique instrumentale  ; les difficultés s’y présentent en foule. La quantité de positions différentes, de dièses, de bémols, de changements de clés, y sont des obstacles éternels au progrès des musiciens  ; et après tout cela il faut encore perdre, la moitié du temps, cet avantage si vanté du rapport direct de la touche à la note, puisqu’il arrive cent fois par la force des signes d’altération simples ou redoublés, que les mêmes notes deviennent relatives à des touches toutes différentes de ce qu’elles représentent, comme on l’a pu remarquer ce-devant.

Voulez-vous pour la commodité des voix transposer la pièce un demi-ton ou un ton plus haut ou plus bas : Voulez-vous présenter à ce symphoniste de la musique notés sur une clé étrangère à son instrument ? Le voilà embarrassé, et souvent, arrêté out court si la musique est un peu travaillée. Je crois, à la vérité, que les grands musiciens ne seront pas dans le cas  ; mais je crois aussi que les grands musiciens ne le sont pas devenus sans peine, et c’est cette peine qu’il s’agit d’abréger. Parce qu’il ne sera pas tout-à-fait impossible d’arriver à la perfection par la route ordinaire, s’ensuit-il qu’il n’en soit point de plus facile ?

Supposons que je veuille transposer et exécuter en B fa si une pièce notée en C sol ut à la clé de sol sur la première ligne : voici tout ce que j’ai à faire  ; je quitte l’idée de la clé de sol, et je lui substitue celle de la clé d’ut sur la troisième ligne : ensuite j’y ajoute les idées des cinq dièses posés, le premier sur le fa, le second sur l’ut, le troisième sur le sol, le quatrième sur le re, et le cinquième sur le la ; à tout cela je joins enfin l’idée de ’une octave au-dessus de cette clé d’ut, et il faut que je retienne continuellement toute cette complication d’idées pour l’appliquer à chaque note, sans quoi me voilà à tout instant hors de ton. Qu’on juge de la facilité de tout cela.

Les chiffres employés de la manière que je le propose produisent des effets absolument différents. Leur force est en eux-mêmes et indépendante de tout autre signe. Leurs rapports sont connus par la seule inspection, et sans que l’habitude ait à y entrer pour rien  ; l’intervalle simple est toujours évident dans l’intervalle redoublé : une leçon d’un quart d’heure doit mettre toute personne en état de solfier, ou du moins de nommer les notes dans quelque musique qu’on lui présente  ; un autre quart d’heure suffit pour lui apprendre à nommer de même et sans hésiter tout intervalle possible, ce qui dépend, comme je l’ai déjà dit, de la connaissance distincte de trois intervalles, de leurs renversements, et réciproquement du renversement de ceux-ci qui revient aux premiers. Or il me semble que l’habitude doit se former bien plus aisément quand l’esprit en a fait la moitié de l’ouvrage, et qu’il n’a lui-même plus rien à faire.

Non seulement les intervalles sont connus par leurs genres dans mon système, mais ils le sont encore par leur espèce. Les tierces et les sixtes sont majeures ou mineures, vous en faites la distinction sans pouvoir vous y tromper  ; rien n’est si aisé que de savoir une fois que l’intervalle 2 4 est une tierce mineure, l’intervalle 2 4 une sites majeure, l’intervalle 3 i une sixte mineure, l’intervalle 3 1 une tierce majeure, etc. les quartes et les tierces, les secondes, les quintes et les septièmes, justes, diminuées, ou superflues, ne coûtent pas plus à connaître  ; les signes accidentels embarrassent encore moins, et l’intervalle naturel étant connu, il est si facile de déterminer ce même intervalle altéré par un dièse ou par un bémol, par l’un et l’autre tout à la fois, ou par deux d’une même espèce, que ce serait prolonger le discours inutilement que d’entrer dans ce détail.

Appliquez ma méthode aux instruments, les avantages en seront frappants. Il n’est question que d’apprendre à former les sept sons de la gamme naturelle et leurs différentes octaves sur un ut fondamental pris successivement sur les douze cordes* de l’échelle  ; ou plutôt, il n’est question que de savoir sur un son donné trouver une quinte, une quarte, une tierce majeure, etc. et les octaves de tout cela, c’est-à-dire, de posséder les connaissances qui doivent être le moins ignorées de musiciens dans quelque système que ce soit. Après ces préliminaires si faciles à acquérir, et si propres à former l’oreille, quelques mois donnés à l’habitude de la mesure mettent tout d’un coup l’écolier en état d’exécuter à livre ouvert : mais d’une exécution incomparablement plus intelligente et plus sûre que celle de nos symphonistes ordinaires. Toutes les clés lui seront également familières  ; tous les tons auront pour lui la même facilité, et s’il s’y trouve quelque différence, elle ne dépendra jamais que de la difficulté particulière de l’instrument, et non d’une confusion de dièses, de bémols, et de positions différentes si fâcheuses pour les commençants.

  • Je dis, les douze cordes, pour n’omettre aucune des difficultés possibles, puisqu’on pourrait se contenter des sept cordes naturelles, et qu’il est rare qu’on établisse la fondamentale d’un ton sur un des cinq sons altérés, excepté, peut-être, le si bémol. Il est vrai qu’on y parvient assez fréquemment par la suite de la modulation : mais alors, quoiqu’on ait changé de ton, la même fondamentale subsiste toujours, et le changement est amené par des altérations particulières.

Ajoutez à cela une connaissance parfaite des tons et de toutes la modulation, suite nécessaire des principes de ma méthode  ; et surtout l’universalité des signes qui rend avec les mêmes notes les mêmes airs dans tous les tons par le changement d’un seul caractère  ; d’où résulte une facilité de transposer un air en tout autre ton, égale à celle de l’exécuter dans celui où il est noté : voilà ce que saura en très peu de temps un symphoniste formé par ma méthode. Toute jeune personne avec les talents et les dispositions ordinaires et qui ne connaîtrait pas une note de musique, doit, conduite par ma méthode, être en état d’accompagner du clavecin à livre ouvert toute musique qui ne passera pas en difficulté celle de nos opéra, au bout de huit mois, et au bout de dix de celle de nos cantates.

Or si dans un si court espace on peut enseigner à la fois assez de musique et d’accompagnement pour exécuter à livre ouvert, à plus forte raison un maître de flûte ou de violon qui n’aura que la note à joindre à la pratique de l’instrument, pourra-t-il former un élève dans le même temps par les mêmes principes.

Je ne dis rien du chant en particulier, parce qu’il ne me paraît pas possible de disputer la supériorité de mon système à cet égard, et que j’ai sur ce point des exemples à donner plus fortes et plus convaincants que tous les raisonnements.

Après tous les avantages dont je viens de parler, il est permis de compter pour quelque chose le peu de volume qu’occupent mes caractères comparé à la diffusion de l’autre musique, et la facilité de noter sans tout cet embarras de papier rayé, où les cinq lignes de la portée ne suffisant presque jamais, il en faut ajouter d’autres à tout moment qui se rencontrent quelquefois avec les portées voisines ou se mêlent avec les paroles et causent une confusion à laquelle ma musique ne sera jamais exposée. Sans vouloir en établir le prix sur cet avantage, il ne laisse pas cependant d’avoir une influence à mériter de l’attention  ; combien sera-t-il commode d’entretenir des correspondances de musique sans augmenter le volume des lettres ? Quel embarras n’évitera-t-on point dans les symphonies et dans les partitions de tourner la feuille à tout moment ? Et quelle ressource d’amusement n’aura-t-on pas de pouvoir porter sur soi des livres et des recueils de musique comme on en porte de belles lettres sans se surcharger par un poids ou par un volume embarrassant, et d’avoir, par exemple, à l’Opéra un extrait de la musique joint aux paroles, presque sans augmenter le prix ni la grosseur du livre ? Ces considérations ne sont pas, je l’avoue, d’une grande importance, aussi ne les donné-je que comme des accessoires  ; ce n’est, au reste, qu’un tissu de semblables bagatelles qui fait les agréments de la vie humaine, et rien ne serait si misérables qu’elle, si l’on n’avait jamais fait d’attention aux petits objets.

Je finirai mes remarques sur cet article en concluant qu’ayant retranché tout d’un coup par mes caractères les soixante et dix combinaisons que la différente position des clés et des accidents produit dans la musique ordinaire  ; ayant établi un signe invariable et constant pour chaque son de l’octave dans tous les tons  ; ayant établi de même une position très simple pour les différentes octaves, ayant fixé toute l’expression des sons par les intervalles propres au ton où l’on est  ; ayant conservé aux yeux la facilité de découvrir du premier regard si les sons montent ou descendent  ; ayant fixé le degré de ce progrès avec une évidence que n’a point la musique ordinaire  ; et enfin ayant abrégé de plus des trois quarts, et le temps qu’il faut pour apprendre à solfier, et le volume des notes, il reste démontré que mes caractères sont préférables à ceux de la musique ordinaire.

Une seconde question qui n’est guère moins intéressante que la première, est de savoir si la division des temps que je substitue à celles des notes qui les remplissent, est un principe général plus simple et plus avantageux que toutes ces différences de noms et de figures qu’on est contraint d’appliquer aux notes, conformément à la durée qu’on leur veut donner.

Un moyen sûr pour décider cela, serait d’examiner à priori si la valeur des notes est faite pour régler la longueur des temps, ou si ce n’est point, au contraire, par les temps mêmes de la mesure que la durée des notes doit être fixée. Dans le premier cas, la méthode ordinaire serait incontestablement la meilleure, à moins qu’on ne regardâit le retranchement de tant de figures comme une compensation suffisante d’une erreur de principe d’où résulteraient de meilleurs effets. Mais dans le second cas, si je rétablis également la cause et l’effet pris jusqu’ici l’un pour l’autre et que par là, je simplifie les règles et j’abrège la pratique, j’ai lieu d’espérer que cette partie de mon système, dans laquelle, au reste, on ne m’accusera d’avoir copié personne, ne paraîtra pas moins avantageuse que la précédente.

Je renvoie à l’ouvrage dont j’ai déjà parlé, bien des détails que je n’ai pu placer dans celui-ci. On y trouvera, outre la nouvelle méthode d’accompagnement dont j’ai parlé dans la Préface, un moyen de reconnaître au premier coup d’œil les longues tirades de notes en montant ou en descendant afin de n’avoir besoin de faire attention qu’à la première et à la dernière  ; l’expression de certaines mesures syncopées qui se trouvent quelquefois dans les mouvements vifs à trois temps  ; une table de tous les mots propres à exprimer les différents degrés du mouvement  ; le moyen de trouver d’abord la plus haute et la plus basse note d’un air et de préluder en conséquence  ; enfin, d’autres règles particulières qui toutes ne sont toujours que des développements des principes que j’ai proposés ici  ; et surtout, un système de conduite pour les maîtres qui enseigneront à chanter et à jouer des instruments, bien différent dans la méthode, et j’espère dans le progrès, de celui dont on se sert aujourd’hui.

Si donc aux avantages généraux de mon système, si à tous ces retranchements de signes et de combinaisons, si au développement précis de la théorie, on ajoute les utilités que ma méthode présente pour la pratique  ; ces embarras de lignes et de portées tous supprimés, la musique rendue si courte à apprendre, si facile à noter, occupant si peu de volume, exigeant moins de frais pour l’impression, et par conséquent, coûtant moins à acquérir ; une correspondance plus parfaite établie entre les différentes parties sans que les sauts d’une clé à l’autre soient plus difficiles que les mêmes intervalles pris sur la même clé  ; les accords et le progrès de l’harmonie offerts avec une évidence à laquelle les yeux ne peuvent se refuser  ; le ton nettement déterminé  ; toute la suite de la modulation exprimée, et le chemin que l’on a suivi, et le point où l’on est arrivé, et la distance où l’on est du ton principal  ; mais surtout l’extrême simplicité des principes jointe à la facilité des règles qui en découlent  ; peut-être trouvera-t-on dans tout cela de quoi justifier la confiance avec laquelle j’ose présenter ce projet au public.