La Commère

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La Commère
Comédie en un acte pour les Comédiens-Italiens par M. de Marivaux 1741


Acteurs[modifier]

LA VALLÉE.
MONSIEUR REMY.
MONSIEUR THIBAUT et son confrère, notaires.
LE NEVEU DE MADEMOISELLE HABERT.
MADAME ALAIN. 
MADEMOISELLE HABERT.
AGATHE.
JAVOTTE.

La scène est à Paris chez Madame Alain.


Scène première[modifier]

LA VALLÉE, MADEMOISELLE HABERT


LA VALLÉE

Entrons dans cette salle. Puisqu'on dit que Madame Alain va revenir, ce n'est pas la peine de remonter chez vous pour redescendre après ; nous n'avons qu'à l'attendre ici en devisant.

MADEMOISELLE HABERT

Je le veux bien.

LA VALLÉE

Que j'ai de contentement quand je vous regarde ! Que je suis aise ! On dit que l'on meurt de joie ; cela n'est pas vrai, puisque me voilà. Et si je me réjouis tant de notre mariage, ce n'est pas à cause du bien que vous avez et de celui que je n'ai pas, au moins. De belles et bonnes rentes sont bonnes, je ne dis pas que non, et on aime toujours à avoir de quoi ; mais tout cela n'est rien en comparaison de votre personne. Quel bijou !

MADEMOISELLE HABERT

Il est donc bien vrai que vous m'aimez un peu, La Vallée ?

LA VALLÉE

Un peu, Mademoiselle ? Là, de bonne foi, regardez-moi dans l'œil pour voir si c'est un peu.

MADEMOISELLE HABERT

Hélas ! Ce qui me fait quelquefois douter de votre tendresse, c'est l'inégalité de nos âges.

LA VALLÉE

Mais votre âge, où le mettez-vous donc ? Ce n'est pas sur votre visage ; est-ce qu'il est votre cadet ?

MADEMOISELLE HABERT

Je ne dis pas que je sois bien âgée ; je serais encore assez bonne pour un autre.

LA VALLÉE

Eh bien, c'est moi qui suis l'autre. Au surplus, chacun a son tour pour venir au monde ; l'un arrive le matin et l'autre le soir, et puis on se rencontre sans se demander depuis quand on y est.

MADEMOISELLE HABERT

Vous voyez ce que je fais pour vous, mon cher enfant.

LA VALLÉE

Pardi, je vois des bontés qui sont des merveilles ! Je vois que vous avez levé un habit qui me fait brave comme un marquis ; je vois que je m'appelais Jacob quand nous nous sommes connus, et que depuis quinze jours vous avez eu l'invention de m'appeler votre cousin, Monsieur de la Vallée. Est-ce que cela n'est pas admirable ?

MADEMOISELLE HABERT

Je me suis séparée d'une sœur avec qui je vivais depuis plus de vingt-cinq ans dans l'union la plus parfaite, et je brave les reproches de toute ma famille, qui ne me pardonnera jamais notre mariage quand elle le saura.

LA VALLÉE

Vraiment, que n'avez-vous point fait ! Je ne savais pas la civilité du monde, par exemple, et à cette heure, par votre moyen, je suis poli, j'ai des manières. Je proférais des paroles rustiques, au lieu qu'à présent. je dis des mots délicats : on me prendrait pour un livre. Cela n'est-il pas bien gracieux ?

MADEMOISELLE HABERT

Ce n'est pas votre bien qui me détermine.

LA VALLÉE

Ce n'est pas ma condition non plus. Finalement, je vous dois mon nom, ma braverie, ma parenté, mon beau langage, ma politesse, ma bonne mine ; et puis vous m'allez prendre pour votre homme comme si j'étais un bourgeois de Paris.

MADEMOISELLE HABERT

Dites que je vous épouse, La Vallée, et non pas que je vous prends pour mon homme ; cette façon de parler ne vaut rien.

LA VALLÉE

Pardi, grand merci, cousine ! Je vous fais bien excuse, Mademoiselle : oui, vous m'épousez. Quel plaisir ! Vous me donnez votre cœur qui en vaut quatre comme le mien.

MADEMOISELLE HABERT

Si vous m'aimez, je suis assez payée.

LA VALLÉE

Je paie tant que je puis, sans compter, et je n'y épargne rien.

MADEMOISELLE HABERT

Je vous crois ; mais pourquoi regardez-vous tant Agathe, lorsqu'elle est avec nous ?

LA VALLÉE

La fille de Madame Alain ? Bon, c'est qu'elle m'agace ! Elle a peut-être envie que je lui en conte et je n'ose pas lui dire que je suis retenu.

MADEMOISELLE HABERT

La petite sotte !

LA VALLÉE

Eh ! Pardi, est-ce que la mère ne va pas toujours disant que je suis beau garçon ?

MADEMOISELLE HABERT

Oh ! Pour la mère, elle ne m'inquiète pas, toute réjouie qu'elle est, et je suis persuadée , après toute l'amitié qu'elle me témoigne, que je ne risque rien à lui confier mon dessein. À qui le confierais-je ? D'ailleurs il ne serait pas prudent d'en parler aux gens qui me connaissent. Je ne veux pas qu'on sache qui je suis, et il n'y a que Madame Alain à qui nous puissions nous adresser. Mais elle n'arrive point. Je me rappelle que j'ai un ordre à donner pour le repas de ce soir, et je remonte. Restez ici ; prévenez-la toujours, quand elle sera venue ; je redescends bientôt.

LA VALLÉE

Oui, ma bonne parente, afin que le parent vous revoie plus vite. Êtes-vous revenue ?

Il lui baise la main.


Scène II[modifier]

LA VALLÉE, AGATHE


LA VALLÉE

Cette fille-là m'adore. Elle se meurt pour ma jeunesse. Et voilà ma fortune faite.

AGATHE

Oh ! C'est vous, Monsieur de la Vallée. Vous avez l'air bien gai ; qu'avez-vous donc ?

LA VALLÉE

Ce que j'ai, Mademoiselle Agathe ? C'est que je vous vois.

AGATHE

Oui-da. Il me semble en effet depuis que nous nous connaissons, que vous aimez assez à me voir.

LA VALLÉE

Oh ! vous avez raison, Mademoiselle Agathe, j'aime cela tout à fait. Mais vous parlez de mon œil gai. C'est le vôtre qui est gaillard. Quelle prunelle ! d'où cela vient-il ?

AGATHE

Apparemment de ce que je vous vois aussi.

LA VALLÉE

Tout de bon ? vraiment tant mieux. Est-ce que par hasard je vous plais un peu, Mademoiselle Agathe ?

AGATHE

Dites, qu'en pensez-vous, Monsieur de la Vallée ?

LA VALLÉE

Eh mais, je crois que j'ai opinion que oui, Mademoiselle Agathe.

AGATHE

Nous sommes tous deux du même avis.

LA VALLÉE

Tous deux ! la jolie parole ! Où est-ce qu'est votre petite main que je l'en remercie ? Qui est-ce qui pourrait s'empêcher de prendre cela en passant ?

AGATHE

Je n'ai jamais permis à Monsieur Dumont de me baiser la main au moins, quoiqu'il m'aime bien.

LA VALLÉE

C'est signe que vous m'aimez mieux que lui, mon mouton.

AGATHE

Quelle différence !

LA VALLÉE

Tout le monde est amoureux de moi. Je la baiserai donc encore si je veux.

AGATHE

Eh ! vous venez de l'avoir. Parlez à ma mère si vous voulez l'avoir tant que vous voudrez.

LA VALLÉE

Vraiment il faut bien que je lui parle aussi, je l'attends.

AGATHE

Vous l'attendez ?

LA VALLÉE

Je viens exprès.

AGATHE

Vous faites fort bien, car Monsieur Dumont y songe. Heureusement, la voilà qui arrive. Ma mère, Monsieur de la Vallée vous demande. Il a à vous entretenir de mariage, et votre volonté sera la mienne. Adieu, Monsieur.


Scène III[modifier]

LA VALLÉE, MADAME ALAIN


MADAME ALAIN

Dites-moi donc, gros garçon, qu'est-ce qu'elle me conte là ? Que souhaitez-vous ?

LA VALLÉE

Discourir, comme elle vous le dit, d'amour et de mariage.

MADAME ALAIN

Ah ! ah ! Je ne croyais pas que vous songiez à Agathe ; je me serais imaginé autre chose.

LA VALLÉE

Ce n'est pas à elle non plus ; c'est le mot de mariage qui l'abuse.

MADAME ALAIN

Voyez-vous cette petite fille ! Sans doute qu'elle ne vous hait pas ; elle fait comme sa mère.

LA VALLÉE, à part.

Encore une amoureuse ; mon mérite ne finit point. (À Madame Alain.) Non, je ne pense pas à elle.

MADAME ALAIN

Et c'est un entretien d'amour et de mariage ? Oh ! j'y suis ! Je vous entends à cette heure !

LA VALLÉE

Et encore qu'entendez-vous, Madame Alain ?

MADAME ALAIN

Eh ! Pardi, mon enfant, j'entends ce que votre mérite m'a toujours fait comprendre. Il n'y a rien de si clair. Vous avez tant dit que mon humeur et mes manières vous revenaient, vous êtes toujours si folâtre autour de moi que cela s'entend de reste.

LA VALLÉE, à part.

Autour d'elle ?…

MADAME ALAIN

Je me suis bien doutée que vous m'en vouliez et je n'en suis pas fâchée.

LA VALLÉE

Pour ce qui est dans le cas de vous en vouloir, il est vrai… que vous vous portez si bien, que vous êtes si fraîche…

MADAME ALAIN

Eh ! Qu'aurais-je pour ne l'être pas ! Je n'ai que trente-cinq ans, mon fils. J'ai été mariée à quinze : ma fille est presque aussi vieille que moi ; j'ai encore ma mère, qui a la sienne.

LA VALLÉE

Vous n'êtes qu'un enfant qui a grandi.

MADAME ALAIN

Et cet enfant vous plaît, n'est-ce pas ? Parlez hardiment.

LA VALLÉE, à part.

Quelle vision ! (À Madame Alain.) Oui-da. (À part.) Comment lui dire non ?

MADAME ALAIN

Je suis franche et je vous avoue que vous êtes fort à mon gré aussi ; ne vous en êtes-vous pas aperçu ?

LA VALLÉE

Heim ! heim ! Par-ci, par-là

MADAME ALAIN

Je le crois bien. Si vous aviez seulement dix ans de plus, cependant, tout n'en irait que mieux ; car vous êtes bien jeune. Quel âge avez-vous ?

LA VALLÉE

Pas encore vingt ans. Je ne les aurai que demain matin.

MADAME ALAIN

Oh ! Ne vous pressez pas ; je m'en accommode comme ils sont ; ils ne me font pas plus de peur aujourd'hui qu'ils ne m'en feront demain ; et après tout, un mari de vingt ans avec une veuve de trente-cinq vont bien ensemble, fort bien ; ce n'est pas là l'embarras, surtout avec un mari aussi bien fait que vous et d'un caractère aussi doux.

LA VALLÉE

Oh ! point du tout, vous m'excuserez !

MADAME ALAIN

Très bien fait, vous dis-je, et très aimable.

LA VALLÉE

Arrêtez-vous donc, Madame Alain ; ne prenez pas la peine de me louer, il y aura trop à rabattre, en vérité, vous me confondez. Je ne sais plus comment faire avec elle.

MADAME ALAIN

Voyez cette modestie ! Allons, je ne dis plus mot. Ah ça ! arrangeons-nous, puisque vous m'aimez. Voyons. Ce n'est pas le tout que de se marier il faut faire une fin. À votre âge, on est bien vivant ; vous avez l'air de l'être plus qu'un autre, et je ne le suis pas mal aussi, moi qui vous parle.

LA VALLÉE

Oh ! oui, très vivante !

MADAME ALAIN

Ainsi nous voilà déjà deux en danger d'être bientôt trois, peut-être quatre, peut-être cinq, que sait-on jusqu'où peut aller une famille ? Il est toujours bon d'en supposer plus que moins, n'est-ce pas ? J'ai assez de bien de mon chef ; j'ai ma mère qui en a aussi, une grand-mère qui n'en manque pas, un vieux parent dont j'hérite et qui en laissera ; et pour peu que vous en ayez, on se soutient en prenant quelque charge ; on roule. Qu'est-ce que c'est que vous avez de votre côté ?

LA VALLÉE

Oh ! Moi, je n'ai point de côté.

MADAME ALAIN

Que voulez-vous dire par là ?

LA VALLÉE

Que je n'ai rien. C'est moi qui suis tout mon bien.

MADAME ALAIN

Quoi ! Rien du tout ?

LA VALLÉE

Non. Rien que des frères et des sœurs.

MADAME ALAIN

Rien, mon fils, mais ce n'est pas assez.

LA VALLÉE

Je n'en ai pourtant pas davantage ; vous en contentez-vous, Madame Alain ?

MADAME ALAIN

En vérité, il n'y a pas moyen, mon garçon ; il n'y a pas moyen.

LA VALLÉE

C'est ce que je voulais savoir avant de m'aviser, car pour vous aimer, ce serait besogne faite.

MADAME ALAIN

C'est dommage ; j'ai grand regret à vos vingt ans, mais rien, que fait-on de rien ? Est-ce que vous n'avez pas au moins quelque héritage ?

LA VALLÉE

Oh ! si fait. J'ai sept ou huit parents robustes et en bonne santé, dont j'aurai infailliblement la succession quand ils seront morts.

MADAME ALAIN

Il faudrait une furieuse mortalité, Monsieur de la Vallée, et cela sera bien long à mourir, à moins qu'on ne les tue. Est-ce que cette demoiselle Habert, votre cousine qui vous aime tant, ne pourrait pas vous avancer quelque chose ?

LA VALLÉE

Vraiment, elle m'avancera de reste, puisqu'elle veut m'épouser.

MADAME ALAIN

Hem ! Dites-vous pas que votre cousine vous épouse ?

LA VALLÉE

Hé oui ! Je vous l'apprends, et c'est de quoi elle a à vous entretenir. N'allez pas lui dire que je vous donnais la préférence, elle est jalouse, et vous me feriez tort.

MADAME ALAIN

Moi, lui dire ! Ah ! mon ami, est-ce que je dis quelque chose ? Est-ce que je suis une femme qui parle ? Madame Alain, parler ? Madame Alain, qui voit tout, qui sait tout et ne dit mot !

LA VALLÉE

Qu'il est beau d'être si rare !

MADAME ALAIN

Pardi, allez ! je ferais bien d'autres vacarmes si je voulais. J'ai bien autre chose à cacher que votre amour. Vous vîtes encore hier Madame Remy ici. Je n'aurais donc qu'à lui dire que son mari m'en conte, sans qu'il y gagne ; à telles enseignes que je reçus l'autre jour à mon adresse une belle et bonne étoffe bien empaquetée qui arriva de la part de personne, et que je ne sus qui venait de lui qu'après qu'elle a été coupée, ce qui m'a obligée de la garder. Et ce n'était pas ma faute ; mais je n'en ai jamais dit le mot à personne, et ce n'est pas même pour vous l'apprendre que je le dis, c'est seulement pour vous montrer qu'on sait se taire.

LA VALLÉE

Vertuchou ! quelle discrétion !

MADAME ALAIN

Demeurez en repos. Mais parlez donc, Monsieur de la Vallée, vous qui m'aimez tant, vous aimez là une fille bien ancienne, entre nous. Que je vous plains ! ce que c'est de n'avoir rien ! la vieille folle !

LA VALLÉE

Motus ! La voilà, prenez garde à ce que vous direz.

MADAME ALAIN

Ne craignez rien.


Scène IV[modifier]

LA VALLÉE, MADAME ALAIN, MADEMOISELLE HABERT


MADEMOISELLE HABERT

Bonjour, Madame.

MADAME ALAIN

Je suis votre servante, Mademoiselle. J'apprends là une nouvelle qui me fait plaisir ; on dit que vous vous mariez.

MADEMOISELLE HABERT

Doucement, ne parlez pas si haut ; il ne faut pas qu'on le sache.

MADAME ALAIN

C'est donc un secret ?

MADEMOISELLE HABERT

Sans doute ; est-ce que Monsieur de la Vallée ne vous l'a pas dit ?

LA VALLÉE

Je n'ai pas eu le temps.

MADAME ALAIN

Nous commencions, je ne sais encore rien de rien ; mais je parlerai bas. Eh bien ! contez-moi vos petites affaires de cœur. Vous vous aimez donc, que cela est plaisant !

MADEMOISELLE HABERT

Que trouvez-vous de si plaisant à ce mariage, Madame ?

MADAME ALAIN

Je n'y trouve rien. Au contraire, je l'approuve, je l'aime. Il me divertit, j'en ai de la joie. Que voulez-vous que j'y trouve, moi ? Qu'y a-t-il à dire ? Vous aimez ce garçon : c'est bien fait. S'il n'a que vingt ans, ce n'est pas votre faute, vous le prenez comme il est ; dans dix il en aura trente et vous dix de plus, mais qu'importe ! On a de l'amour ; on se contente ; on se marie à l'âge qu'on a ; si je pouvais vous ôter les trois quarts du vôtre, vous seriez bientôt du sien.

MADEMOISELLE HABERT

Qu'appelez-vous du sien ? Rêvez-vous, Madame Alain ? Savez-vous que je n'ai que quarante ans tout au plus ?

MADAME ALAIN

Calmez-vous ! C'est qu'on s'y méprend à la mine qu'ils vous donnent.

LA VALLÉE

Vous vous moquez ! On les prendrait pour des années de six mois. Finissez donc !

MADAME ALAIN

De quoi se fâche-t-elle ? Mademoiselle Habert sait que je l'aime. Allons, ma chère amie, un peu de gaieté ! Vous êtes toujours sur le qui-vive. Eh ! Mort de ma vie, en valez-vous moins pour être un peu mûre ? Voyez comme elle s'est soutenue, elle est plus blanche, plus droite !

LA VALLÉE

Elle a des yeux, un teint…

MADAME ALAIN

Ah ! le fripon, comme il en débite ! Revenons. Vous l'épousez ; après, que faut-il que je fasse ?

MADEMOISELLE HABERT

Personne ne viendra-t-il nous interrompre ?

MADAME ALAIN

Attendez ; je vais y mettre bon ordre. Javotte ! Javotte !

MADEMOISELLE HABERT

Qu'allez-vous faire ?

MADAME ALAIN

Laissez, laissez ! C'est qu'on peut entrer ici à tout moment, et moyennant la précaution que je prends, il ne viendra personne.


Scène V[modifier]

Les précédents, JAVOTTE


JAVOTTE

Comme vous criez, Madame ! On n'a pas le temps de vous répondre. Que vous plaît-il ?

MADAME ALAIN

Si quelqu'un vient me demander, qu'on dise que je suis en affaire. Il faut que nous soyons seuls, Mademoiselle Habert a un secret de conséquence à me dire. N'entrez point non plus sans que je vous appelle, entendez-vous ?

JAVOTTE

Pardi ! je m'embarrasse bien du secret des autres ; ne dirait-on pas que je suis curieuse ?

MADAME ALAIN

Marchez, marchez, raisonneuse !

MADEMOISELLE HABERT, à la Vallée.

Voilà une sotte femme, Monsieur de la Vallée.

LA VALLÉE

Oui, elle n'est pas assez prudente.


Scène VI[modifier]

MADAME ALAIN, MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE


MADAME ALAIN

Nous voilà tranquilles à cette heure.

MADEMOISELLE HABERT

Eh  ! Madame Alain, pour informer cette fille que j'ai une confidence à vous faire ? Il ne fallait pas…

MADAME ALAIN

Si fait vraiment. C'est afin qu'on ne vienne pas nous troubler. Pensez-vous qu'elle aille se douter de quelque chose ? Eh bien, si vous avez la moindre inquiétude là-dessus, il y a bon remède ; ne vous embarrassez pas. Javotte ! Holà !

MADEMOISELLE HABERT

Quel est votre dessein ? Pourquoi la rappeler ?

MADAME ALAIN

Je ne gâterai rien.


Scène VII[modifier]

Les précédents, JAVOTTE


JAVOTTE

Encore ! Que me voulez-vous donc, Madame ? On ne fait qu'aller et venir ici. Qu'y a-t-il ?

MADAME ALAIN

Écoutez-moi. Je me suis mal expliquée tout à l'heure. Ce n'est pas un secret que Mademoiselle veut m'apprendre ; n'allez pas le croire et encore moins le dire. Ce que j'en fais n'est que pour être libre et non pas pour une confidence.

JAVOTTE

Est-ce là tout ? Pardi ! la peine d'autrui ne vous coûte guère. Est-ce moi qui suis la plus babillarde de la maison ?

MADAME ALAIN

Taisez-vous et faites attention à ce qu'on vous dit, sans tant de raisonnements.


Scène VIII[modifier]

MADAME ALAIN, MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE


MADAME ALAIN

Ah ça ! vous devez avoir l'esprit en repos à présent. Voilà tout raccommodé.

MADEMOISELLE HABERT

Soit. Mais ne raccommodez plus rien, je vous prie. J'ai besoin d'un extrême secret.

MADAME ALAIN

Vous jouez de bonheur ; une muette et moi, c'est tout un. J'ai les secrets de tout le monde. Hier au soir, le marchand qui est mon voisin me fit serrer dans ma salle basse je ne sais combien de marchandises de contrebande qui seraient confisquées si on le savait : voyez si on me croit sûre.

MADEMOISELLE HABERT

Vous m'en donnez une étrange preuve ; pourquoi me le dire ?

MADAME ALAIN

L'étrange fille ! C'est pour vous rassurer.

MADEMOISELLE HABERT

Quelle femme !

MADAME ALAIN

Poursuivons. Il faut que je sois informée de tout de peur de surprise. Par quel motif cachez-vous votre mariage ?

MADEMOISELLE HABERT

C'est que je ne veux pas qu'une sœur que j'ai, et avec qui j'ai passé toute ma vie, le sache.

MADAME ALAIN

Fort bien. Je ne savais pas que vous aviez une sœur, par exemple. Cela est bon à savoir. S'il vient ici quelque femme vous demander, je commencerai par dire : êtes-vous sa sœur ou non ?

MADEMOISELLE HABERT

Eh non ! Madame. Vous devez absolument ignorer qui je suis.

LA VALLÉE

On vous demanderait à vous comment vous savez que cette chère enfant a une sœur.

MADAME ALAIN

Vous avez raison, j'ignore tout, je laisserai dire. Ou bien, je dirai : qu'est-ce que c'est que Mademoiselle Habert ? Je ne connais point cela, moi, non plus que son cousin, Monsieur de la Vallée.

MADEMOISELLE HABERT

Quel cousin ?

MADAME ALAIN

Eh ! lui que voilà.

LA VALLÉE

Eh ! non ; nous ne sommes pas trop cousins non plus, voyez-vous.

MADAME ALAIN

Ah ! oui-da. C'est que vous ne l'êtes pas du tout.

LA VALLÉE

Rien que par honnêteté, depuis quinze jours et pour la commodité de se voir ici, sans qu'on en babille.

MADAME ALAIN

Ah ! j'entends. Point de cousins ! Que cela est comique ! Ce que c'est que l'amour ! Cette chère fille… Mais n'admirez-vous pas comme on se prévient ? J'avais déjà trouvé un air de famille entre vous deux. De bien loin, à la vérité, car ce sont des visages si différents ! Parlons du reste. Qu'appréhendez-vous de votre sœur ?

MADEMOISELLE HABERT

Les reproches, les plaintes.

LA VALLÉE

Les caquets des uns, les remontrances des autres.

MADAME ALAIN

Oui, oui ! L'étonnement de tout le monde.

MADEMOISELLE HABERT

J'appréhenderais que par malice, par industrie, ou par autorité on ne mît opposition à mon mariage.

LA VALLÉE

On me percerait l'âme.

MADAME ALAIN

Oh ! des oppositions, il y en aurait ; on parlerait peut-être d'interdire.

MADEMOISELLE HABERT

M'interdire, moi ? En vertu de quoi ?

MADAME ALAIN

En vertu de quoi, ma fille ? En vertu de ce qu'ils diront que vous faites une folie, que la tête vous baisse, que sais-je ? Ce qu'on dit en pareil cas quand il y a un peu de sujet, et le sujet y est.

MADEMOISELLE HABERT

Vous me prenez donc pour une folle.

MADAME ALAIN

Eh non ! ma mie. Je vous excuse, moi ; je compatis à l'état de votre cœur et vous ne m'entendez pas. C'est par amitié que je parle. Je sais bien que vous êtes sage. Je signerai que vous l'êtes. Je vous reconnais pour telle, mais pour preuve que vous ne l'êtes pas, ils apporteront vos amours, qu'ils traiteront de ridicules ; votre dessein d'épouser qu'ils traiteront d'enfance ; ils apporteront une quarantaine d'années qui, malheureusement, en paraissent cinquante ; ils allégueront son âge à lui et mille mauvaises raisons que vous êtes en danger d'essuyer comme bonnes. Écoutez-moi, est-ce que j'ai dessein de vous fâcher ? Ce n'est que par zèle, en un mot, que je vous épouvante.

MADEMOISELLE HABERT

Elle est d'une maladresse, avec son zèle !

LA VALLÉE

Mais, Madame Alain, vous alléguez l'âge de ma cousine. Regardez-y à deux fois. Où voulez-vous qu'on le prenne ?

MADAME ALAIN

Sur le registre où il est écrit, mon petit bonhomme. Car vous m'impatientez, vous autres. On est pour vous et vous criez comme des troublés. Oui, je vous le soutiens, on dira que c'est la grand-mère qui épouse le petit-fils, et par conséquent radote. Vous n'êtes encore qu'au berceau par rapport à elle, afin que vous le sachiez ; oui, au berceau, mon mignon, il est inutile de se flatter là-dessus.

LA VALLÉE

Pas si mignon, Madame Alain, pas si mignon.

MADEMOISELLE HABERT

Eh ! de grâce, Madame, laissons cette matière-là, je vous en conjure. Toutes les contradictions viendraient uniquement de ce que Monsieur de la Vallée est un cadet qui n'a point de bien…

MADAME ALAIN

Le cadet me l'a dit : point de bien. J'oubliais cet article.

MADEMOISELLE HABERT

Viendraient aussi de ce que j'ai un neveu que ma sœur aime et qui compte sur ma succession.

MADAME ALAIN

Où est le neveu qui ne compte pas ? Il faut que le vôtre se trompe et que Monsieur de la Vallée ait tout.

LA VALLÉE, montrant Mademoiselle Habert.

Oh ! pour moi, voilà mon tout.

MADAME ALAIN

D'accord, mais il n'y aura point de mal que le reste y tienne, à condition que vous le mériterez, Monsieur de la Vallée. Traitez votre femme en bon mari, comme elle s'y attend ; ne vous écartez point d'elle, et ne la négligez pas sous prétexte qu'elle est sur son déclin.

MADEMOISELLE HABERT

Eh ! que fait ici mon déclin, Madame ? Nous n'en sommes pas là ! Finissons. Je vous disais que j'ai quitté ma sœur. Je ne l'ai pas informée de l'endroit où j'allais demeurer ; vous voyez même que je ne sors guère de peur de la rencontrer ou de trouver quelques gens de connaissance qui me suivent. Cependant, j'ai besoin de deux notaires et d'un témoin, je pense. Voulez-vous bien vous charger de me les avoir ?

MADAME ALAIN

Il suffit. Les voulez-vous pour demain ?

LA VALLÉE

Pour tout à l'heure. Je languis.

MADEMOISELLE HABERT

Je serais bien aise de finir aujourd'hui, si cela se peut.

MADAME ALAIN

Aujourd'hui, dit-elle ! Cet amour ! Cette impatience ! elle donne envie de se marier. La voilà rajeunie de vingt ans. Oui, mon cœur, oui, ma reine, aujourd'hui ! Réjouissez-vous ; je vais dans l'instant travailler pour vous.

LA VALLÉE

Chère dame, que vous allez m'être obligeante !

MADEMOISELLE HABERT

Surtout, Madame Alain, qu'on ne soupçonne point, par ce que vous direz, que c'est pour moi que vous envoyez chercher ces messieurs.

MADAME ALAIN

Oh ! ne craignez rien. Pas même les notaires ne sauront pour qui c'est que lorsqu'ils seront ici ; encore n'en diront-ils rien après si vous voulez. Je vous réponds d'un qui est jeune, un peu mon allié, qui venait ici du temps qu'il était clerc, et qui nous gardera bien le secret, car je lui en garde un qui est d'une conséquence… Je vous dirai une autre fois ce que c'est ; faites-m'en souvenir. Et puis notre témoin sera Monsieur Remy, ce marchand attenant ici et que vous voyez quelquefois chez moi.

LA VALLÉE

Quoi ! Votre galant qui a envoyé l'étoffe ?

MADAME ALAIN

Tout juste. L'homme à la robe, il est éperdu de moi ; et à qui appartient aussi cette contrebande que j'ai dans mon armoire. Voyez s'il nous trahira ! Mais laissez-moi appeler ma fille que je vois qui passe. Agathe ! Approchez.


Scène IX[modifier]

Les précédents, AGATHE


AGATHE

Que souhaitez-vous, ma mère ?

MADAME ALAIN

Allez-vous-en tout à l'heure chez Monsieur Remy le prier de venir ici sur-le-champ. Tâchez même de l'amener avec vous.

AGATHE

J'y vais de ce pas, ma mère.

MADAME ALAIN

Écoutez ! Dites-lui que j'aurais passé chez lui si je ne m'étais pas proposé d'aller chez Monsieur Thibaut et un autre notaire que je vais chercher pour un acte qui presse.

AGATHE

Deux notaires, ma mère, et pour un acte ?

MADAME ALAIN

Oui, ma fille. Allez.

AGATHE

Et si Monsieur Remy me demande ce que vous voulez, que lui dirai-je ?

MADAME ALAIN

Que c'est pour servir de témoin ; il n'y a pas d'inconvénient à l'en avertir.

AGATHE

Ah ! c'est notre ami, il ne demandera pas mieux.

MADAME ALAIN

Hâtez-vous, de peur qu'il ne sorte, afin qu'on termine aujourd'hui.

AGATHE

Vous êtes la maîtresse, ma mère. Donnez-moi seulement le temps de saluer Mademoiselle Habert. Bonjour, Mademoiselle. J'espère que vous me continuerez l'honneur de votre amitié, et plus à présent que jamais.

MADEMOISELLE HABERT

Je n'ai nulle envie de vous l'ôter et je vous remercie du redoublement de la vôtre.

AGATHE

Je ne fais que mon devoir, Mademoiselle, et je suis mon inclination.

MADAME ALAIN

Vous êtes bien en humeur de complimenter, ce me semble. Partez-vous ?

AGATHE

Oui, ma mère. Adieu, Monsieur de la Vallée.

LA VALLÉE

Je vous salue, Mademoiselle.

AGATHE

Je vous aime bien ; vous m'avez tenu parole.

MADAME ALAIN

Que Monsieur Remy attende que je sois de retour ; au reste, qu’il ne sorte pas d’ici, que je l'en prie, que je reviens dans moins de dix minutes.

AGATHE

Oui, je le retiendrai.

MADEMOISELLE HABERT

Un petit mot : ne lui dites point que c'est pour servir de témoin.

AGATHE

Comme il vous plaira. (À La Vallée.) Vous êtes un honnête homme.


Scène X[modifier]

MADEMOISELLE HABERT, MADAME ALAIN, LA VALLÉE


MADEMOISELLE HABERT

Devine-t-elle que c'est pour un mariage ?

MADAME ALAIN

Ce n'est pas moi qui le lui ai appris. (À La Vallée.) C'est qu'elle croit que vous l'épousez.

LA VALLÉE

Chut ! Vous verrez qu'elle a remarqué mon œil amoureux sur la cousine, et puis une fille, quand on parle du notaire, voit toujours un mari au bout.

MADAME ALAIN

Oui, elle croit qu'un notaire n'est bon qu'à cela. Ah çà ! mes enfants, je vous quitte, mais c'est pour vous servir au plus tôt.

MADEMOISELLE HABERT

Je vous demande pardon de la peine.


Scène XI[modifier]

MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE


MADEMOISELLE HABERT

Vous allez donc enfin être à moi, mon cher La Vallée.

LA VALLÉE

Attendez, ma mie, le cœur me bat. Cette pensée me rend l'haleine courte. Quel ravissement !

MADEMOISELLE HABERT

Vous ne sauriez douter de ma joie.

LA VALLÉE

Tenez, il me semble que je ne touche pas à terre.

MADEMOISELLE HABERT

J'aime à te voir si pénétré. Je crois que tu m'aimes, mais je te défie de m'aimer plus que ma tendresse pour toi ne le mérite.

LA VALLÉE

C'est ce que nous verrons dans le ménage.

MADEMOISELLE HABERT

Pourvu que Madame Alain avec ses indiscrétions… Cette femme-là m'épouvante toujours.

LA VALLÉE

Elle n'ira pas loin, et dès que vous m'aimez, je suis né coiffé. C'est une affaire finie dans le ciel.

MADEMOISELLE HABERT

Ce qui me surprend, c'est que cette petite Agathe sache que c'est pour un mariage. Je crois même qu'elle pense que c'est pour elle. S'imaginerait-elle que vous l'aimez ? Vous n'en êtes pas capable…

LA VALLÉE

Mignonne, votre propos m'afflige l'âme.

MADEMOISELLE HABERT

N'y fais pas d'attention, je ne m'y arrête pas.


Scène XII[modifier]

Les précédents, AGATHE


AGATHE

Monsieur Remy va monter tout à l'heure. Je ne lui ai pas dit que c'était pour être témoin.

MADEMOISELLE HABERT

Vous avez bien fait.

AGATHE

C'est bien le moins que je fasse vos volontés. Je serais bien fâchée de vous déplaire en rien, Mademoiselle.

MADEMOISELLE HABERT

Je n'entends rien à ses politesses.

AGATHE

J'ai trouvé chez lui Monsieur Dumont, que vous connaissez bien, Monsieur de la Vallée.

LA VALLÉE

Monsieur Dumont ?

AGATHE

Oui, ce jeune monsieur qui me fait la cour et que je vous ai dit qui me recherchait, et comme je disais à Monsieur Remy que ma mère aurait passé chez lui si elle n'avait pas été chez des notaires, il m'a dit avec des mines doucereuses dont j'ai pensé rire de tout mon cœur : Mademoiselle, n'approuvez-vous pas que nous ayons au premier jour affaire à lui pour nous-mêmes et que j'en parle à Madame Alain ? et moi je n'ai rien répondu.

LA VALLÉE

Oh ! c'était parler avec esprit.

AGATHE

Ce n'est pas qu'il n'ait du mérite, mais j'en sais qui en ont davantage.

MADEMOISELLE HABERT

On ne saurait en trop avoir pour vous, belle Agathe.

AGATHE

Je m'estime bien glorieuse que vous m'en ayez trouvé, allez, Mademoiselle. Je vous avais bien dit que Monsieur Remy ne tarderait pas.


Scène XIII[modifier]

Les ci-dessus, MONSIEUR REMY


MONSIEUR REMY

Où est donc Madame Alain, Mademoiselle Agathe ?

AGATHE

Oh dame ! si je vous avais dit qu'elle est sortie, vous ne seriez peut-être pas venu si tôt. Elle va revenir,

MONSIEUR REMY

Je retourne un instant chez moi ; je vais remonter.

AGATHE

Ma mère m'a dit en m'envoyant : dis-lui qu'il reste. Je fermerai plutôt la porte. La voilà elle-même.


Scène XIV[modifier]

MADAME ALAIN, les précédents.


MADAME ALAIN

Monsieur Thibaut va amener un de ses confrères. Bonjour, Monsieur Remy. J'ai à vous parler. Agathe, descendez là-bas ; amenez ces messieurs quand ils seront venus, et qu'on renvoie tout le monde.

MADEMOISELLE HABERT

Nous allons vous laisser avec Monsieur. Vous nous ferez avertir quand vous aurez besoin de nous.

MADAME ALAIN

Sans adieu. Le cher bonhomme, il me regrette ; il s'en va tristement avec sa vieille… Monsieur Remy, y a-t-il longtemps que vous êtes ici ?

MONSIEUR REMY

J'arrive, mais y eût-il une heure, elle serait bien employée puisque je vous vois.

MADAME ALAIN

Toujours des douceurs ; vous recommencez toujours.

MONSIEUR REMY

C'est que vous ne cessez pas d'être aimable.

MADAME ALAIN

Patience, je me corrigerai avec le temps. Je vous demande un petit service pour une affaire que je tiens cachée.

MONSIEUR REMY

De quoi s'agit-il ?

MADAME ALAIN

D'un mariage, où je vous prie d'être témoin.

MONSIEUR REMY

Si c'est pour le vôtre, je n'en ferai rien. Je n'aiderai jamais personne à vous épouser. Serviteur !

MADAME ALAIN

Où va-t-il ? À qui en avez-vous, Monsieur l'emporté ? Ce n'est pas pour moi.

MONSIEUR REMY

C'est donc pour Mademoiselle Agathe ?

MADAME ALAIN

Non.

MONSIEUR REMY

Il n'y a pourtant que vous deux à marier dans la maison.

MADAME ALAIN

Raisonnablement parlant, vous dites assez vrai.

MONSIEUR REMY

Comment ! Serait-ce pour cette demoiselle Habert à qui vous avez loué depuis trois semaines ?

MADAME ALAIN

Je ne parle pas.

MONSIEUR REMY

Je vous entends ; c'est pour elle.

MADAME ALAIN

Je me tais tout court. Je pourrais vous le dire puisqu'on va signer le contrat, et que vous y serez, mais je ne parle pas. En fait de secret confié, il ne faut se rien permettre.

MONSIEUR REMY

Mais si je devine ?

MADAME ALAIN

Ce ne sera pas ma faute.

MONSIEUR REMY

Il me sera permis d'en rire ?

MADAME ALAIN

C'est une liberté que j'ai pris la première.

MONSIEUR REMY

Et pourquoi se cacher ?

MADAME ALAIN

Oh ! pour celui-là, il m'est permis de le dire. C'est pour éviter les reproches d'une famille qui ne serait pas contente de lui voir prendre un mari tout des plus jeunes.

MONSIEUR REMY

Ce mari ressemble bien à son petit cousin La Vallée !

MADAME ALAIN

Ils ne sont pas cousins.

MONSIEUR REMY

Ah ! ils ne sont pas !

MADAME ALAIN

Pas plus que vous et moi. Au reste, vous soupez ici, je vous en avertis.

MONSIEUR REMY

Tant mieux ; j'aime la comédie. Mais je vais dire chez moi que je suis retenu pour un mariage.

MADAME ALAIN

Faites donc vite. Les notaires vont arriver ; ils seront discrets ; il y en a un dont je suis bien sûre : c'est Monsieur Thibaut, qui va épouser la fille de Monsieur Constant, à qui il ne dit qu'il paiera sa charge des deniers de la dot, ce qu'il n'ignore pas que je sais. Ce fut feu mon mari qui ajusta l'affaire de la charge.

MONSIEUR REMY

Adieu. Dans un instant je suis à vous.

MADAME ALAIN

Il a soupçonné fort juste, quoique je ne lui aie rien dit.


Scène XV[modifier]

AGATHE, MONSIEUR THIBAUT, son confrère, MADAME ALAIN


AGATHE

Ma mère, voilà ces messieurs.

MADAME ALAIN

Je suis votre servante, Monsieur Thibaut. Il y a longtemps que nous ne nous étions vus, quoique alliés.

MONSIEUR THIBAUT

Je ne m'en cache pas, Madame. Qu'y a-t-il pour votre service ?

MADAME ALAIN

Ma fille, Mademoiselle Habert et Monsieur de la Vallée sont dans mon cabinet. Dites-leur de venir. Ah ! les voilà. Agathe, retirez-vous.

AGATHE

Je sors, ma mère. C'est à vous de me gouverner là-dessus.


Scène XVI[modifier]

MADEMOISELLE HABERT, MADAME ALAIN, LA VALLÉE, les notaires.


MADAME ALAIN

Messieurs, il est question d'un contrat de mariage pour les deux personnes que vous voyez, et Monsieur Remy, qui est connu de vous, Monsieur Thibaut, va servir de témoin.

LE NOTAIRE

Nous n'avons rien à demander à Mademoiselle ; elle est en état de disposer d'elle, mais Monsieur me paraît bien jeune. Est-il en puissance de père et de mère ?

LA VALLÉE

Non. Il y aura deux ans vienne l'été que le dernier des deux mourut hydropique.

LE NOTAIRE

N'auriez-vous pas un consentement de parents ?

LA VALLÉE

Vlà celui de mon oncle. Oh ! il n'y manque rien ; le juge du lieu y a passé signature, paraphe, tout y est ; la feuille timbrée dit tout.

MONSIEUR THIBAUT

Vous n'êtes pas d'ici apparemment.

LA VALLÉE

Non, Monsieur. Je suis bourguignon pour la vie, du pays du bon vin.

MONSIEUR THIBAUT

Cela me paraît en bonne forme, et puis nous nous en rapportons à Madame Alain dès que c'est chez elle que vous vous mariez.

MADAME ALAIN

Je les connais tous deux ; Mademoiselle loge chez moi.

MONSIEUR THIBAUT

Commençons toujours, en attendant Monsieur Remy.

MADAME ALAIN

Je le vois qui vient.


Scène XVII[modifier]

Les précédents, MONSIEUR REMY


MONSIEUR REMY

Messieurs, je vous salue. Madame, j'ai un petit mot à vous dire à quartier, avec la permission de la compagnie.

MADAME ALAIN

Qu'est-il arrivé ?

MONSIEUR REMY

J'ai été obligé de dire à ma femme pourquoi j'étais retenu ici, mais je n'ai nommé personne.

MADAME ALAIN

C'est vous qui avez deviné. Je ne vous ai rien dit.

MONSIEUR REMY

Non. Au mot de secret, un jeune monsieur qui venait pour une maison que je vends m'a prié de l'amener chez vous. Il vous apprendra, dit-il, des choses singulières que vous ne savez pas.

MADAME ALAIN

Des choses singulières ! Qu'il vienne !

MONSIEUR REMY

Il m'attend en bas, et je vais le chercher si vous le voulez.

MADAME ALAIN

Si je le veux ! Belle demande ! Des choses singulières ! je n'ai garde d'y manquer ; il y a des cas où il faut tout savoir.

MONSIEUR REMY

Je vais le faire venir, et prendre de ces marchandises dans votre armoire ; je les porterai chez moi où l'on doit les venir prendre ce soir.

MADAME ALAIN

Allez, Monsieur Remy. (Il sort. À la compagnie.) Messieurs, je vous demande pardon, mais passez je vous prie pour un demi-quart d'heure dans le cabinet. (À Mademoiselle Habert.) Approchez, ma chère amie. Il va monter un homme qui, je crois, veut m'entretenir de vous. Laissez-moi, et que Monsieur de la Vallée soit témoin du zèle et de la discrétion que j'aurai.

MADEMOISELLE HABERT

Oui, mais si c'est quelqu'un qui l'ait vu chez ma sœur ?

MADAME ALAIN

La réflexion est sensée. Retirez-vous, Mademoiselle, et vous, Monsieur, de la porte du cabinet, vous jetterez un coup d'œil sur l'homme qui va entrer. S'il ne vous connaît pas, vous serez mon parent, comme vous étiez celui de Mademoiselle.

MADEMOISELLE HABERT

Cette visite m'inquiète.


Scène XVIII[modifier]

LE NEVEU DE MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE, MADAME ALAIN


MADAME ALAIN

Monsieur de la Vallée, vous ne serez point de trop. Monsieur, vous pouvez dire devant lui ce qu'il vous plaira.

LE NEVEU

Excusez la liberté que je prends. On dit que vous avez chez vous une demoiselle qui va se marier incognito.

LA VALLÉE

Il n'y a point de cet incognito ici. Il faut que ce soit à une autre porte. Défiez-vous de ce gaillard-là, cousine.

MADAME ALAIN

Il n'y a point de mystère ; c'est Monsieur Remy qui l'a amené. Oui, il y a une demoiselle qui se marie, et qui n'est peut-être que la vingtième du quartier qui en fait autant. J'en sais cinq ou six pour ma part. Reste à savoir si Monsieur connaît la nôtre.

LE NEVEU

Si c'est celle que je cherche, je suis de ses amis et j'ai quelque chose à lui remettre.

LA VALLÉE

La nôtre n'attend rien. Ne donnez pas dans le panneau.

MADAME ALAIN

Paix ! Où sont ces choses singulières que vous devez m'apprendre, qui, apparemment, ne lui sont pas favorables ? et je conclus que vous n'êtes pas son ami autant que vous le dites.

LA VALLÉE

Et que vous ne marchez pas droit en besogne.

LE NEVEU

Jouons d'adresse. Vous m'excuserez, Madame. Il est très vrai que j'ai à lui parler et que je suis son ami. Et c'est cette amitié qui veut la détourner d'un mariage qui déplaît à sa famille et qui n'est pas supportable.

LA VALLÉE

Il va encore de travers.

MADAME ALAIN

Venons d'abord aux choses singulières ; c'est le principal.

LE NEVEU

Mettez-vous à ma place. Ne dois-je point savoir avant de vous les confier si la personne qui loge chez vous est celle que je cherche ? Donnez-moi du moins quelque idée de la vôtre.

LA VALLÉE

C'est une fille qui se marie ; voilà tout.

MADAME ALAIN

Il y a un bon moyen de s'en éclaircir, et bien court. Ne cherchez-vous pas une jeune fille ? Vous m'en avez tout l'air. Répondez.

LE NEVEU

Jeune… oui, Mademoiselle. Est-ce que la vôtre ne l'est pas ?

MADAME ALAIN

Ah ! vraiment non. C'est une fille âgée. Voilà une grande différence et tout le reste va de même. Nous n'avons pas ce qu'il vous faut. Je gage aussi que votre demoiselle a père et mère.

LE NEVEU

J'en demeure d'accord.

MADAME ALAIN

Vous voyez bien que rien ne se rapporte.

LE NEVEU

La vôtre n'a donc plus ses parents ?

MADAME ALAIN

Elle n'a qu'une sœur avec qui elle a passé sa vie.

LA VALLÉE

Le cœur me dit que vous me coupez la gorge.

MADAME ALAIN

Votre cœur rêve.

LE NEVEU

Nous n'y sommes plus. La mienne est blonde et n'a qu'une tante.

MADAME ALAIN

Hé bien ! la nôtre est brune et n'a qu'un neveu.

LA VALLÉE

Ni la sœur ni le neveu n'avaient que faire là. Je ne les aurais pas déclaré.

MADAME ALAIN

Avec qui la vôtre se marie-t-elle ?

LE NEVEU

Avec un veuf de trente ans, homme assez riche, mais qui ne convient point à la famille.

MADAME ALAIN

Et voilà le futur de la nôtre.

LA VALLÉE

Le portier dira le reste.

LE NEVEU

En voilà assez, Madame. Je me rends. Ce n'est point ici qu'on trouvera Mademoiselle Dumont.

MADAME ALAIN

Non. Il faut que vous vous contentiez de Mademoiselle Habert, qui a peur de son côté et que je vais rassurer, en l'avertissant qu'elle n'a rien à craindre.

LA VALLÉE

C'est pour nous achever. Tout est décousu.

MADAME ALAIN

Paraissez, notre amie ! Venez rire de la frayeur de Monsieur de la Vallée.


Scène XIX[modifier]

Les précédents, MADEMOISELLE HABERT


MADEMOISELLE HABERT

Hé bien ! Madame, de quoi s'agissait-il ? D'avec qui sortez-vous ? Que vois-je ? C'est mon neveu. (Elle se sauve.)


Scène XX[modifier]

Les précédents.


MADAME ALAIN

Son neveu ! Votre tante !

LE NEVEU

Oui, Madame.

LA VALLÉE

J'étais devin.

MADAME ALAIN

Ne rougissez-vous pas de votre fourberie ?

LE NEVEU

Écoutez-moi et ne vous fâchez pas. Votre franchise naturelle et louable, aidée d'un peu d'industrie de ma part, a causé cet événement. Avec une femme moins vraie, je ne tenais rien.

MADAME ALAIN

Cette bonne qualité a toujours été mon défaut et je ne m'en corrige point. Je suis outrée.

LE NEVEU

Vous n'avez rien à vous reprocher.

LA VALLÉE

Que d'avoir eu de la langue.

MADAME ALAIN

N'ai-je pas été surprise ?

LE NEVEU

N'ayez point de regret à cette aventure. Profitez au contraire de l'occasion qu'elle vous offre de rendre service à d'honnêtes gens et ne vous prêtez plus à un mariage aussi ridicule et aussi disproportionné que l'est celui-ci.

LA VALLÉE

Qu'y a-t-il donc tant à dire aux proportions ? Ne sommes-nous pas garçon et fille ?

LE NEVEU

Taisez-vous, Jacob.

MADAME ALAIN

Comment, Jacob ! On l'appelle Monsieur de la Vallée.

LE NEVEU

C'est sans doute un nom de guerre que ma tante lui a donné.

LA VALLÉE

Donné ! Qu'il soit de guerre ou de paix, le beau présent !

LE NEVEU

Son véritable est Jacques Giroux, petit berger, venu depuis sept ou huit mois de je ne sais quel village de Bourgogne, et c'est de lui-même que mes tantes le savent.

LA VALLÉE

Berger, parce qu'on a des moutons.

LE NEVEU

Petit paysan, autrement dit ; c'est même chose.

LA VALLÉE

On dit paysan, nom qu'on donne à tous les gens des champs.

MADAME ALAIN

Petit paysan, petit berger, Jacob, qu'est-ce donc que tout cela, Monsieur de la Vallée ? Car, enfin, les parents auraient raison.

LA VALLÉE

Je vous réponds qu'on arrange cette famille-là bien malhonnêtement, Madame Alain, et que sans la crainte du bruit et le respect de votre maison et du cabinet où il y a du monde…

LE NEVEU

Hem ! Que diriez-vous, mon petit ami ? Pouvez-vous nier que vous êtes arrivé à Paris avec un voiturier, frère de votre mère ?

LA VALLÉE

Quand vous crieriez jusqu'à demain, je ne ferai point d'esclandre.

LE NEVEU

De son propre aveu, c'était un vigneron que son père.

LA VALLÉE

Je me tais. Le silence ne m'incommode pas, moi.

LE NEVEU

Il ne saurait nier que ces demoiselles avaient besoin d'un copiste pour mettre au net nombre de papiers et que ce fut un de ses parents, qui est un scribe, qui le présenta à elles.

MADAME ALAIN

Quoi ! un de ces grimauds en boutique, qui dressent des écriteaux et des placets !

LE NEVEU

C'est ce qu'il y a de plus distingué parmi eux, et le petit garçon sait un peu écrire, de sorte qu'il fut trois semaines à leurs gages, mangeant avec une gouvernante qui est au logis.

MADAME ALAIN

Oh ! diantre ; il mange à table à cette heure.

LA VALLÉE

Quelles balivernes vous écoutez là !

LE NEVEU

Hem ! Vous raisonnez, je pense.

LA VALLÉE

Je ne souffle pas. Chantez mes louanges à votre aise.

MADAME ALAIN

Il m'a pourtant fait l'amour, le petit effronté !

LE NEVEU

Il est bien vêtu. C'est sans doute ma tante qui lui a fait faire cet habit-là, car il était en fort mauvais équipage au logis.

LA VALLÉE

C'est que j'avais mon habit de voyage.

LE NEVEU

Jugez, Madame, vous qui êtes une femme respectable, et qui savez ce que c'est que des gens de famille…

MADAME ALAIN

Oui, Monsieur. Je suis la veuve d'un honnête homme extrêmement considéré pour son habileté dans les affaires, et qui a été plus de vingt ans secrétaire de président. Ainsi, je dois être aussi délicate qu'une autre sur ces matières.

LA VALLÉE

Ah ! que tout cela m'ennuie.

LE NEVEU

Mademoiselle Habert a eu tort de fuir ; elle n'avait à craindre que des représentations soumises. Je ne désapprouve pas qu'elle se marie ; toute la grâce que je lui demande, c'est de se choisir un mari que nous puissions avouer, qui ne fasse pas rougir un neveu plein de tendresse et de respect pour elle, et qui n'afflige pas une sœur à qui elle est si chère, à qui sa séparation a coûté tant de larmes.

LA VALLÉE

Oh ! le madré crocodile.

MADAME ALAIN

Je ne m'en cache pas, vous me touchez. Les gens comme nous doivent se soutenir ; j'entre dans vos raisons.

LA VALLÉE

Que j'en rirais, si j'étais de bonne humeur !

MADAME ALAIN

Je vais parler à Mademoiselle Habert en attendant que vous ameniez sa sœur. Rien ne se terminera aujourd'hui. Laissez-moi agir.

LE NEVEU

Vous êtes notre ressource et nous nous reposons sur vos soins, Madame.


Scène XXI[modifier]

LA VALLÉE, MADAME ALAIN


LA VALLÉE

Eh bien ! que vous dit le cœur ?

MADAME ALAIN

Ce n'est pas vous que je blâme, Jacob ; mais il n'y a pas moyen d'être, pour un petit berger. Messieurs, vous pouvez revenir ici.


Scène XXII[modifier]

Les deux notaires , MADEMOISELLE HABERT, MADAME ALAIN, LA VALLÉE


MONSIEUR THIBAUT

Procédons…

MADAME ALAIN

Non, Messieurs. Il n'est plus question de cela. Il n'y a point de mariage ; il est du moins remis.

MADEMOISELLE HABERT

Comment donc ? Que voulez-vous dire ?

MADAME ALAIN

Demandez à votre copiste.

MADEMOISELLE HABERT

Mon copiste ! Parlez donc, Monsieur de la Vallée.

LA VALLÉE

Dame ! C'est la besogne du parent que vous savez. C'est lui qui a retourné la tête.

MADEMOISELLE HABERT

Oh ! je l'ai prévu.

MADAME ALAIN

Ne m'entendez-vous pas, ma chère amie ? Un petit Jacob qui mangeait à l'office, un cousin scribe, un oncle voiturier, un vigneron… Dispensez-moi de parler. Ce n'est pas là un parti pour vous, Mademoiselle Habert.

L'AUTRE NOTAIRE

Si vous êtes Mademoiselle Habert, je connais votre neveu. C'est un jeune homme estimable, et qui, de votre aveu même, est sur le point d'épouser la fille d'un de mes amis. Ainsi, trouvez bon que je ne prête point mon ministère pour un mariage qui peut lui faire tort.

MONSIEUR THIBAUT

Je suis d'avis de me retirer aussi. Adieu, Madame.

LA VALLÉE

Quel désarroi !

MADEMOISELLE HABERT

Hé ! Monsieur, arrêtez un instant, je vous en supplie. Ma chère Madame Alain, retenez du moins Monsieur Thibaut. Souffrez que je vous dise un mot avant qu'il nous quitte.

LA VALLÉE

Rien qu'un mot, pour vous raccommoder l'esprit. Vous me vouliez tant de bien ; souvenez-vous-en.

MADAME ALAIN

Hélas ! j'y consens ; je ne suis point votre ennemie. Ayez donc la bonté de rester, Monsieur Thibaut.

MONSIEUR THIBAUT

Il n'est point encore sûr que vous ayez affaire de moi. En tous cas, je repasserai ici dans un quart d'heure.

MADEMOISELLE HABERT

Je vous en conjure. (À La Vallée.) Cette femme est faible et crédule. Regagnons-la.


Scène XXIII[modifier]

MADAME ALAIN, MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE


MADAME ALAIN

Que je vous plains, ma chère Mademoiselle Habert ! Que tout ceci est désagréable pour moi ! Ce neveu qui paraît vous aimer est d'une tristesse…

MADEMOISELLE HABERT

Est-il possible que vous vous déterminiez à me chagriner sur les rapports d'un homme qui vous doit être suspect, qui a tant d'intérêt à les faire faux, qui est mon neveu enfin, et de tous les neveux le plus avide ? Ne reconnaissez-vous pas les parents ? Pouvez-vous vous y méprendre, avec autant d'esprit que vous en avez ?

LA VALLÉE

Remplie de sens commun comme vous l'êtes.

MADAME ALAIN

Calmez-vous, Mademoiselle Habert ; vous m'affligez. Je ne saurais voir pleurer les gens sans faire comme eux.

LA VALLÉE, sanglotant.

Se peut-il que ce soit Madame Alain qui nous maltraite…

MADAME ALAIN, pleurant.

Doucement. Le moyen de nous expliquer si nous pleurons tous ! Je sais bien que tous les neveux et les cousins qui héritent ne valent rien, mais on croit le vôtre. Il approuve que vous vous mariez, il n'y a que Jacob qui le fâche, et il n'a pas tort. Jacob est joli garçon, un bon garçon, je suis de votre avis ; ce n'est pas que je le méprise, on est ce qu'on est, mais il y a une règle dans la vie ; on a rangé les conditions, voyez-vous ; je ne dis pas qu'on ait bien fait, c'est peut-être une folie, mais il y a longtemps qu'elle dure, tout le monde la suit, nous venons trop tard pour la contredire. C'est la mode ; on ne la changera pas, ni pour vous ni pour ce petit bonhomme. En France et partout, un paysan n'est qu'un paysan, et ce paysan n'est pas pour la fille d'un citoyen bourgeois de Paris.

MADEMOISELLE HABERT

On exagère, Madame Alain.

LA VALLÉE

Je suis calomnié, ma chère dame.

MADAME ALAIN

Vous ne vous êtes pas défendu.

LA VALLÉE

J'avais peur du tapage.

MADEMOISELLE HABERT

Il n'a pas voulu faire de vacarme,

LA VALLÉE

Récapitulons les injures. Il m'appelle paysan ; mon père est pourtant mort le premier marguillier du lieu. Personne ne m'ôtera cet honneur,

MADEMOISELLE HABERT

Ce sont d'ordinaire les principaux d'un bourg ou d'une ville qu'on choisit pour cette fonction.

MADAME ALAIN

Je l'avoue. Je ne demande pas mieux que d'avoir été trompée ; mais le père vigneron ?

LA VALLÉE

Vigneron, c'est qu'il avait des vignes, et n'en a pas qui veut.

MADEMOISELLE HABERT

Voilà comme on abuse des choses.

MADAME ALAIN

Mais vraiment, des vignes, comtes, marquis, princes, ducs, tout le monde en a, et j'en ai aussi.

LA VALLÉE

Vous êtes donc une vigneronne.

MADAME ALAIN

Il n'y aurait rien de si impertinent.

LA VALLÉE

J'ai, dit-il, un oncle qui mène des voitures ; encore une malice ; il les fait mener. Le maître d'un carrosse et le cocher sont deux. Cet oncle a des voitures, mais les voitures et les meneurs sont à lui. Qu'y a-t-il à dire ?

MADAME ALAIN

Qu'est-ce que cela signifie ? Quoi ! c'est ainsi que votre neveu l'entend ! Mon beau-père avait bien vingt fiacres sur la place ; il n'était donc pas de bonne famille, à son compte ?

LA VALLÉE

Non. Votre mari était fils de gens de rien ; vous avez perdu votre honneur en l'épousant.

MADAME ALAIN

Il en a menti. Qu'il y revienne ! Mais, Monsieur de la Vallée, vous n'avez rien dit de cela devant lui.

LA VALLÉE

Je n'osais me fier à moi ; je suis trop violent.

MADEMOISELLE HABERT

Ils se seraient peut-être battus.

MADAME ALAIN

Voyez le fourbe avec son copiste !

MADEMOISELLE HABERT

Eh ! c'était par amitié qu'il copiait ; nous l'en avions prié.

LA VALLÉE

Ces demoiselles me dictaient ; elles se trompaient ; je me trompais aussi ; tantôt mon écriture montait, tantôt elle descendait ; je griffonnais ; et puis, c'était à rire de Monsieur Jacob !

MADEMOISELLE HABERT

L'étourdi !

MADAME ALAIN

Et pourquoi ce nom de Jacob ?

MADEMOISELLE HABERT

C'est que, dans les provinces, c'est l'usage de donner ces noms-là aux enfants dans les familles.

MADAME ALAIN

À parler franchement, j'avoue que j'ai été prise pour dupe, et je suis indignée. Je laisse là les autres articles, qui ne doivent être aussi que des impostures. Ah ! le méchant parent ! Il nous manque un notaire. Allez vous tranquilliser dans votre chambre, et que Monsieur de la Vallée ne s'écarte pas. Je veux que votre sœur vous trouve mariée, et je vais pourvoir à tout ce qu'il vous faut.

LA VALLÉE

Il y a de bons cœurs, mais le vôtre est charmant.

MADAME ALAIN

Allez, vous en serez content. Dans le fond, j'avais été trop vite.


Scène XXIV[modifier]

MADAME ALAIN, AGATHE


AGATHE

J'ai quelque chose à vous dire, ma mère.

MADAME ALAIN

Oh ! vous prenez bien votre temps ! Que vous est-il arrivé avec votre air triste ? Venez-vous m'annoncer quelque désastre ?

AGATHE

Non, ma mère.

MADAME ALAIN

Eh bien ! attendez. J'ai un billet à écrire, et vous me parlerez après.


Scène XXV[modifier]

Les précédents, MONSIEUR THIBAUT


MONSIEUR THIBAUT

Vous voyez que je vous tiens parole, Madame.

MADAME ALAIN

Vous me faites grand plaisir. Je vous laisse pour un instant. Ma fille, faites compagnie à Monsieur ; je reviens. (Elle sort.)

MONSIEUR THIBAUT

Apparemment que la partie est renouée et que le mariage se termine.

AGATHE

Je n'en sais rien. J'ai empêché Monsieur Remy de sortir, mais si vous en avez envie, je vais vous ouvrir la porte ; vous vous en irez tant qu'il vous plaira.

MONSIEUR THIBAUT

Vous êtes fâchée. Est-ce que ce mariage vous déplaît ?

AGATHE

Sans doute. C'est un malheur pour cette fille-là d'épouser un petit fripon qui ne l'aime point et qui, encore aujourd'hui, faisait l'amour à une autre pour l'épouser.

MONSIEUR THIBAUT

À vous, peut-être ?

AGATHE

À moi, Monsieur ! Il n'aurait qu'à y venir, l'impertinent qu'il est. C'est bien à un petit rustre comme lui qu'il appartient d'aimer des filles de ma sorte. Vous croyez donc que j'aurais écouté un homme de rien ! Car je sais tout du neveu.

MONSIEUR THIBAUT

Non, sans doute. On voit bien à la colère où vous êtes que vous ne vous souciez pas de lui.

AGATHE

Je soupçonne que vous vous moquez de moi, Monsieur Thibaut.

MONSIEUR THIBAUT

Ce n'est pas mon dessein.

AGATHE

Vous auriez grand tort. Ce n'est que par bon caractère que je parle. J'avoue aussi que je suis fâchée, mais vous verrez que j'ai raison. Je dirai tout devant vous à ma mère.


Scène XXVI[modifier]

Les précédents, MADAME ALAIN


MADAME ALAIN

Pardon, Monsieur Thibaut ; j'écris à Monsieur Lefort, votre confrère. C'est un homme riche, fier, et qui salue si froidement tout ce qui n'est pas notaire… Savez-vous ce que j'ai fait ? Je lui ai écrit que vous le priez de venir.

MONSIEUR THIBAUT

Il n'y manquera pas. Voilà Mademoiselle Agathe qui se plaint beaucoup du prétendu.

MADAME ALAIN

Du prétendu ! Vous, ma fille ?

AGATHE

Moi, Ma Mère. Ce mariage n'est pas rompu ? Mademoiselle Habert ne sait donc pas que ce La Vallée est de la lie du peuple ?

MADAME ALAIN

Est-ce que le neveu vous a aussi gâté l'esprit ? Vous avez là un plaisant historien. De quoi vous embarrassez-vous ?

MONSIEUR THIBAUT

Elle n'en parle que par bon caractère.

AGATHE

Et puis c'est que ce La Vallée m'a fait un affront qui mérite punition.

MONSIEUR THIBAUT

Oh ! Ceci devient sérieux !

MADAME ALAIN

Un affront, petite fille ! Eh ! de quelle espèce est-il ? Mort de ma vie, un affront !

MONSIEUR THIBAUT

Puis-je rester ?

MADAME ALAIN

Je n'en sais rien. Que veut-elle dire ?

AGATHE

Il m'a fait entendre qu'il allait vous parler pour moi.

MADAME ALAIN

Après.

AGATHE

Je crus de bonne foi ce qu'il me disait, ma mère.

MADAME ALAIN

Après.

AGATHE

Et il sait bien que je l'ai cru.

MADAME ALAIN

Ensuite.

AGATHE

Eh mais ! voilà tout. N'est-ce pas bien assez ?

MONSIEUR THIBAUT

Ce n'est qu'une bagatelle.

MADAME ALAIN

Cette innocente avec son affront ! Allez, vous êtes une sotte, ma fille. Il m'a dit que c'est qu'il n'a pu vous désabuser sans trahir son secret, et vous y avez donné comme une étourdie. Qu'il n'y paraisse pas, surtout. Allez, laissez-moi en repos.

AGATHE

Il a même poussé la hardiesse jusqu'à me baiser la main.

MADAME ALAIN

Que ne la retiriez-vous, Mademoiselle ! Apprenez qu'une fille ne doit jamais avoir de mains.

MONSIEUR THIBAUT

Passons les mains, quand elles sont jolies.

MADAME ALAIN

Ce n'est pas lui qui a tort ; il fait sa charge. Apprenez aussi, soit dit entre nous, que La Vallée songeait si peu à vous que c'est moi qu'il aime, qu'il m'épouserait si j'étais femme à vous donner un beau-père.

AGATHE

Vous, ma mère ?

MADAME ALAIN

Oui, Mademoiselle, moi-même. C'est à mon refus qu'il se donne à Mademoiselle Habert, qui, heureusement pour lui, s'imagine qu'il l'aime, et à qui je vous défends d'en parler, puisque le jeune homme n'a rien. Oui, je l'ai refusé, quoiqu'il m'ait baisé la main aussi bien qu'à vous, et de meilleur cœur, ma fille. Retirez-vous ; tenez-vous là-bas et renvoyez toutes les visites.

AGATHE, à part.

La Vallée me le paiera pourtant.


Scène XXVII[modifier]

MADAME ALAIN, MONSIEUR THIBAUT


MONSIEUR THIBAUT

Hé bien ! Madame, qu'a-t-on déterminé ?

MADAME ALAIN

De passer le contrat tout à l'heure. Cela serait fait, sans cet indiscret Monsieur Remy. Quel homme ! il rapporte, il redit, c'est une gazette !

MONSIEUR THIBAUT

Qu'a-t-il donc fait ?

MADAME ALAIN

C'est que sans lui, qui a dit au neveu de Mademoiselle Habert qu'elle était chez moi, ce neveu ne serait point venu ici débiter mille faussetés qui ont produit la scène que vous avez vue. Que je hais les babillards ! Si je lui ressemblais, sa femme serait en de bonnes mains.

MONSIEUR THIBAUT

Hé ! D'où vient…

MADAME ALAIN

Oh ! d'où vient ? Je puis vous le dire, à vous. C'est qu'avant-hier, elle me pria de lui serrer une somme de quatre mille livres qu'elle a épargnée à son insu et qu'il n'épargnerait pas, lui, car il dissipe tout.

MONSIEUR THIBAUT

Je le crois un peu libertin.

MADAME ALAIN

Vraiment, il se pique d'être galant. Il se prend de goût pour les jolies femmes, à qui il envoie des présents malgré qu'elles en aient.

MONSIEUR THIBAUT

Eh ! avez-vous encore les quatre mille livres ?

MADAME ALAIN

Vraiment oui, je les ai, et s'il le savait, je ne les aurais pas longtemps. Mais le voici qui vient. Et nos amants aussi.


Scène XXVIII[modifier]

MADAME ALAIN, MADEMOISELLE HABERT, MONSIEUR THIBAUT, MONSIEUR REMY, LA VALLÉE


MADAME ALAIN

Nous voilà donc parvenus à pouvoir vous marier, Mademoiselle. Le ciel en soit loué ! Monsieur Thibaut, commencez toujours ; Monsieur Lefort va venir.

MONSIEUR THIBAUT

Tout à l'heure, Madame. Monsieur Remy, je suis à la veille de me marier moi-même. Vous me devez mille écus que je vous prêtai il y a six mois ; depuis quinze jours ils sont échus ; je vous en ai accordé six autres, mais comme j'en ai besoin, je vous avertis que, sans vous incommoder, sans débourser un sol, vous êtes en état de me payer à présent.

MADAME ALAIN

Quoi donc ! Qu'est-ce que c'est ?

MONSIEUR THIBAUT

Madame Alain vient de me dire que votre femme lui a confié avant-hier quatre mille livres qu'elle lui garde.

MADAME ALAIN

Ah ! que cela est beau ! le joli tour d'esprit que vous me jouez là ! Moi qui vous ai parlé de cela de si bonne foi !

MONSIEUR THIBAUT

Vous ne m'avez pas demandé le secret.

MONSIEUR REMY

J'aurai soin de remercier Madame Remy de son économie. Et je vous paierai, Monsieur, je vous paierai, mais priez Madame Alain de vous garder mieux le secret qu'elle n'a fait à ma femme, et qu'elle ne dise pas à d'autres qu'à moi que vous faites accroire à Monsieur Constant, dont vous allez épouser la fille, que votre charge est à vous, pendant que vous vous disposez à la payer des deniers de la dot.

MADAME ALAIN

Hé bien ! ne dirait-on pas de deux perroquets qui répètent leur leçon !

MONSIEUR THIBAUT

Il me reste encore quelque chose de la mienne et vous n'en êtes pas quitte, Monsieur Remy. Dites aussi à Madame Alain de ne pas divulguer les présents ruineux que vous faites à de jolies femmes.

MADAME ALAIN

Courage, Messieurs. N'y a-t-il personne ici pour vous aider ?

MONSIEUR REMY

Je n'ai qu'un mot à répondre : vous n'aurez plus de présents, Madame Alain. Adieu, cherchez des témoins ailleurs.

LA VALLÉE

Si vous vous en allez, emportez donc les marchandises de contrebande que Madame Alain vous a caché dans l'armoire de sa salle.

MONSIEUR REMY

Encore ! Hé bien ! je reste. Vos mille écus vous seront rendus, Monsieur Thibaut. Ignorez ma contrebande ; et j'ignorerai l'affaire de votre charge.

MONSIEUR THIBAUT

J'en suis d'accord. Travaillons pour Mademoiselle. Et qu'elle ait la bonté de nous dire ses intentions.


Scène XXIX et dernière[modifier]

Les précédents, AGATHE, JAVOTTE


AGATHE

Ma mère, Monsieur Lefort envoie dire qu'on ne s'impatiente pas ; il achève une lettre qu'on doit mettre à la poste.

MADAME ALAIN

À la bonne heure.

MADEMOISELLE HABERT, montrant Javotte.

Ayez la bonté de renvoyer cette fille.

AGATHE

Vraiment laissez-la, ma mère ; elle vient signer au contrat, elle est parente de Monsieur de la Vallée et va l'être de Mademoiselle.

LA VALLÉE

Ma parente, à moi ?

JAVOTTE

Oui, Jacques Giroux, votre tante à la mode de Bretagne. C'est ce qu'on a su dans la maison par le neveu de ma nièce Mademoiselle Habert, qui, en s'en allant, a dit votre pays, votre nom, ce qui a fait que je vous ai reconnu tout d'un coup, et je l'avais bien dit que vous feriez un jour quelque bonne trouvaille, car il n'était pas plus grand que ça quand je quittai le pays, mais vous saurez, Messieurs et Mesdames, que c'était le plus beau petit marmot du canton. Je vous salue, ma nièce.

MADEMOISELLE HABERT

Qu'est-ce que c'est que votre nièce ?

JAVOTTE

Eh ! pardi oui ! ma nièce, puisque mon neveu va être votre homme. C'est pourquoi je viens pour mettre ma marque au contrat, faute de savoir signer.

LA VALLÉE

Ma foi, gardez votre marque, ma tante. Je ne sais qui vous êtes. Attendez que notre pays m'en récrive.

JAVOTTE

Vous ne savez pas qui je suis, Giroux ? Ah ! ah ! Voyez le glorieux qui recule déjà de m'avouer pour sienne parce qu'il va être riche et un monsieur ! Prenez garde que je ne dise à Mademoiselle ma nièce que vous faisiez l'amour à Mademoiselle Agathe.

MADEMOISELLE HABERT

L'amour à Agathe ! Est-il vrai, Mademoiselle ?

AGATHE

Ne vous avais-je pas recommandé de n'en rien dire ?

LA VALLÉE

Oh ! cet amour-là n'était qu'un équivoque.

MADEMOISELLE HABERT

Ah ! fourbe. Voilà l'énigme expliquée. Je ne m'étonne plus si Mademoiselle me demandait tantôt mon amitié. C'est qu'elle croyait que c'était elle qu'on mariait.

JAVOTTE

Bon. N'a-t-il pas offert d'épouser notre dame, si elle voulait de sa figure ?

MADEMOISELLE HABERT

Qu'entends-je ?

MADAME ALAIN

D'où le savez-vous, caqueteuse ?

AGATHE

C'est vous qui me l'avez dit, ma mère, et même qu'il ne se souciait pas de Mademoiselle.

JAVOTTE

Et qu'il ne faisait semblant de l'aimer qu'à cause de son bien.

AGATHE

Et Javotte est la seule à qui j'en ai ouvert la bouche.

MADAME ALAIN, à la Vallée.

Et moi, je n'en ai parlé qu'à ma fille, en passant. À qui se fiera-t-on ?

MONSIEUR THIBAUT

C'est en passant que vous me l'avez dit aussi, souvenez-vous-en.

MADAME ALAIN

À l'autre.

MADEMOISELLE HABERT

Ingrat ! Sont-ce là les témoignages de ta reconnaissance ? Messieurs, il n'y a plus de contrat. Va, je ne veux te voir de ma vie.

LA VALLÉE

Ma mie, écoutez l'histoire ! C'est un quiproquo qui vous brouille.

MADEMOISELLE HABERT

Laisse-moi, te dis-je ! Je te déteste.

LA VALLÉE

Je vous dis qu'il faut que nous raisonnions là-dessus. Messieurs, discourez un instant pour vous amuser, en attendant que je la regagne. Oh ! langue qui me poignarde !

MADAME ALAIN

Parlez de la vôtre, mon ami Giroux, et non pas de la mienne. Aussi bien est-ce vous, maudite fille, qui m'attirez des reproches ?

AGATHE

Ce n'est pas moi, ma mère, c'est Javotte.

MADAME ALAIN

Pardi, Monsieur Thibaut, vous êtes une franche commère avec vos quatre mille livres que vous êtes venu nous dégoiser là si mal à propos. N'avez-vous pas honte ?

MONSIEUR THIBAUT

Puisse le ciel vous aimer assez pour vous rendre muette !

MADAME ALAIN

Oui ! vous verrez que c'est moi qui ai tort.

MONSIEUR REMY

Quand j'aurai vidé votre armoire, je vous achèverai aussi mes compliments.

MADAME ALAIN

C'est fort bien fait, Messieurs. Voilà ce qui arrive quand on ne sait pas se taire.