La Mer et le Lac

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La Mer et le Lac
Texte établi par René BazinPerrin et Cie (p. 350-353).


LA MER ET LE LAC.



 
Aussi libre que la pensée,
Tu brises le vaisseau des rois ;
Et dans ta colère insensée,
Fidèle au dieu qui t’a lancé,
Tu ne t’abaisses qu’à sa voix.

Lamartine.


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On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Le même.

 

LA MER.

De tes fougueux désirs où t’emporte l’audace ?
Sur la foi des autans insensé qui s’endort !
Vois ! le ciel s’épaissit, la tempête menace ;
Baisse, baisse la voile, et regagne le port.

LE LAC.

Poète, à la beauté viens frayer une route ;
Saisis la rame agile et sillonne mes eaux.
La lune brille aux cieux ; viens ! la céleste voûte
Dans un miroir d’azur réfléchit ses flambeaux.

LA MER.

Profonds comme les plis d’une sombre pensée,
À l’imprudent esquif mes gouffres sont ouverts ;
Cent fois contre ses flancs mon écume lancée
Bondit, se brise et bat les airs.

LE LAC.

Pur comme les désirs d’une vierge timide,
Mon flot se ride à peine au souffle du zéphir :
D’un insensible effort, sur le rivage humide.
En soupirant il vient mourir.

LA MER.

De mes noires fureurs éloquent interprète,
Le monstre au fond des mers s’agite en frémissant ;
Il dresse son horrible tête,
En menaçants ruisseaux il vomit l’océan.

LE LAC.

De ses voiles de neige ombrageant sa nacelle,
Le cygne harmonieux visite mes contours ;
Aux rameaux suspendant son aile,
Sur mon sein balancé le sylphe rit toujours.

LA MER.

J’entends, j’entends des cris de guerre ;
Le feu brille : la mort vole sur les vaisseaux ;
Et des cieux, pour répondre aux foudres de la terre,
Le tonnerre élancé s’abîme au sein des eaux.

LE LAC.

Qu’il est doux l’accent du poète,
Quand au bruit de la rame il accorde sa voix ;
Quand son chant solennel que mon écho répète,
Sur mes eaux prolongé se perd au fond des bois !

LA MER.

Dans mes antres profonds, malheureux qui succombe ;
Près d’un fils une mère en deuil,
D’emblèmes fastueux n’ornera point sa tombe :
La vague se referme, et voilà son cercueil.

LE LAC.

Heureux le nom chanté sur ma rive argentée !
Heureux, il ne saurait périr.
Sous des doigts inspirés une corde agitée
Vibre longtemps encor d’un amoureux soupir.

LA MER.

De tes fougueux désirs où t’emporte l’audace ?
Sur la foi des autans insensé qui s’endort !
Vois ! le ciel s’obscurcit, la tempête menace ;
Baisse, baisse la voile, et regagne le port.

LE LAC.

Poète, à la beauté viens frayer une route ;
Saisis la rame agile et sillonne mes eaux.
La lune brille aux cieux : viens ! la céleste voûte
Dans un miroir d’azur réfléchit ses flambeaux.