Pagina:Baretti - Prefazioni e polemiche.djvu/224

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qu’elles savent de frangais? Et s’il n’en sait pas davantage, comment lui passerons-nous le droit qu’il s’est arrogé d’étre á la fois le juge et le bourreau de Shakespeare? Nous empécheronsnous de lui rire au nez, quand, après l’avoir traduit mot-á-mot, il s’avise de lui faire son procès et de le condamner á mort sur sa pitoyable traduction, comme si les pièces qu’il produit étaient légitimes et sans exception? Juge-t-on, condamne-t-on, exécute-t-on un auteur, surtout un poète, surtout un Shakespeare, sur une traduction de demoiselle? Est-ce en traduisant comme un enfant, qu’on rend toutes les beautés d’un originai? Donnet-on par lá le choix judicieux qu’un grand écrivain a su faire de ses mots et de ses phrases? donne-t-on la pureté, l’élégance, l’energie de ses expressions? Donne-t-on l’harmonie de ses périodes, le coulant de son style, la justesse de ses figures, le brillant de ses métaphores, le vif de ses saillies, l’esprit de ses allusions, l’emphase et le pathétique de ses exclamations et de ses apostrophes, la douceur, la noblesse, la fierté de sa versification, et cent autres choses qui concourent toutes á la fois á former le beau total d’une composition? Ne sait-on pas qu’une infinite de mots sont très beaux, très sérieux, très poétiques dans une langue; très prosaiques, très bas, très vilains dans une autre? qu’une expression figurée, nerveuse, sublime, traduite á la lettre, devient presque toujours burlesque, rampante ou ridicule?

Boileau a dit tout cela en frangais il y a bien du temps. Est-ce que monsieur de Voltaire ne l’a pas lu, ne l’a pas compris, ou n’est pas de cette opinion? Mais si j’allais traduire sa Mérope ou sa Marianne mot á mot, et la censurais ensuite sur ma version, qu’en dirait-il? n’aurait-il pas mille fois raison de m’accuser d’ignorance et de mauvaise foi tout ensemble? ne mériterais-je pas les épithètes d’«impudent», d’«imbécile», de «faquin» et de «maraud», dont il lui a piú d’honorer le secrétaire de librairie?

Mais puisqu’il n’en a pas agi autrement lui-méme á l’égard de Shakespeare; puisqu’il a méme l’effronterie de s’en vanter á l’Académie frangaise comme d’une belle chose; puisqu’il n’a pas eu honte de sa bassesse, quand il traduisit les vers blancs de Shakespeare, que le théátre anglais demande, en vers blancs,