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170 ACTE PREMIER


compte, et mon oncle le premier. Il faut que je lui rende justice, et que je vous découvre la vérité: elle ne sait rien de tous les malheurs dont je suis accablé: elle m’a cru plus riche que je n’étois; je lui ai toujours caché mon état. Je l’aime; nous nous sommes mariés fort jeunes: je ne lui ai jamais donné le temps de rien demander, de rien désirer; j’allois toujours au-devant de tout ce qui pouvoit lui faire plaisir; c’est de cette manière que je me suis ruiné.

Dorval. Contenter une femme; prevenir ses désirs! La besogne n’est pas petite.

M. Dalancour. Je suis sur que, si elle avoit su mon état, elle eût été la première à me retenir sur les dépenses que j’ai faites pour elle.

Dorval. Cependant elle ne les a pas empéchées.

M. Dalancour. Non, parce qu’ elle ne s’en doutoit pas.

Dorval. (En riant) Mon pauvre ami!...

M. Dalancour. (D’un air fâché) Quoi?

Dorval. (Toujours en rint) Je vous plains.

M. Dalancour. (Vivement) Vous moqueriez-vous de moi?

Dorval. (Toujours en souriant) Point du tout. Mais... vous aimez prodigieusement votre femme.

M. Dalancour. (Encore plus vivement) Oui, je l'aime, je l’ai toujours aimée, et je l’aimerai toute ma vie: je la connois; je connois toute l'étendue de son mérite, et je ne souffrirai jamais qu’on lui donné des torts qu’elle n’a pas.

Dorval. (Sérieusement) Doucement, mon ami, doucement; modérez cette vivacité de famille.

M. Dalancour. (Toujours vivement) Je vous demande mille pardons; je serois au désespoir de vous avoir déplu: mais quand il s’agit de ma femme...

Dorval. Allons, allons, n’en parlons plus.

M. Dalancour. Mais je voudrois que vous en fussiez convaincu.

Dorval. (Froidement) Oui, je le suis.

M. Dalancour. (Vivement) Non, vous ne l’êtes pas.

Dorval. (Un peu plus vivement) Pardonnez-moi, vous dis-je.