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prouver qu’il n’avait en réalité rien oublié1. Le trouble apparent de la mémoire, comme précédemment le trouble apparent des sensations et des mouvements, n’est ici qu’un trouble dans le développement de l’idée et du sentiment de la personnalité.

Un des derniers cas que j’ai eu l’occasion d’observer est, sur ce point, tout à fait démonstratif. Il s’agit d’un jeune homme de 18 ans que j’ai pu présenter à la Société de psychologie de Paris dans l’une de ses dernières séances. Dans un petit papier qu’il apporte avec lui, Dr… nous expose comment il a toujours été disposé, depuis l’âge de sept ans, à de singuliers troubles de l’esprit. Il raconte qu’à cet âge il avait déjà des anxiétés, des terreurs, à la pensée du ver solitaire, du cancer, de l’appendicite, qu’il éprouvait de grandes émotions à propos des problèmes philosophiques, de l’infini, du néant, de la mort, de l’âme, de la pensée, de la folie, etc.. Mais c’est à partir de l’âge de onze ans que les troubles se sont précisés.

Il prétend qu’à cet âge il s’est aperçu que les objets du monde extérieur se transformaient graduellement. Ils devenaient singuliers, drôles, étranges, en tous cas différents de ce qu’ils étaient autrefois. Au début, les objets anciennement connus restaient à peu près les mêmes, seuls les objets nouveaux présentaient ce caractère d’étrangeté: «J’ai souvent insisté sur cette difficulté plus grande de la perception des objets nouveaux. Peu à peu le trouble s’est étendu à tous les objets sans distinction; le malade a beaucoup de peine à nous faire comprendre ce qu’il appelle l’étrangeté des objets. «Si nous voyons un cyclope devant nous, dit-il, nous sommes, surpris de lui voir un seul œil au milieu du front, parce que ce n’est pas l’habitude de voir les hommes ainsi faits. Eh bien, tous les objets étaient pour moi comme des cyclopes: ils n’étaient pas de la même façon que les objets habituels… c’est bien cela, j’avais perdu l’habitude, le sentiment que les objets étaient habituels…». D’ordinaire, ce sentiment d’étrangeté se complique d’autres sentiments d’irréalité et de rêve. Le malade ne semble pas avoir été jusque là, parce que assez rapidement, dans ces dernières années, le sentiment pathologique s’est transformé et que les préoccupations du malade se sont portées sur un autre point.


  1. Journal de psychologie normale et pathologique, mars 1907, p. 97.