Scientia - Vol. VII/Les démocraties antiques

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Georges Bourgin

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Physique The science and philosophy of the organism
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A. Croiset - Les démocraties antiques. («Bibliothèque de philosophie scientifique»). Paris, Flammarion [1909], in-16, p. 339.


Livre d’intelligente et élégante vulgarisation: tel est le jugement qu’impose la lecture de la dernière œuvre d’un des meilleurs hellénistes de la France contemporaine. Si on laisse en effet le court et unique chapitre consacré par M. Croiset aux institutions romaines et puniques, son livre est essentiellement un exposé des constitutions helléniques, et plus particulièrement de la constitution athénienne. Admirablement composé, soutenu par une érudition solide, mais invisible, il décrit successivement l’évolution politique d’Athènes depuis la royauté jusqu’à l’avènement de la démocratie, la constitution démocratique, l’esprit et les [p. 183 modifica] mœurs de la démocratie athénienne, sa politique intérieure et extérieure, et groupe en un seul chapitre les notions que nous possédons actuellement sur les transformations politiques des autres cités grecques.

Mais ce livre est plus qu’un exposé d’histoire constitutionnelle. Il est d’abord un livre de morale sociale: M. Croiset a trouvé en Grèce ce qu’il appelle un exemple-type de la démocratie, des règles de conduite politique qui peuvent s’appliquer à nos sociétés modernes et, dans sa conclusion, il montre les avantages et les dangers du régime démocratique; mais il faut avouer que les considérations de M. Croiset restent bien vagues; en nous disant que «la démocratie n’a pas d’ennemi plus redoutable que la démagogie», il ne nous donne pas un enseignement bien neuf ni bien pénétrant. Si la démocratie n’a pas de valeur en soi, il n’est pas moins évident que la pratique politique athénienne, conditionnée par la religion, l’esclavage et la petite étendue de la cité, est peu applicable dans les sociétés modernes, si vastes de contenu, égalitaires et irreligieuses et, dès lors, toute une partie de la conclusion de M. Croiset, inutilisable, tombe d’elle-même.

Le livre de M. Croiset est autre chose encore: son introduction renferme une sorte de manifeste de l’historicisme traditionnel hostile à la sociologie. Pour M. Croiset, l’histoire a pour but de saisir la réalité vivante et complexe, le fait particulier et concret. Mais outre qu’il parle de la sociologie comme d’une science définitivement formée, ce qui est inexact, il trouve entre cette science et l’histoire une antinomie qui n’existe pas; si, comme il le reconnaît, l’histoire est avant tout une méthode pour la recherche de la vérité (p. 7-8), on peut admettre qu’elle prépare des éléments qui seront utilisés par la sociologie. Ce n’est pas parce que les lois des phénomènes restent obscures ou inconnues qu’on doit nier ces lois, et l’on ne peut admettre, avec M. Croiset, que «la cause intime de la réaction [d’un peuple à une circonstance] échappe à toute détermination rigoureuse» (p. 6). Le plus curieux est que M. Croiset arrive à se contenter de généralisations d’allure sociologique et qui n’ont rien de scientifique: tout ce qu’il dit de la psychologie des peuples est sujet à caution; il s’étonne des défiances des sociologues à l’égard des vastes généralisations intuitives à la façon de Taine ou de Fouillée, sans s’apercevoir que des sociologues ont su fournir, — tel M. Mauss sur les Eskimos, ou Bouglé sur les castes de l’Inde, — des faits et des lois réellement scientifiques. Son plaidoyer en faveur de l’idée de race reste précaire; il exclut du concept de race les facteurs anthropologiques, comme de la détermination des caractères nationaux les institutions elles-mêmes; et comme Taine avait tenté de décrire, in abstracto, la psychologie du peuple français, [p. 184 modifica] M. Croiset essaie de définir la psychologie hellénique, valable aussi bien pour le temps d’Homère que pour le temps d’Alexandre, pour Sparte autant que pour Athènes. Mais le livre-même de M. Croiset fournit de quoi rétorquer les propositions énoncées dans son introduction: car c’est à d’autres causes qu’à la psychologie collective qu’il a recourt pour expliquer la «logique intime» de l’évolution athénienne, le passage de la royauté patriarcale à la domination des Eupatrides, les réformes de Solon et celles de Clisthène. Aux institutions économiques et religieuses où se mêlent des facteurs si divers, où les importations étrangères sont d’importance essentielle, M. Croiset consacre d’heureuses pages qui contredisent la thèse primitive, puisqu’il y prouve que ces institutions ont eu des effets considérables sur l’évolution politique, que la psychologie toute seule ne parvient plus à expliquer. Enfin, si entre les institutions athéniennes et lacédémoniennes il y a tant de dissemblances, n’est-ce pas que la psychologie des peuples n’explique pas tout, ou qu’il faut préciser un peu mieux qu’on ne le fait, — que ne le fait en particulier M. Croiset, — ce qu’on entend par peuples, ou mieux encore c’est qu’il y a des facteurs autres, plus complexes, plus difficiles à déterminer, avec le recul du temps et la pénurie des documents, mais nécessaires pour la compréhension totale des phénomènes sociaux et politiques. De même, si la psychologie grecque est constante dans ses éléments principaux, — et c’est bien ce que parait admettre M. Croiset, — comment parvient-on à expliquer, en partant d’elle seulement, la décadence des institutions démocratiques en Grèce? C est donc qu’il y a eu là l’action d’autres facteurs, de facteurs de dissociation, dont l’étude n’a pas été abordée, pas même pressentie par M. Croiset.

Avec toutes ces réserves, — on pourrait presque dire en raison même de toutes ces réserves, — le livre de M. Croiset est intéressant. Il nous apprend, ou plutôt il nous rapprend beaucoup de choses sur les institutions grecques, il pose des questions et force la réflexion à un travail incessant et fécond.

Paris.

Note