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CHAPITRE QUATRIÈME

— Tu conviendras pourtant — me dira-t-on encore — que monsieur de Voltaire a raison quand il accuse ton Shakespeare de ne s’étre point conforme aux trois unités tant recommandées par Aristote et si bien illustrées par Corneille. Nous savons de bonne part qu’il les a violées, traínant ses personnages d’un pays á l’autre, d’acte en acte, ce qui est contre l’unite de lieu, et faisant par conséquent durer l’action, non pas trois ou quatre heures, mais des mois et des années entières, ce qui est contre l’unite de temps. Qu’as-tu donc á dire en faveur d’une pratique si absurde et monstrueuse? Est-il possible, dans le court espace de trois ou quatre heures, de rendre vraisemblables des faits qu’ont dure des années entières, á des gens qui savent n’étre lá que durant ces trois ou quatre heures? est-il possible de rendre probables des voyages fort longs aux yeux de ceux qui ne bougent du parterre, des loges et du paradis?

Ceux qui me font de si belles interrogations, auront la bonté de me permettre que je les interroge aussi un peu, avant de leur donner une réponse catégorique.

— Comment donc ceux qui savent d’étre á Paris et dans la salle de la Comédie, peuvent-ils se donner le change et croire qu’ils sont á Rome, á Memphis ou á Samarcande? Comment peuvent-ils voir, de leurs yeux, que c’est lá mademoiselle Vestris et le sieur Lekain, et croire néanmoins que l’une est Agrippine ou Lucrèce, et l’autre Tarquin ou Tibère? Comment les comtesses, qui sont aux loges, peuvent-elles endurer un roi de Macédoine ou une dame de l’Indostan, qui, au lieu de les amuser en parlant les jargons de leur pays, s’avisent de déclamer de très beaux vers franQais rimés deux-á-deux, dont elles devinent fort souvent le dernier hémistiche avant que ce roi de piques ou catte dame de trèfle l’ait prononcé? Comment ces grisettes, qui sont au paradis, peuvent-elles se fourrer dans la cervelle que