Cristoforo Colombo (de Lorgues)/Lettera al Conte Roselly de Lurgues

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Lettera al Conte Roselly de Lorgues

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AL CONTE ROSELLY DE LORGUES

LETTERA

DEL C.T. DANDOLO

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Mon cher ami!


Au Deserto, Sur la frontiére Suisse,
ce premier Avril 1857.



Je touche à la moitié de ma laborieuse besogne, et j’aime à m’arrêter, non à la guise d’un voyageur essoufflé qui vent reprendre haleine, mais comme un touriste, qui, arrivé sur un plateau élevé, suspend son ascension pour jouir des agréables perspectives qui se déploient à l’entour.

Jamais de ma vie histoire d’homme (je laisse de côtè celle de Dieu, supérieure à toute comparaison) n’offrit à mon imagination des horizons si vastes, si variés, si étonnans. Votre Colomb a frappé mon intelligence d’une manière ineffacable, parce qu’elle y a saisi des lumières dont se sont éclairés de vastes ordres d’idées, parcequ’il y a fécondé de précieuses intuitions, des convictious consolantes. Mais ce que votre Colomb a satisfait encore davantage en moi, c’est le cœur touché de tant de bonté, de tant de malheur.

L’homme qui lutte ainsi contre l’iniquité pour une sainte cause, et, dans un combat toujours renaissant, toujours fécond de déceptions et d’angoisses, non seulement ne se décourage jamais, mais tire parti de l’adversité pour croître en vertu, et poursuit sa marche avec sérénité au milieu des aboyemens de l’ignorance, et des morsures de la méchanceté, cet homme mérite d’être placé au premier rang des bienfaiteurs de l’humanité.

Aux yeux du philosophe que sont les conquérans dont le nom est devenu synonyme de gloire, de génie? des égoistes réussissans, qui se firent un marchepied de trônes renversés, de [p. iv modifica]peuples écrasés, afin d’atteindre à une vaste domination. L’ivresse qui poussait Alexandre à brûler sa capitale, à poignarder son ami, ne fut pas la passion plus funeste dont il subit l’esclavage: les enivrantes fumées d’orgueil qui avaient envahi son âme, le firent pleurer d’être homme, lui qui avait rêvé d’être Dieu; et il comprit d’être homme envisageant avec épouvante ce monde inconnu qu’il ne pouvait se flatter de conquérir à son tour, dont la tombe béante, où il se sentait descendre, lui ouvrait la porte. César, chez qui les faiblesses et les vices furent plus grands que les vertus, périt pour avoir voulu saisir un dernier hochet dont sa vanité fut tentée. L’insatiabilitè qui entraîna Napoléon de Cadix à Moscou fut expiée, en partie, par les méditations que lui imposèrent l’exil et la solitude: abandonné, mais éclairé, il fut plus grand qu’Alexandre et César, parcequ’il envisagea l’adversité avec fermeté, et mourut sans faiblir: c’est là la pierre-de-touche des grandeurs humaines: Solon, qui répondait au roi Crésus — j’attends pour t’appeler heureux de voir comme tu mourras, — n’affirmait qu’à demi une grande vérité philosophique; il aurait dû ajouter — ta mort m’apprendra si tu étais vertueux. —

Non seulement chez nombre d’individus, mais, j’ajouterai, dans l’âme collective du genre humain existe un fond d’injustice persévérante, incorrigible: le fils apprend de son père, l’écolier de son instituteur à connaître et admirer Alexandre, César, Napoléon: ils ignorent Colomb: et cependant Colomb vaut mieux que cette triade fameuse. Affrontant l’Océan ténébreux, et découvrant le Nouveau Monde, il n’obéit pas, lui, à l’ambition, mais à l’amour de la civilisation, qu’il voulait doter de la notion complète du globe, à l’amour des hommes, des quels il aspirait a éloigner les ténèbres qui les perdaient; à l’amour de Dieu, qu’il se proposait de révéler à d’innombrables intelligences déchues. Colomb ne sortait pas de souche royale comme le Macédonien [p. v modifica]grandi aux arts de la politique et de la guerre par un Philippe, aux sciences abstraites et physiques par un Aristote, contemporain de Socrate, et d’un pays où résonnaient les tragédies d’Eschyle, les épopées d’Homère: le Génois était né d’un cardeur de laine, citoyen obscur d’une petite république italienne du moyen-âge, sans autre guide que ses propres inspirations: nonobstant, il rêva et il accomplit une conquète plus grande que celle du fils du roi Philippe, lui fils du cardeur de laine Dominique!

Colomb ne se trouva point poussé, comme le Dictateur, au faîte de la puissance par les évolutions d’une société que des siècles de vertus civiques et militaires avaient mûrie: César parut plus grand qu’il n’était, parcequ’à partir de lui l’Occident commença sa rapide décadence vers l’abyme de la barbarie: l’illustration passée, et la chûte prochaine de Rome contribuèrent également à l’exhausser, semblable à ces pics des Alpes, qui semblent plus gigantesques quand les nuages en voilent la base, et qu’ils paraissent nager dans l’espace: assis sur la sommité de l’édifice croulant, les coups de poignard, qui l’en précipitèrent, ont ajouté aux splendeurs épiques de sa vie l’intérêt tragique de sa mort... Pour Colomb les campagnes de son jeune âge se réduisirent a des navigations ignorées; et les créations de sa virilité à des mappemondes, à des cartes qu’il dessinait et coloriait pour acheter du pain, employant ce qui lui en restait à courir l’Europe, en quête d’un Sénat, d’un Prince qui daignât se prêter à réaliser les perceptions de son âme; mendiant sublime demandant à toutes les portes une aumône, qu’il voulait payer d’un monde! Rien ne les découragea parcequ’il s’était choisi une mission de sacrifice: il n’y a que l’entraînement de l’enthousiasme religieux qui puisse soutenir la volonté dans de pareilles entreprises: les hommes ne sauraient les récompenser; Dieu s’est réservé d’y pourvoir dans son éternité: si Colomb ne s’en fût pas rapporté à Dieu, s’il n’avait pas [p. vi modifica]cru à l’éternité, il ne se serait pas roidi dix-sept ans contro les dilficultés avilissantes qui entravèrent ses poursuites préliminaires, il n’aurait pas lutté corps à corps, durant les quatorze années suivantes, avec la méchanceté triomphante, jusqu’au jour, que, saluant dans la dissolution imminente de son être la délivrance de son âme, il s’éteignit comme un martyr souriant et tranquille. Napoleon n’eut pas cette grandeur d’âme; aussi de ses lèvres mourantes laissa-t-il à la Grande Bretagne un legs d’infamie, que toutes les eaux qui la baignent ne laveront jamais: le volcan révolutionnaire l’avait jeté à la tête des armées; porté par la vietoire sur le trône, il foula tout sous ses pieds, même la thiare, et osa inscrire sur son diadème récent — Dieu me l’a donné, gare à qui y touche! — Dieu lui répondit lui touchant les pieds d’argile; et le colosse s’écroula.

L’histoire a été prodigue de flatteries mensongères à cette triade de conquérans. Quinte-Curee et Arrien se sont servis des deux langues les plus parfaites, et les plus répandues de l’ancien monde occidental pour raconter Alexandre: mieux que Suétone, que Dion-Cassius, que Diodore de Sicile, Jules-César s’est raconté lui-même: Napoléon, dans les dictées de Sainte Hélène, s’est sculpté en buste avec le ciseau de Phidias, sans compter que le plus populaire de nos historiens contemporains fait preuve en son honneur d’une verve intarissable. Avant vous, mon illustre ami, quel a été le Suétone, le Quinte-Curce, le Thiers de Colomb? Trois siècles ont pesé sur sa tombe, et en ont fait oublier jusqu’à l’emplacement, avant qu’une’voix retentissante se soit élevée pour invoquer en sa faveur les droits de la critique, et le témoignage des faits. La biographie, l’honneur du parfait catholique ont été laissés à la merci de protestans, de libres penseurs! Irving, Humboldt, à quelles sympathies auraient-ils pu se laisser prendre pour l’homme qu’ils taxaient de fanatisme? Quant aux historiens espagnols, à commencer de [p. vii modifica]l’ancien Valdez-y-Oviedo jusqu’au récent Navarrète, tous bassement envieux de l’Étranger qui avait ajouté un Monde à leur Monarchie, pourrait-on de bonne foi leur demander le récit véridique de la vie de Colomb, c’est-a-dire le détail des hontes de leur nation?

La perversité avait hâté la fin du grand Homme; l’injustice, l’ignorance, les préjugés continuèrent à le frapper après sa mort, déformant son caractère, soulevant autour de sa mémoire je ne sais quel infect brouillard d’absurdes calomnies. C’était le droit, et le devoir d’un italien de frapper d’impuissance cette lâche conjuration d’étrangers haineux contre une des plus pures illustrations de’son pays... Je ne saurais, toutefois, me plaindre que ce soit à vous, mon ami, que cette magnifique tache est échue: vous n’êtes pas étranger à l’Italie, puisqu’elle revendique votre origine et votre nom: ce Roselli, qui du pied du Vésuve émigra sur les rives également fleuries de la Provence à la suite du bon René d’Anjou, et en reçut l’investiture d’une charge royale transmise de père en fils jusqu’à nos jours, n’était-il pas un comte napolitain? Colomb, alors officier de marine au service du Roi dépossédé, aceueillit votre ancêtre sur son bord: vous payez splendidement la dette de cette ancienne hospitalité. Issu de souche guelphe et italienne, vous vous êtes servi, pour défendre cette cause sacrée, de votre plume, avec la même ardeur que vos ayeux déployaient à la soutenir de leur épée. Après vous, il ne sera plus permis de douter de la magnanimité, je dirai plus, de la sainteté de Colomb; et j’ose croire que le jour n’est pas loin, dans lequel son nom sera recommandé à la vénération de la Catholicité par la voix de Celui dont elle reconnait l’infaillibilité. Vouz avez hautement exprimé ce vœu; et il a été accueilli avec sympathie. C’est beau à vous d’accompagner ainsi votre Héros jusqu’au-delà de la mort; et, non content d’avoir soigné sa réputation contre la malignité et [p. viii modifica]l’incurie, c’est beau à vous, je le répéterai, de chercher qu’on lui décerne l’éblouissante auréole des Élus! Je joins de tout mon cœr mes vœux aux vôtres, pour que ce dernier cachet d’immortalité brille au front du grand Homme. Cela vaut mieux que de s’engouer d’une Dame du XVIIme siècle, lui décerner les ovations posthumes d’une admiration passionnée, et dépenser des veilles, qui appartenaient naguère à la science, à élaborer l’apologie rétrospective des nombreuses expiations aux quelles cette dame dût s’assujettir, vu que les saturnales de la Fronde, dont elle avait été la Clorinde et l’Armide, avaient fait plus que l’effleurer.

Peut-être je vous paraîtrai sévère envers l’illustre Eelectique à l’endroit de la bizarre rétrospectivitè de ses amours platoniques; d’autant plus que vous aussi me paraissez boiter un peu du même pied, épris, comme je vous soupçonne, de la reine Anacoana, cette gracieuse fleur d’or dont l’histoire est si touchante et dramatique...

Votre style est fait exprés pour animer tout ce qu’il touche: il saisit avec un rare bonheur les traits caractéristiques des objets, des événemens, des physionomies; on dirait d’un pinceau au lieu d’une plume: les couleurs locales en découlent avec une richesse qui bien des fois m’a fait songer à Bernardin de Saint-Pierre, non sans trouver que votre entrainante chaleur catholique n’admet pas de comparaison avec les déclamations philantropiques de ce pauvre amant de la Nature. Des traits de sentiment qui s’adressent au cœur, et le saisissent à force de vérité et de spontanéité, embellissent et varient vos tableaux: j’y trouve la. palette radieuse de Rubens, la grâce exquise de l’Albane, l’ascétisme pénétrant du Dominiquin, une transparence, un reflet moral, dont la portée est plutôt sentie qu’exprimable. Je vous assure, mon ami, qu’il y a là de quoi faire pâlir et rougir alternativement cette pauvre traduction, vis-à-vis [p. ix modifica]de la quelle je me suis arrogé jurisdiction de réviseur, et qui me condamne de temps en temps aux soucieuses sollicitudes d’un tuteur contraint de se contenter que son pupille évite des vices, au lieu de professer des vertus.

Je cède â la tentation de vous transcrire une de ces pages qui font pâlir et rougir (à votre choix) traducteur et réviseur; elles reviennent un peu trop souvent dans votre Colomb, et je crains qu’il y eu ait plus d’une qui se soit tirée de là meurtrie de l’épreuve.

«Un jour il vit (Colomb) s’élever à la surface des flots une multitude innombrable de tortues aux larges écailles, qui, pareilles à une armée en marche, suivant une direction unique, et, comme sous l’ordre d’un chef, allaient se dirigeant au nord. Cette population s’avançait régulièrement, et couvrait au loin la mer de ses carapaces. Telle était l’affluence de la tribu cuirassée, que ses foules mouvantes retardaient la marche des caravelles: les proues heurtaient envain cette épaisse migration: c’était le moment de la ponte. Des abymes lointains mystèrieusement convoquée sur ces parages, la peuplade des chéloniens allait aborder la côte méridionale de Cuba pour y déposer sur le sable ses oeufs, que le soleil devait faire éclore.

» Le lendemain une scène différente remplit l’horizon de mouvement et de cris: des phalanges d’oiseaux pélagiques traversaient les airs: des bandes de grues se suivaient; des vols de corbeaux se succédaient par troupes: c’était une caravane aérienne, une migration immense: ils venaieut des archipels des Pins, des Jardins de la Reine, des îles plus éloignées des Caimans; et, comme s’ils avaient un rendez-vous à jour fixe, ils se dirigeaient, en passant par Cuba, vers un point inconnu.

» Ce passage bruyant fut suivi par l’arrivée silencieuse, mais éclatante des plus légers hôtes de l’air; des papillons aux ailes richement diaprées se déployèrent dans l’atmosphère en [p. x modifica]mobile tenture. Cette frêle nalion égarail son vol incertain au large: sa masse compacte, passant au dessus des navires, interceptait les rayons du soleil: cette multitude se poussant elle-même, et chassée par la brise, se heurtait eontre les mâts, les cordages; et nombre de blessés restaient sur le tillac des caravelles: leurs nuées se succédaient sans interruption: mais le soir le vent de l’ouest, et les fortes ondées qui le suivaient, dispersèrent dans l’espace cette fragile population. — »

Voila, mon ami, une de ces pages dont je vous fais cas de conscience dans l’intérêt des pauvres traducteurs et réviseurs. Passe encore celle ci, qui m’a fort édifié et consolé:

«Pour remercier Dieu de sa protection signalée à travers des dangers si continus, Colomb fit dresser un autel sous les ombrages, et la Messe y fut solemnellement célébrée.

»Pendant la cérémonie, un cacique âgé, et vénérable en dépit de sa nudité, s’approcha observant avec attention ce que l’on faisait. Il comprit qu’il s’agissait d’un acte religieux. Après que Colomb eut fini ses actions de grâce, le vieillard le saluant lui offrit une corbeille de beaux fruits qu’il tenait à la main; et s’asseyant auprès de lui, au moyen de l’interpréte Diego, dont il entendait l’idiôme, lui dit: — il est juste de rendre grâce à Dieu des biens qu’il nous accorde. ll m’a été dit que tu avais précédemment parcouru avec ta puissance contrées qui jusques-là t’étaient inconnues, répandant une grande frayeur parmi les populations: mais ne t’enorgueillis pas pour cela: rappelle-toi, je te le recommande, qu’au sortir du corps l’âme trouve deux routes, l’une conduisant à une demeure fétide et ténébreuse, préparée pour ceux qui ont désolé leurs semblables; l’autre menant à un séjour délicieux et fortuné, disposé pour ceux, qui, pendant leur vie, aimèrent la paix, et la maintinrent parmi les hommes: par conséquent, si tu te crois mortel, et [p. xi modifica]penses que chacun sera rétribuè solon ses œuvres, ne fais aucun mal à personne. — »

Voila un sauvage qui croit à l’unité de Dieu, au paradis, à l’enfer, et donne, sur marché, à Colomb une haute leçon de charité: la grande âme de l’Amiral dut en être touchee, et emerveillée... Pour mon compte cette anecdote, que vous démontrez authentique, me saisit, parceque j’y trouve la preuve qu’il n’y a pas d’être humain, vécût-il à l’état sauvage, au fond d’un archipel perdu dans les immensités océaniques, à qui la purceté du cœur n’assure le salut, dût un ange descendre exprés du ciel pour lui comuniquer les vérités divines dont la. connaisance est indispensable; dût (ce qui revient_au même) Colomb appareiller de Cadix pour débarquer à Sainte-Croix, précisément à l’heure marquée pour le baptême du bon vieux cacique.

Le sentiment religieux qui déborde de votre livre, et en parfume chaque page, s’allie naturellement à la vie de Colomb, ce grand serviteur de Jésus-Christ: il fait bon pour un catholique de retremper sa foi dans la foi de cet héroïque croyant: il apprend de Colomb à étreindre dans le cycle de son amour même les frères inconnus, devinés existans par le cœur; il apprend de Colomb à subir sereinement, pour une cause juste, les offenses des adversaires, les trahisons des amis; il apprend de Colomb à se confier au fond de l’adversité, vis-à-vis d’une mort inhonorée, dans la justice de Celui, qui sait, peut, et veut féliciter les justes, parce qu’il a l’éternité pour soi, et est le tout-puissant, et le souverainement-bon.

C’est plongé dans ces considérations, qui sont autant de bénédictions sur vous et sur votre œuvre, que je vous quitte aujourd’hui, sentant que je reviendrai...


T. Dandolo